Chapitre 10 : Le compte à rebours

206 22 5
                                    

Tic, tac, tic, tac, tic, tac, tic, tac, tic, tac, tic, tac, ti- ok j'arrête.

Le bateau approcha du port londonien. La vapeur s’élevait et rejoignait fog flottant au-dessus de la capitale. Autour de la coque, la mer était rejetée avec force sur les côtés. L’eau autour formait de gros rouleaux et était battue par la pluie. Holmes offrit son bras à son compagnon pour descendre. Pendant la traversée, sa douleur s’était accrue à la fois dans son cuisse et dans son épaule. Le pauvre docteur n’avait pu se procurer une nouvelle canne, alors le détective la remplaçait, appréciant secrètement le contact et plus encore la poigne de son amant sur son avant-bras.
Gregson et Lestrade étaient descendus un peu avant et les attendaient sur le port.
« Enfin de retour à la maison, soupira Lestrade qui se prit un coup de coude par son compagnon.
-À qui la faute ? commenta ce dernier. »
L’autre ne fit qu’hausser les épaules. Les deux autres les rejoignirent, Watson parlant et Holmes écoutant.
« Peut-être devrions-nous voyager un peu plus Holmes. Ça nous ferait un peu de bien de voir autre chose que Baker Street, et surtout ça ferait du bien à Madame Hudson de ne plus devoir réparer vos bêtises.
-Vous parlez, intervint l’interlocuteur, mais Madame Hudson ne pourrait survivre longtemps sans s’occuper de quelqu’un. Elle pourrait avoir l’idée de déranger mes affaires ! Et puis, Baker Street est très bien, continua-t-il avec un regard noir. Pourquoi souhaiteriez-vous partir ? »
Le médecin rit et répliqua :
« Il est vrai que vous êtes un homme d’habitude Holmes ! »
On ne lui répondit pas, et il rit de plus belle. Son visage reprit un air grave quand il vit une ombre arriver d’entre les passants. Elle s’arrêta un peu en retrait mais il était trop tard, et les quatre hommes se retournèrent.
« Forbes, lâcha froidement Lestrade.
-Je vois que vous êtes rentré, répliqua le susnommé, mais je ne suis malheureusement pas là pour vous accueillir… »
Des policiers arrivèrent derrière lui, mais eux ne s’arrêtèrent pas. Voyant le problème, Holmes tenta de s’échapper, comme Lestrade, mais ils furent attrapés de force et menottés. Gregson et Watson se retrouvèrent les mains liées à peine une seconde plus tard.
« Au nom de la loi, je vous arrête, prononça l’inspecteur comme une sentence, l’épée de Damoclès au-dessus de leur tête s’était abattue.
-Et pour quel motif ? s’énerva Gregson, se faisant calmé par l’un des brigadiers d’un coup en bas du dos.
-Atteinte à la personne, ajouta alors Forbes. Tentative de sodomie. »
Les quatre prisonniers étaient muets. Ce fut Lestrade qui explosa le premier.
« Tu ne peux pas Forbes ! Tu ne peux pas le prouver !
-Quatre sodomites, il est facile d’obtenir la peine de mort. »
Nouveau silence. On retenait son souffle face à cette humiliation publique.
D’un signe de tête, les policiers emmenèrent leurs prisonniers dans les fiacres de police, tous séparés, qui les mèneront à Scotland Yard. Forbes se trouvait dans la même voiture que Gregson et le toisait d’un regard haineux qui irritait l’inspecteur.
« Quoi ? Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça ? râla-t-il.
-Jolie trahison Forbes, commenta en essayant d’être neutre le prisonnier.
-Trahison ? Peuh ! Tu n’as que ce que toi et les gens de ton espèce méritent, se moqua le susnommé. »
Gregson fut blessé par cette remarque, et plus blessé encore pour ses amis. Holmes, Watson… Lestrade… Tous risquaient l’échafaud par sa faute. Il savait qu’il était coupable, qu’il aurait dû prendre plus de précaution avec sa correspondance qu’il a tenu avec Hopkins, qu’il aurait dû agir d’une manière plus neutre… En repassant les derniers jours dans sa tête, il déplorait chaque action qu’il n’avait pas fait, mal fait, trop fait. Il aurait voulu attaquer son collègue et s’enfuir, loin. La mort lui faisait peur et il comprenait maintenant pourquoi son amant était parti si loin.
Scotland Yard était toujours les bureaux qu’ils avaient connus en tant qu’inspecteurs et consultants. Maintenant qu’ils étaient sur le banc des accusés, voir ces murs étaient un supplice. Pire encore, il y avait les regards. Des regards scrutateurs qui lorgnaient chacun de leurs gestes avec dégoût. Des anciens collègues, même amis, ou d’anciens collaborateurs qui se retrouvaient maintenant de l’autre côté de la justice, du bon côté, alors qu’ils défilaient poings liés devant eux. Lestrade baissa la tête, son collègue leur lança un regard haineux comme il l’avait fait à Forbes un peu plus tôt, Holmes avait un visage neutre et ne regardait que devant lui et Watson était si pâle et bouleversé qu’il semblait sur le point de s’évanouir. Un seul inspecteur, au regard horrifié, tira de ses quatre amis un regard amical : Hopkins. Il se répétait à voix basse :
« C’est de ma faute, j’aurai pu arrêter ça, tout est de ma faute ! »
Il accompagna le cortège, catastrophé, jusqu’à l’entrée en cellule des criminels, et même à partir de là, il resta planté devant.
« Je suis désolé Monsieur Holmes ! s’exclama-t-il après un instant de silence. »
Gregson se jeta sur les barreaux, faisant tinter ses chaînes, comme s’il voulait arracher le visage du jeune inspecteur.
« Tu peux être désolé ! hurla-t-il. Regarde de quel côté sommes-nous ! »
Hopkins eut un mouvement de recul, sincèrement apeuré. Holmes posa une main sur l’épaule de son ami énervé.
« Allons inspecteur, s’énerver ne nous fera pas sortir, énonça-t-il comme une vérité générale, comme une formule chimique.
-Comment pouvez-vous rester si calme ! »
Mais Gregson se calma et partir s’asseoir à côté de Lestrade qui était appuyé contre le mur. Holmes, lui, opta pour rester contre les barreaux alors que Watson était derrière lui, toujours aussi blême. Il poussa un gémissement plaintif qui fit se retourner le détective. Ce dernier s’agenouilla devant lui et caressa son visage.
« Watson… murmura-t-il. »
Il fut repoussé.
« Non, lâcha simplement le docteur. »
Sa respiration était sifflante, ses mains agitées et moites, et Holmes reconnut l’angoisse dans les yeux de son ami. Ils étaient semblables aux siens quand il n’avait pas pris de cocaïne depuis longtemps.
« Watson, tout va bien se passer, le rassura-t-il. Ils n’ont aucune charges contre nous et bientôt nous serons libres. »
Mais le médecin ne semblait pas l’écouter. Il soupira et s’assit sur le sol à côté de lui, attrapant discrètement sa main. Hopkins fut poussé par Forbes qui arrivait et voulait imposer sa présence. Tous les regards convergèrent vers lui. Il toussa pour se donner de l’importance. Il ouvrit la grille et appela Gregson pour l’auditoire.
Forbes frappa la table, debout face à son ancien collègue. Ce dernier sursauta, l’air peu rassuré mais toujours aussi hostile.
« Je ne suis pas là pour avoir des réponses, commença l’inspecteur. Ça, je les ai déjà. Je dois dire que je suis déçu, je m’attendais à mieux de vous…
-Ce n’est pas vrai ! cracha Gregson.
-Ah ? Eh bien, j’aimerai avoir vos preuves. »
Le prisonnier essaya de se défaire de ses liens, en vain. Il jura.
« Et les vôtres ? Où sont-elles ?! se défendit-il. »
L’inspecteur eut un malin plaisir à voir se décomposer le visage de son coupable à la vue des lettres qu’il tirait de sa poche.
« Reconnais-tu ces lettres, Tobias ? demanda-t-il.
-Non ! Ce n’est pas possible ! Je ne les ai pas écrites ! nia l’accusé. »
Le sourire sadique de Forbes s’élargit.
« Elles sont signées de ton nom. Qui les a écrites alors ? demanda-t-il.
-Pas moi en tout cas, répliqua l’ancien inspecteur en récupérant un minimum de calme. »
Ce calme ne dura pas. Peut être à cause de la pression, peut être à cause du regard inquisiteur de Forbes, Gregson lâcha :
« Pourquoi suis-je toujours ici bon sang ! Je ne suis pas coupable !
-Qui l’est ? continua l’inspecteur dans son jeu mental. »
Et le pauvre homme en face de lui se sentait sur le point de craquer.
Au même moment, comme le fait que les prisonniers soient ensemble était considéré comme dangereux, on les transféra dans d’autres cellules. Chacun avait la sienne, en ligne, bien rangée. Tous étaient attachés à la cheville et la pièce ne dépassait pas les trois mètres carrés. Hopkins, qui le prenait comme un supplice, devait les surveiller. Il ne cessait de s’excuser sans que Holmes ni Lestrade ne réagissent. Seul le médecin essayait de le consoler, la voix éteinte, consumé par l’angoisse. Ça ne marchait pas vraiment, mais le jeune inspecteur était reconnaissant de le voir essayer.
Dans la salle d’interrogatoire, Forbes continuait son jeu mental pour faire tomber ses anciens collègues. Après maintes demandes qui pointaient toutes vers la même idée, il posa pour dernière question :
« Que s’est-il donc passé avec Gregory Lestrade ? »
Gregson le regarda, un peu perdu. Cela faisait près d’une heure qu’il était face à l’inspecteur qui tentait par tous les moyens de lui faire cracher le morceau. Alors, avec toute la pression et la peur accumulée, il déclara un peu nerveusement :
« C’est Lestrade qui m’a forcé. Moi, je ne le voulais pas mais il a insisté et m’a menacé. J’ai refusé encore mais il s’est énervé et…
-Merci Tobias Gregson, le coupa Forbes avec un sourire étrange. Ce sera tout, je vais vous raccompagner à votre cellule. »
Le susnommé avait envie de pleurer, de retirer ce qu’il avait dit, peut être même de se dénoncer… Il venait d’envoyer son amant à une mort certaine, mais la peur lui cousait les lèvres, l’empêchait de réparer son erreur. Il en voulait à la terre entière et à lui-même d’être ce qu’il était, et encore plus à son ancien collègue, son ancien ami, de l’avoir trahi d’une façon si sournoise et dégueulasse.
Sa cellule était la première du corridor. En face, il y avait un vieil homme qui avait volé et à sa droite, Watson, qui précédait Lestrade, qui précédait Holmes. Il s’agissait de la même pièce exiguë avec un seul banc en bois à moitié pourri contre le mur qui servait de lit et, dans le coin, un trou pour les toilettes. Hopkins détourna le regard en leur ouvrant la porte, mais il vit le médecin et se retourna alors, mimant la nonchalance sans tromper personne. Forbes le félicita, et ce fut pour lui le pire compliment qu’on pouvait lui faire. Il aurait voulu se révolter, mais il ne voulait pas mettre sa carrière et son intégrité en jeu. Il se haïssait de ne pas réussir à choisir dans ce dilemme. Après tout, une voix comme la sienne ne ferait rien. Mais Holmes était celui qui l’avait le plus encouragé et conseillé dans sa carrière. C’était grâce à lui qu’il se trouvait là, et il allait devoir l’escorter jusqu’à la corde. Peut être serait-ce même à lui de la passer autour de son cou ! Il était physiquement révulsé à cette idée et faillit vomir en refermant la porte de la cellule.
Seul, Gregson se sentit intérieurement heureux de ne pas avoir eu à passer devant la cellule de l’autre inspecteur arrêté, de ne pas avoir eu à croiser son regard. Il aurait demander d’être tué sur-le-champ. Ce qu’il ne savait pas, c’était que le compte à rebours était déjà lancé.

Klaim passion ne pas finir une fanfiction sur une happy end. Enfin, ça veut pas dire qu'elle ne finira pas sur une happy end plus tard... Mais pour le savoir, il faut lire la suite !

Les InvertisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant