Chapitre n°4: Juste une faute

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Il m'intrigue, c'est tout ce que j'arrive à penser de lui. Un professeur comme ça, c'est trop beau pour être vrai. Pourtant, je sais au fond que je n'arriverai pas à le blairer, mais pour je ne sais quelle raison. Pourtant il a tout pour se faire apprécier, il est beau, gentil, serviable, courageux, flatteur. Mais j'ai un sentiment bizarre envers lui, c'est comme de la haine, mais en moins fort, c'est comme de l'admiration mais en plus fort. Je n'arrive pas à savoir ce que c'est.

Le vent frais de l'automne se laissait tournoyer au beau milieu de la salle de classe. Il laissait d'ailleurs une ambiance fraîche au sein de tous. Les fenêtres ouvertes, ma curiosité ne pouvait m'empêcher de regarder tout ce qu'il se passait dehors. Mais à part des corbeaux et pigeons qui se battent dans la cour de récré et un ouvrier qui traverse cet endroit si calme doté d'un chariot transportant des cagettes de fruits en direction de la cantine, il ne se passait pas grand chose d'intéressant. Et je ne pouvais dire que le cours en face de moi était plus intéressant.

Monsieur Brown nous avait donné des exercices à faire dans notre cahier d'exercices. Je me demande d'ailleurs pourquoi car les exercices étaient, pour moi, dignes d'un cours de primaire. Nous devions choisir entre mais/mes/met pour chaque phrase. Et étant donné mon niveau "supérieur" en français, c'était pour moi un jeu d'enfant. Même si je savais qu'il m'arrivait parfois de me tromper là dessus par erreurs d'inattention.

-Et surtout, n'oubliez pas de m'appeler dès que vous avez fini pour que je vienne vérifier! insista Monsieur Brown en me regardant principalement.

Ce qu'il nous faisait faire était un travail individuel, enfin, certains pouvaient le faire en binôme s'ils le souhaitaient, mais je n'avais personne à mes côtés. Marguerite m'appréciait, mais elle avait d'autres amies. Le travail se faisait surtout en bavardages. Pendant dix à quinze minutes, la classe se transformait en zoo. Tous les élèves (sauf moi) discutaient. Entre quelques qui se disputaient pour savoir qui avait raison pour la cinquième phrase, et d'autres qui parlaient de leur week-end, se concentrer était mission impossible. Mais j'y suis parvenue.

Je levais timidement la main en attendant l'attention du prof. Il parvint à moi une dizaine de secondes après.

-Oh, tu as fini Lindsay? me demanda t-il alors que la réponse était évidente.

J'acquiesçais d'un signe de la tête et il vint à mes côtés.

Je voyais son regard concentré dans l'exercice qui ne regorgeait pas de fautes... enfin presque....

Son doigt pointa un mot que j'avais sûrement mal écrit.

-Là tu t'es trompée. On ne met "met" avec un t seulement quand c'est le verbe.

-C'est pas si grave après tout, ce sont des exercices de primaire. dis-je sèchement.

-Ça mérite un coup de règle. dit il avec humour.

Je n'eut pas le temps de comprendre la logique de sa phrase qu'il pris ma règle posée sur ma table d'une main et me l'effleura sur le haut du crâne.
Par surprise, je poussa un petit "aïe" qui fit ricaner le professeur.

Voilà ce qui est d'ailleurs un emblème de ce professeur, le fameux "coup de règle" qui le définit si bien et nous rappelle de profonds souvenirs, douloureux mais amusant.

Sur le coup je le regardais, apeurée par le mouvement surprise qu'il venait d'appliquer sur moi.

-À force de t'en prendre tu n'oseras même plus faire de fautes, crois moi. affirma t-il fièrement.

Bonne technique, mais..
Je trouvais sa logique tellement enfantine. Pourquoi des coups de règle? S'est-il fait frappé durant toute son enfance et nous fait donc reparaître sa douleur du passé? Ces questions idiotes me turlupinent l'esprit. Par ailleurs, pourquoi ces questions me paraissaient tellement évidentes à être posées?

Il me termina en ajoutant:
-En tout cas, à part cette petite erreur, tu écris très bien. Continues comme ça.

Je sentais mes joues chauffer légèrement. Ça m'arrive toujours quand on me fait un compliment.
Je lui répondit merci d'un signe de la tête.

Il pouvait tout donner je ne l'apprécierai pas en échange.

Je ne sais pas d'où sort cette haine.

Je grommelais dans mon coin de ce temps automnal en ce jour d'octobre. Assise sur les escaliers qui donnaient au bâtiment A, je regardais la pluie pénétrer les pages de mon cahier pour y brouiller les phrases et les calculs.
Au bout de cinq minutes en exposition sous la pluie, je décida de rentrer dans le bâtiment A, en attendant patiemment que les choristes terminent leur chant. C'est à dire que dans ma classe il y a une fille, Collyne, une petite chinoise, qui chante fabuleusement bien, et malgré ma timidité, je comptais la féliciter pour son talent.
Mais alors que je m'apprêtais à m'aventurer dans le couloir sombre du bâtiment A, je fis un pas en arrière.
Là, au bout du couloir, se trouvait Monsieur Brown, et le pire de tout c'est qu'il se dirigeait en ma direction.
Les traits de son visage venant d'Asie du Sud montrait sa bonne humeur.
Sans hésiter je retournais sur mes pas jusqu'à là où je m'étais posée au début, en espérant qu'il ait fait demi-tour.
Je me tournais les pouces en attendant que la voie soit libre, mais dommage, il est venu tout compte fait. Il passa à côté de moi en me lançant un regard imposant puis il dit:

-Oh Lindsay, tu es toute seule?

-Bah oui. lui répondit-je par habitude.

Puis il s'en alla bredouille, comme si il savait que j'attendais quelqu'un, et en aucun cas lui.

Pourquoi se torture t-il à me poser des questions aussi évidentes? Bien évidemment que je suis toute seule!

Je le vis s'en aller à l'arrière-cour du collège. L'arrière-cour était un endroit malfamé à ce que j'ai entendu, c'était sale, souvent inondé de boue et de vieux mégots. On y raconte que personne n'a vu le sol en béton propre depuis des millénaires. C'était l'endroit parfait pour les profs fumeurs. Les élèves y étaient interdit d'accès (sauf les enfants des profs évidemment). Les  personnes fréquentant souvent cet endroit étaient mon prof d'anglais, Monsieur Smith, un bigleux avec une frange et qui est aussi gras que du beurre salé, ainsi qu'une autre prof d'anglais dont je ne connais pas le nom. Monsieur Ruzzo, un autre prof de français très gentil mais un peu solitaire, cheveux châtains, assez petit mais très amusant. Il y avait plein d'autres profs aussi, mais je ne sais pas grand chose sur eux. Cette arrière-cour était aussi un grand parking pour les profs qui n'arrivaient jamais à trouver de place devant le collège. C'est dommage pour Monsieur Brown car les gens qui fument ne sont vraiment pas les gens que je préfère.

Collyne arriva. Je l'interpellais malgré moi. Elle fut confuse car je ne lui ai jamais vraiment parlé.

-Salut Collyne.. euh... je voulais te féliciter pour la chorale, tu as une voix merveilleuse... commençais-je.

-Ohh merci Lindsay, c'est adorable!

Je la quitta des yeux quelques secondes pour ensuite lui dire à bientôt. Et je partit me réfugier sur ces fameux escaliers devant le bâtiment A.

Mission accomplie.

Coup de Règle [Tome 1] (Relation Prof-Élève)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant