Ardeur Sentimentale - [FR]

XIV

Kyle, pour la première fois depuis son enfance, était en pleurs. Il s'en voulait plus que tout. À chaque fois, il avait essayé de se rassurer en se disant qu'il se faisait sûrement des idées, que Nick ne souffrait pas autant qu'il le pensait, du moins, pas pour ça, et que ce n'était pas de sa faute. Mais maintenant, avec ce qui s'était passé cette journée, il ne pouvait pas continuer à se rassurer ainsi : tout était bien de sa faute.

C'est lui qui, depuis plusieurs jours, était responsable de sa tristesse. C'est lui qui, depuis plusieurs jours, le faisait souffrir. C'est lui qui, depuis plusieurs jours, était la source de ses pleurs, de ses cicatrices qui ressortaient sur ses bras. Il aurait aimé le nier encore, pour se rassurer, se donner bonne conscience ; il n'était pas un ange et il le reconnaissait, mais il n'arrivait pas à se dire qu'il faisait du mal à la personne qu'il... aimait. Au moins, il avait enfin réussi à se faire une raison sur ce point-là. Mais la douleur qu'il lui provoquait, il ne pouvait plus la nier comme avant. Sur ça aussi, il s'était fait une raison.

Il aurait voulu le voir, le prendre dans ses bras -- pourtant, il n'était pas quelqu'un de tactile --, et s'excuser, encore et encore, lui dire qu'il avait raison, tout était de sa faute, mais qu'avec tout cela, il avait enfin réussi à se dire qu'il l'aimait. Le seul problème, c'est qu'il ne savait pas où il était. Bien sûr, il avait pensé à sa cabane ; mais il était tellement pris par les émotions quand il l'a vu avec Pirmin, qu'il se disait qu'il devait être parti sans but précis.

La seule chose qui pouvait le détendre à cet instant, était encore un joint. A vrai dire, il ne pouvait pas s'en passer, et le fait qu'il ait la sensation que cela le détendait était juste en réalité une impression ; c'était juste une idée qu'il se donnait en le fumant. Il en prit plusieurs, pensant à chaque fois qu'il n'en avait pas eu assez ; il ne dormit pas de la nuit, l'effet du cannabis étant finalement trop puissant pour qu'il puisse avoir une nuit de sommeil.

Le lendemain, il devait aller en cours, mais il n'avait pas vraiment la force d'y aller, car il savait que Nick ne serait pas revenu. Et même si récemment, il avait passé la plupart de son temps avec Pirmin, une journée sans le brun était difficile. Après tout, c'était le premier à l'avoir accueilli.

« Kyle ! » Hurla une voix dure et froide, qui ressemblait légèrement à la sienne, mais qui était celle de son père, « Y a une lettre pour toi ! »

Une lettre pour lui ? Il ne savait pas à quoi cela rimait, car, qui pourrait bien avoir envie de lui envoyer une lettre ? Mais bon, parfois, il pouvait être vraiment bête, et long à la détente, car seul Nick connaissait son adresse ; et l'idée que ce soit lui ne lui vint à aucun moment en tête. Il vint tout de même la prendre, et resta sur le palier pour la déchirer et l'ouvrir.

L'écriture était soignée et claire, mais tremblante cependant, et quelques gouttes d'eau étaient venues brouiller l'encre : ce ne pouvait être que des larmes. Elle venait de la personne qu'il voulait absolument revoir.

Cher Kyle,
Je suis parti de façon lâche hier, je le reconnais, et c'est sûrement ce que tu dois penser de moi. Du moins, je ne peux pas penser à ta place. Mais Kyle, il faut que tu saches, même si je pense qu'avec tout ce qui s'est passé, tu as dû comprendre (à moins que tu sois plus bête que je ne le pense ?). Je suis amoureux de toi, je crois qu'en réalité, je suis tombé amoureux de toi dès la première fois que je t'ai vue. C'était seulement pour ton physique, mais à présent, c'est pour tout, c'est pour toi, je t'aime pour qui tu es. À chaque fois que je te vois, je me mets à rougir, et je ressens une multitude de papillons dans mon ventre, des sortes de sueurs qui ne sont pas si désagréables, je souris bêtement, mais après tout, cela me procure un bonheur fou. Je sais que ce que je ressens en te voyant, c'est l'amour. Je sais que je ne suis qu'un garçon dépressif, anxieux et anorexique, que je n'ai rien d'attirant comparé à Pirmin, mais peut-être que tout cela ne doit avoir aucun impact sur l'image que tu as de moi, du moins, je l'espère. Alors, si tes sentiments sont réciproques, viens me chercher à l'endroit que tu connais aujourd'hui, et si ce n'est pas le cas, oublie-moi, et le reste de la Terre m'oubliera avec toi.
Nick.

Kyle était presque ému par cette lettre ; Nick l'avait incroyablement bien écrite, et il ne pensait pas qu'il regorgeait de tels talents. Mais ce n'était pas le sujet, pour le moment. Il ressentait à nouveau le poids de toute cette culpabilité sur ses épaules, sa mention de "lâcheté" par rapport à la veille l'ayant frappé en plein cœur. Et le fait qu'il sous-entende d'envisager le suicide n'avait pas arrangé son cas.

Car s'il se tuait, ce serait de sa faute, et il ne pouvait vivre avec un mort, surtout sa mort, sur la conscience.

Mais après tout, il l'aimait, non ? Alors, il n'avait nul besoin d'avoir peur pour cela. Parce que, s'il venait le voir à sa cabane, il ferait sûrement de lui l'un des garçons les plus heureux du pays, ou même de la planète, et pour lui, le bonheur du brun n'avait pas de prix, et était la chose qu'il chérissait le plus au monde.

Oui, lui aussi, était amoureux. Pas amoureux de Pirmin, comme il avait essayé de se persuader, mais de Nick. Il n'avait jamais connu cette sensation que procurait l'amour, ou du moins, il n'avait pas réussi à déchiffrer que les rougeurs et les papillons qu'ils ressentaient étaient l'amour. La missive de son "ami" n'avait fait que le confirmer.

Il devait le voir, il ne pouvait pas l'oublier. Son père allait lui demander de qui était cette lettre et de quoi il parlait -- car il n'en avait jamais reçu auparavant, même en France --, mais il n'eut même pas le temps, car son fils venait de quitter la demeure, ayant mis la lettre dans sa poche, et s'étant mis à courir en direction de la clairière qui renfermait la cabane de son bien-aimé.