IV

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Dès que sa mère avait commencé à le maltraiter, Nick n'avait jamais rien eu pour se réconforter. À la maternelle, tous les enfants le snobaient, ou avaient peur de lui, à cause des multiples bleus qui recouvraient son corps. Ils le prenaient pour un "monstre mutant", car personne d'autre n'avait ces étranges marques sur son corps ! Les professeurs trouvaient cela étrange également, et essayait de faire parler le petit ; mais il était tellement tétanisé à l'idée qu'eux aussi, ils le prennent pour une telle créature, qu'il ne disait rien, à part : « Ma maman me frappe, mais c'est pas grave, madame, ça ne fait pas de moi un monstre... ». Ils voulaient l'aider, mais malheureusement, ils ne pouvaient rien faire.

Alors, il n'avait aucun ami. Parce qu'ils ne comprenaient pas qu'une mère puisse frapper son fils ; ils disaient simplement qu'il mentait pour cacher sa vraie identité. C'était un montre, et un menteur. Nick ne comprenait tout de même pas pourquoi ils le prenaient pour ça : pleins d'enfants tombent, se font des égratignures, et ont des bleus. Peut-être parce que les siens étaient beaucoup plus importants, et à des endroits pas totalement anodins ? Il est vrai qu'il était rare qu'on tombe sur le visage sans se faire extrêmement mal, et encore moins plusieurs fois, à des endroits auxquels la souffrance pouvait être assez énorme...

Lors de la primaire, c'était la même chose. Les enfants avaient mûri, et pouvaient comprendre le fait que certains pouvaient se faire battre par leurs parents ; ce n'était pas pour autant qu'ils éprouvaient de la compassion. Apparemment, dans la ville de Moonstone, tout le monde juge tout le monde, et pourquoi être compatissant avec le sort de quelqu'un, se montrer bienveillant, quand on peut se moquer de ce qui lui arrive ? Cette ville ne renfermait que des gens fermés d'esprit, qui se croient toujours supérieurs à leurs amis, à leurs voisins, à leurs concitoyens. Les habitants étaient en compétitivité constante. Ce genre de personnes ne sortaient jamais de la ville, car ils perdraient toute leur puissance. Cette mentalité que renfermait l'agglomération, Nick l'avait remarqué bien assez tôt, dès qu'il entendit les premières moqueries. Il n'oublierait jamais ces mots, qui furent égaux à tout ce que sa mère avait pu lui faire depuis le début : « Retourne dans ton taudis, sale clochard. Ici, on a pas besoin de gens comme toi ; retourne te faire tabasser par ta mère, ça prouve à quel point t'es une merde. » Et ces mots avaient été prononcés par un môme de huit ans.

Ces paroles l'avaient profondément blessé, mais également fait réagir. Il avait, pendant toutes ces années, encore gardé un léger espoir de se faire un ami ; il s'était rendu compte que finalement, c'était impossible, car peu de personnes montraient qu'ils le haïssaient au fond d'eux. Ou alors, ils jouaient avec ses sentiments, essayaient de gagner sa confiance pour le détruire ensuite : cela était tellement facile pour eux, vu sa fragilité. Suite à ce qu'il subissait, il avait décidé qu'il jouerait et se réconforterait tout seul.

Moonstone avait en son centre une immense forêt, qui était un peu la source de la ville, où il y avait tellement d'arbres que la lumière avait beaucoup de mal à passer entre les feuilles. C'était donc une forêt plutôt sombre, et évidemment, beaucoup de rumeurs couraient à son sujet. Elles étaient justes destinées à faire peur ; on racontait que plusieurs habitants n'auraient jamais revu la lumière du jour car cette forêt regorgerait de créatures plus étranges les unes que les autres que jamais quelqu'un n'oserait découvrir -- ou du moins, il ne pourrait pas. Nick ne croyait évidemment pas à toutes ces rumeurs, il n'était pas aussi superstitieux. Mais elles l'arrangeaient, dans un sens, car il savait que s'il irait là-bas pour se réfugier et se détendre, personne ne viendrait l'embêter. Personne ne saurait l'endroit de sa cachette.

La forêt ne regorgeait pas uniquement d'arbres et de plantes, et de ces soi-disant créatures que Nick n'avait jamais vues : il y avait aussi une grande clairière, avec une herbe bien verte et quelques fleurs anodines, ainsi qu'un assez grand lac. Le jeune garçon décida alors que cet endroit ne serait rien qu'à lui seul, et il la considéra son petit coin de paradis. Alors, non loin du lac, pour pouvoir profiter du paysage, il construisit une petite cabane, juste assez grande pour lui, et peut-être un jour un ami, avec les matériaux qu'ils trouvaient ici et là dans cette gigantesque forêt. Elle devint comme sa seconde maison, qui était plus chaleureuse et accueillante que l'originale. Et même en grandissant, au collège, au lycée, il continua d'y aller ; il l'avait peut-être construite en étant enfant, mais il s'y sentait toujours mieux que dans son vrai chez-lui.

Il n'avait jamais pu montrer cet endroit à quelqu'un, car soit il avait peur encore de ces rumeurs -- il ne savait pas pendant combien de temps elles allaient encore tourner, mais apparemment, pendant très longtemps --, soit il avait peur que les seuls amis qu'il puisse avoir le prennent pour un gamin à encore aller dans une vieille cabane d'enfance. De plus qu'il devrait s'en débarrasser, car elle a été construite lorsqu'il était seul, et maintenant, il avait des amis, elle était inutile ! Sauf que ces personnes ne comprenaient évidemment pas que même en étant entourées de personne, on peut encore se sentir seul et délaissé, surtout quand elles continuent de se moquer de vous et de faire comme tous ceux qui ont causé la construction de cette cabane...

Mais il avait finalement décidé de la montrer à quelqu'un. Car il savait que cette personne, elle comprendrait pourquoi il l'a construite, et pourquoi il y va toujours. C'était bien évidemment Kyle ; alors, après les cours, il lui proposa de faire un tour avec lui. Le blond ne se doutait pas qu'il allait l'emmener dans la forêt, même s'il trouvait que c'était finalement un endroit plutôt charmant pour se balader. Il l'emmena directement dans la clairière, sans prendre le temps d'admirer les arbres majestueux qui l'entouraient -- il les avait vus des milliers de fois, après tout --, et montra du doigt sa cabane.

« Ca, tu vois, c'est un truc que j'ai construit quand j'étais gosse, à peine huit ans, je crois. Parce qu'on m'a dit que j'étais qu'un sale clochard et que j'aurais jamais d'ami. Du coup, j'ai eu besoin d'un endroit à moi, dans lequel je me sentirais bien, en sécurité, loin des autres, loin des moqueries. Je pensais que j'allais m'en débarrasser en vieillissant... Mais non. J'y vais toujours, car ce sentiment de sécurité et de bien-être quand j'y suis ne pars pas. Je l'ai montrée à personne, car j'en avais honte. Mais je voulais te la montrer, à toi, parce que tu es quelqu'un de compréhensif. »

Kyle lui adressa un grand sourire à ces paroles, étant heureux au fond qu'il lui fasse confiance, au point de lui montrer quelque chose que personne n'a jamais vue. Mais évidemment, son côté froid et fier reprit le dessus, et il dit d'une simple voix :

« Au moins, tu as de quoi oublier toutes ces choses autour de toi...
- J'aimerais que des fois, on y aille à deux, pour s'échapper du monde qui nous entoure.
- Pourquoi pas. On pourrait apprendre à se connaître, grâce à ça... »

​​​​​​​Ils passèrent finalement le reste de la journée à l'intérieur, à discuter de tout et de rien, surtout pour apprendre à se connaître l'un l'autre. Nick commençait vraiment à lui faire confiance, et il sentait qu'il ne s'était pas trompé. Cette cabane lui apportait déjà du bien-être, mais à ce moment-là, rien ne pouvait être mieux.

Ardeur Sentimentale - [FR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant