Chapitre 11 : La trahison

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*hume l'air* Mmh la bonne odeur de la tristesse !

Forbes emmena ensuite Watson en interrogatoire. Et il recommença son manège, mais le médecin ne plia pas. Il avait les nerfs solides et ce n’était pas la première fois qu’il était interrogé pour ça. Il savait ce qu’il risquait et, malgré son bouleversement intérieur, il resta de marbre face à l’inspecteur. Il remerciait intérieurement la guerre de lui avoir donné ce sang froid quand il en avait besoin. Ainsi, Forbes avait beau essayer, poser des questions personnelles, lui demander à répétition qui était fautif pour au moins avoir Holmes, il ne fléchit pas et garda son calme. L’homme en face de lui était son opposé. Il criait, hurlait des abominations, répétait que l’homosexualité était un crime très grave, mais son prisonnier faisait comme si aucun de ses mots ne l’atteignaient. Au bout de deux heures, il abandonna et le raccompagna à sa cellule.
Lestrade était agité. Il faisait les cent pas dans la petite pièce et ne se calmait pas malgré les injonctions du détective à côté de lui. La porte s’ouvrit, et on lui ordonna d’avancer. Il avança dans le couloir, dépassa Watson, voulut regarder son amant… mais celui-ci lui faisait dos. Il ne comprit pas pourquoi. Hopkins les suivait car, après quelques mots avec Forbes, il était décidé que la garde serait relevée. Ce que le jeune inspecteur ne savait pas, c’est qu’elle ne le fut pas.
Il fut jeté sur la chaise d’interrogatoire et attaché au sol par des chaînes. Forbes commença dans le vif du sujet.
« Sachez, monsieur Lestrade, que de lourds témoignages pèsent sur vous.
-Témoignages ! Mais de qui ? s’étonna l’ancien inspecteur. »
Un sourire sournois joua sur les lèvres de son bourreau.
« Monsieur Gregson vous a accusé d’agression sexuelle envers sa personne, dénonça-t-il simplement, s’amusant de voir le visage de son ancien ami se décomposer, appréciant la colère qui jouait sur ses traits. »
Le policier le savait, il allait vite basculer.

Au niveau des cellules, tout était silencieux. Il y a avait eu un boucan d’enfer quand Hopkins était là, mais maintenant que d’autres prisonniers étaient partis par la porte du fond, qu’il ne restait que le vieillard sur la gauche et les trois hommes sur la droite, même sans garde, aucun ne voulait parler. Mais plus le temps passait, plus Watson ressentait le besoin de dire quelque chose, de juste expulser la pression. Il choisit son voisin de cellule pour interlocuteur et s’approcha donc du coin.
« Qu’avez-vous dit à Forbes ? demanda-t-il en essayant de paraître nonchalant. »
On ne lui répondit pas. Il attendit pourtant, laissant le silence le briser un peu plus. C’était pour lui presque plus douloureux que le métal froid sur ses poignets et ses chevilles. Il remarqua même qu’on ne leur avait pas enlevé leur cravate, pourtant il n’avait jamais vu de prisonniers avec des cravates, mais il se dit que Forbes était trop pressé de les faire condamner pour y avoir pensé. Comme il n’aimait toujours pas le silence, il réessaya de tirer quelques mots de Gregson qui était resté silencieux depuis son retour.
« Qu’avez-vous dit, vous ?
-Il ne vous répondra pas, répondit la voix trop grave de Holmes. »
Le médecin sentit que quelque chose n’allait. Au ton de son amant, surtout.
« Pourquoi ? demanda-t-il naïvement.
-Il dort. »
Plus Holmes parlait, plus Watson le trouvait étrange. Il sentait que son ami intime ne lui disait pas tout, mais il préféra changer de sujet, heureux d’avoir au moins quelqu’un qui lui réponde.
« Comment peut-on dormir dans un endroit pareil ! s’exclama-t-il sur le ton du rire, sans qu’il ne trouve ça drôle
-C’est ce que font les prisonniers tous les jours, répliqua son interlocuteur. »
Et Watson trouva alors ce qu’il y avait de bizarre : le détective était terriblement froid, distant et maussade. Il n’aimait pas ça.

« C’est moi, avoua Lestrade à la lampe qui agressait ses rétines. »
Il baissa la tête pour regarder l’inspecteur.
« C’est bien moi qui ait agressé Gregson, insista-t-il. Je… je suis me seul fautif dans l’histoire. »
Forbes sourit plus largement encore. Cela faisait deux heures que l’ancien policier jouait l’incompréhension et il venait enfin d’avouer. Que ce soit un mensonge ou non, il s’en fichait.
« Attendez, fit-il poliment comme s’il n’avait pas passé les dernières heures à hurler. Laissez moi taper votre témoignage. »
Lestrade hocha la tête alors que l’autre s’installait à la machine à écrire. Et il raconta tout, mentant de manière éhontée pour protéger son amant. Il ne savait pas quand exactement il avait pris la décision de mentir pour le couvrir, peut être que ça avait déjà été négocié tacitement dès le début de leur relation, en tout cas il ressentait une paix étrange à cette idée. Il avait déjà perdu sa carrière, son amant l’avait trahi, la mort, même aussi douloureuse qu’une pendaison, ne lui paraissait plus si terrible. Forbes semblait irrité de le voir de plus en plus calme. Il ressentait un grand vide.
Comme l’inspecteur avait fini de taper son rapport et se lassait du jeu mental qu’il faisait subir à son ancien collègue, il le raccompagna. Lestrade avait le cœur lourd en avançant et s’apprêtait déjà à faire face à son amant. Ou ancien amant, il ne savait plus. Chaque pas le rapprochait du couloir qu’il avait si souvent vu en tant que garde, jamais en tant que prisonnier… Il monta les escaliers à côté de l’accueil lourdement, ce qui énerva Forbes qui le poussa. Le prisonnier tomba et s’ouvrit légèrement le front sur le bois d’une marche. Il fut relevé de force et trainé jusqu’en haut. Il retomba sur le sol, fut encore relevé, et on l’approcha de la porte. On l’ouvrit, il fit deux pas, et hurla à la mort. Watson sursauta, sauta sur ses pieds et rejoignit les barreaux.
« Qu’y a-t-il ?! demanda-t-il, paniqué. »
Lestrade ne lui répondit pas. Holmes n’avait pas bougé, il avait simplement fermé les yeux. Une larme roula sur sa joue blanche et il avala sa salive, mal à l’aise. Il savait pourquoi son ami avait crié. Face à ce dernier, le corps violet de l’amant pendait à une chemise, sa chemise, qui ne couvrait plus son cadavre. Il était de face, avec la tête penchée et gonflée, la langue sortie, les yeux exorbités… il se balançait d’un côté, de l’autre, tranquillement. Forbes soupira, Lestrade était au sol, pleurant et hurlant. Il avait face à lui la culpabilité de son ancien ami face à sa trahison, et ça aurait pu réchauffer son cœur si ce n’était pas le tableau morbide de la mort.
« Tobias ! Il est mort ! répétait-il à s’époumoner, répondant enfin à la question du médecin. »
Ce dernier leva une main à sa bouche, recula, chancela et s’assit. Il pleura aussi, comme Holmes, comme Lestrade. Forbes s’impatienta et poussa son prisonnier du pied pour le faire avancer mais celui-ci ne l’entendait pas de cette oreille. Il se leva d’un bond, fit face à son bourreau, et lui cri plein de rage :
« C’est ta faute, bâtard ! Il y a des mesures pour éviter ça ! Tu ne les as pas respecté ! »
Il continua de l’insulter et essaya de l’attaquer, mais l’inspecteur s’y attendait. Il sortit son pistolet sur lequel il avait la main depuis tout à l’heure et tira vers le prisonnier.
Watson vit une gerbe rouge immense s’écraser sur le parquet, avec quelques morceaux d’os, des lambeaux de peau et des cheveux. Peu de temps après vint le corps de l’ancien inspecteur qui fit un bruit sourd en tombant. Ce fut au tour du médecin de crier. Il recula au fond de sa cellule, ses yeux rivés sur le visage tourné vers lui de son ami. Si on pouvait encore appeler ça un visage. La balle avait explosé la façade en pénétrant par le nez. De la peau pendait autour de la blessure, calciné. Un œil fut énucléé car son orbite était à moitié brisé et les nerfs qui le retenait avaient lâchés. Un unique trou laissait voir l’autre côté. Le vieillard qui était en face s’était retourné pour ne pas faire face à la mort. Une crise d’angoisse foudroyante pris le pauvre vétéran qui se terra au coin de sa cellule. Il respirait fortement et gémissait de douleur. Forbes s’approcha de la porte.
« Mais tu vas te taire oui ? râla-t-il. »
Il brandit son arme et pointa le corps de Lestrade.
« Si tu la fermes pas, tu vas finir comme lui ! »
Watson fit tous les efforts du monde pour être silencieux. Il se demandait ce que faisait son compagnon à ce moment même, sans savoir qu’il pleurait. Il ne pouvait pas l’imaginer. Peut être parce qu’il ne l’avait vu verser une larme qu’une seule fois.
Le détective était rongé par les remords et, comme les autres l’avaient fait, il se remémorait tout ce qu’il aurait pu faire pour empêcher ça. Mais la mort de Gregson et Lestrade rendait la situation atrocement réelle, et tout ça c’était bien déroulé. Il n’avait pas pu empêcher la mort de ses amis, et ne pourrait pas empêcher celle de la personne qu’il aimait le plus au monde : John H. Watson. Ce docteur vétéran de la guerre, blessé, invalide, meurtri, traumatisé, plein de ressource et de surprise, tout à fait capable, avec un sang froid à toute épreuve, une si grande loyauté pour lui, Sherlock Holmes, le détective qui ne se trouvait pas si grand, qui n’avait même pas pu le sauver avec son intellect si génial. Lui, lui, lui, lui, c’était de sa faute. Le docteur était brave, amical, généreux, chaleureux, il réconfortait toujours tout le monde, donnait un peu de lui-même aux gens et s’était donné tout entier à Holmes… et voilà ce qu’il en avait fait. Il l’avait précipité à une mort certaine, à cause de lui, à cause de ses vices. Mycroft l’avait prévenu, les sentiments n’étaient pas bons, il n’en ressortait rien de bon, mais avec John, il avait voulu y croire, se dire qu’une vie à deux, même deux hommes, était possible. Et pourtant, Mycroft avait répété pendant son adolescence que ce n’était pas bien, que les gens n’acceptaient pas ça, qu’ils étaient déjà des excentriques et qu’être des invertis seraient trop. Trop, trop, trop, Holmes en avait trop fait. Il aurait pu juste envoyer Gregson là où il pensait que Lestrade était, éviter de perdre John dans la foule du club pendant la descente, il aurait pu prévenir l’inspecteur de faire attention à sa correspondance qui l’avait trahi… mais maintenant ils étaient morts, le plus grand détective du monde avait échoué et précipité la personne qu’il aimait le plus et ses deux amis à l’échafaud. Il se sentait pire qu’en période de spleen, pire que lorsqu’il s’ennuyait, qu’il prenait de la cocaïne. Il lui vint même à l’esprit qu’il aurait dû s’y tenir, à la drogue, et ne pas prendre de colocataire, ne pas rencontrer Watson, ni madame Hudson, ne pas se mettre à enquêter même. Peut être son ami intime aurait pris le chemin de son frère, serait devenu alcoolique et mort suicidé avant ses trente ans, peut être madame Hudson aurait trouvé un locataire bien moins contraignant et énervant, et, pour sûr, Lestrade et Gregson seraient encore vivant.
On frappa au barreau de la cellule de Holmes avec une matraque. Le bruit résonna douloureusement dans son crâne.
« À votre tour monsieur Holmes, lança un inspecteur qui, pour le bonheur infime du criminologue, n’était pas Forbes, trop occupé avec les corps de ses anciens collègues. »
Il fut interrogé par cet inspecteur qui tapa minutieusement son témoignage. Un témoignage qui excluait sa relation avec le médecin, qui excluait son homosexualité, et qui ne mentionnait même pas la relation des cadavres. On le raccompagna une heure plus tard en le remerciant. En passant devant Watson, il s’arrêta et lui jeta un long regard appuyé. Il n’avait plus rien de brave ni de glorieux, c’était juste une ombre dans un coin, livide, les yeux vides. L’inspecteur s’approcha.
« Vous voulez lui parler m’sieur Holmes ? demanda-t-il doucement. »
Le susnommé acquiesça en se laissant tomber à genoux, attirant l’attention du seul objet de ses pensées.
« Je ne peux pas vous laisser seuls, par contre, commenta le policier en allant s’asseoir sur la chaise tirée contre la porte de l’autre côté. »
Watson s’approcha de Holmes et demanda à voix basse :
« Gregson est vraiment mort ? »
Sa voix ne défaillit même pas, mais elle était si faible et si vide.
« Oui, répliqua Holmes. Lestrade aussi. »
Le docteur frissonna.
« Je l’ai vu, oui, murmura-t-il. »
Il lança un regard au policier qui ne les regardait pas er embrassa furtivement son amant dont le visage se trouvait trop près de la cloison qui les séparait. Ils savaient tous les deux que ce serait sûrement leur dernier baiser, et cette pensée le rendait plus amer encore.
« Alors c’est la fin ? questionna Watson nonchalamment, comme s’il demandait s’il allait bien – ce qui était une question ridicule.
-Oui. »
Et avec ça, Holmes se leva, rejoignit sa propre cellule et demanda à ce qu’on le fasse rentrer, laissant son amant froid et cellule. Mais il ne supportait pas de le voir ainsi, réduit à un vulgaire criminel, si faible, si différent. Et il savait surtout qu’il ne supporterait pas de le voir se balancer au bout d’une corde.
Plutôt mourir.

*sort les cotillons* LA JOIE ! Si vous en voulez plus, rendez-vous au prochain chapitre !

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