6. Panade et frites de minuit

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On a fini par s'arrêter,  épuisés par l'inutilité de nos actions. Là, on a trouvé un autre bar : un peu petit, pas mal miteux, on est rentrés, on s'est assis, on a pris une pinte, j'l'ai pas finie.

On a voulu m'en offrir une autre, j'ai refusé poliment, on a insulté ma condition, mon prétendu snobisme, et, j'pense qu'il était excédé Mike parce qu'il a foutu un coup de poing à ce gentleman délavé. 

Ça allait dégénérer, il avait le nez en sang, tu sais ! J'étais touchée mais je ne savais pas vraiment si c'était pour moi qu'il l'avait fait. 

J'l'ai extirpé de là, Mike, tant bien que mal alors que son œil gonflait et on a boité dans les rues comme deux pièces de puzzle qui n's'emboîtent pas mais qui s'efforcent à essayer quand même.

On a ri comme on n'avait jamais ri ensemble, sans toi et sans Anna. On a ri de la vie qui déraillait avec frénésie et au final, on a passé le reste de la nuit à courir à la recherche du bonheur, on s'est arrêtés dans un petit fast-food qui ne fermait pas, on a commandé des frites et, tandis que l'univers entier s'effrite, on a mangé.

Puis là, tu vois, pile au moment où tout avait perdu son sens, mon regard a croisé celui d'une petite fille. Elle, elle marchait avec ses copines et, nous, on venait de reprendre le chemin de notre colocation de fortune sous un soleil déjà levé depuis trop longtemps.

Elle riait et moi aussi je riais et j'me suis dit qu'on riait pas de la même chose et qu'on était pas aux mêmes phases de l'existence. J'me suis dit que j'avais connu le sien de rire, insouciant, dans ma condition d'petite fille privilégiée de l'extérieur, enfermée dans une micro-réalité qui s'ouvre avec le temps et, j'me suis demandée si elle connaîtrait le mien, si elle trouverait le beau dans la vie même si elle lui présente ses mauvais côtés...puis on a traversé, j'ai perdu ses yeux et j'me suis concentrée sur ma route.

J'me dit que y'aura peut-être une déroute mais qu'au fond, au fond, y'a pas de bien sans mal, de vrai sans faux et de bonheur sans souffrance. J'me suis dit : ''Oui, on est condamnés à vivre dans un quotidien distillé. Ouais, on ne connaîtra jamais que la joie. Certes, on vivra avec les yeux à demi fermés et on pleurera, ouais on pleurera beaucoup ! Puis, on vieillira ou, en tout cas, on mourra."

Puis, je devais penser super fort car Mike m'a questionné du regard alors j'lui ai répété et on s'est dit, mutuellement, que, ouais, c'est ça la vie.

Dans la Ville LumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant