0.

66 3 10
                                    


Jeudi 26 Novembre 2016

     Le temps passe vite. Tu ne trouves pas ? Contrairement à ce que je croyais, me détacher de toi n'était pas si difficile, au final. En vérité, j'avais beaucoup de choses à faire. C'est étonnant, je l'admets. Comment résumer l'année écoulée ? Après mon licenciement, j'étais si en colère contre le monde que j'ai passé deux mois enfermée à ne voir personne. Et, évidemment, personne n'est venu me voir en contrepartie. Juste moi, ma télé et ma haine. Je ne sais pas si cet isolement m'a été bénéfique. Pour être honnête, je m'en fous. Je me fous de tout. Même de toi, tu vois.

      Après ces deux mois à être réduite à ce mode de vie primaire, constamment enroulée dans une couette, des biscuits à la main, je me suis dit qu'il faudrait peut-être bouger mon cul. C'est bien beau cette vie d'ermite, je l'admets. Mais la réalité n'est pas là. Et elle vous rattrape bien souvent. Malgré l'argent qu'on me versait pour compenser mon brusque licenciement, j'avais du mal à vivre correctement. Surtout que cette vie inactive ne m'était pas du tout adaptée, tu dois le savoir. J'ai besoin de bouger. C'est pour moi aussi vital que respirer. Alors l'envie de m'inscrire à cette salle de sport, à deux rues de chez moi m'a soudainement démangée. Pour ça, ma stupide compensation ne suffisait pas et il fallait que je me remette à travailler. Je vais être franche, je pensais sincèrement que décrocher un job allait me couter plus d'efforts. Une jeune femme de 24 ans avec pour seule expérience un an et demi passé dans la brigade policière du quartier, je n'avais pas beaucoup de chance d'être embauchée. Je ne sais pas quelle chance était avec moi le jour où j'ai postulé pour être la nouvelle secrétaire du dentiste, l'ancienne ayant démissionnée la semaine précédente. Cet homme est connu pour être littéralement imbuvable avec son personnel et parfaitement hypocrite avec ses clients, mais t'en pis. De toute façon, qu'il ait été gentil ou non, je ne l'aurais pas apprécié. Le travail, c'est le travail. La vie privée n'a pas à y entrer. Et puis, secrétaire, c'est un bon métier pour moi qui veut limiter au maximum le contact avec l'être humain. Il y a ce bureau, tu sais, qui te protèges de l'individu en face de toi. Cinquante centimètres de bois dur, ça a le don de rassurer. Et puis, pouvoir rentrer dans sa bulle chaque fois que cet homme abject a besoin de cracher la haine qu'il éprouve pour sa vie minable est un luxe. Rien de bien extraordinaire en soit, mais tout ce qui ne sort pas de l'ordinaire est bon à prendre. C'est un schéma simplifié, Journal, mais voilà en bref comment j'ai tué mon temps. Je crois que la salle de sport m'a fait du bien au moral. Je me suis même inscrite aux cours de self-défense en me faisant passer pour une débutante perdue, histoire de revoir les bases. Un retour aux sources ne fait de mal à personne.

     Je commence à avoir mal à la main, déjà qu'avec mon travail je dois écrire à longueur de journée. Je vais abréger un peu, parce que je sens que toi aussi, tu t'ennuis.

     Donc, comme tu as pu le voir, j'ai essayé au mieux de reprendre une vie de jeune femme normale. Je me suis habituée à mon nouveau travail, à mon patron et sa voix stridente, à mon nouveau rythme de vie. Et la police, je ne voulais pas en entendre parler. Je ne veux d'ailleurs toujours pas en entendre parler.

     Je sais que m'accrocher ne sert à rien. Ma frustration s'en ira un jour, j'ai conscience de cela. Alors me plaindre et me rappeler sans cesse est inutile. Mais pourtant... Je ne sais pas, j'ai besoin de me le dire. J'étais une des meilleures. Journal, je n'exagère pas, pas même pour flatter mon égo ou quoi. J'étais vraiment indispensable à cette équipe. Mais ils m'ont lâchée. Un jour, je me suis assise devant mon bureau où traînait cette stupide lettre. Stupide lettre dans laquelle on m'expliquait que mon investissement devenait trop compliqué, voire dangereux pour l'équipe. Dans laquelle on a même osé me dire que le licenciement était la seule solution, mais que je ne souffrirais pas d'un quelconque manque d'argent, non madame ! Comme si un job pouvait se remplacer par un versement banquaire. Non, je leur en ai voulu. Et malgré l'année écoulée, je leur en veux encore. Je suis partie sans même un adieu et depuis, je lève mon majeur bien haut dès que je suis contrainte à passer devant le poste. Foutus lâcheurs. Foutues poules mouillées, oui ! Ce jour-là, ils ont perdu un si bon atout, je leur souhaite d'en pleurer encore aujourd'hui ! J'espère même que la plupart se sont fait virés, tien. Ironie du sort, un coup de roue dans la gueule. Je ne sais pas si elle tourne vraiment, mais eux ne mériteraient que ça.

Moonless NightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant