Moonless Night

10.

 Le paysage filait à la vitesse des pensées de Valérian. Trop rapides pour qu'il puisse en saisir le sens, en apprécier la diversité. Les arbres, les rivières, les villes défilaient sous ses yeux, comme le doute, l'appréhension et la peur prenaient place dans un coin de son esprit. Le trajet fut court et long à la fois. Valérian n'aimait pas rester immobile, à ne rien faire trop longtemps. C'était ce qui l'agaçait de plus avant que cette affaire n'éclate. L'ennui, le manque de dynamisme. Maintenant... Regrettait-il ? Avait-il envie de revenir à ce temps où il s'asseyait à son bureau tout en sachant que rien ne le surprendrait de toute la journée ? Voulait-il retourner à ces heures toutes plus longues les unes que les autres où rien ne se passait jamais ? Mais ce temps où Gareth et les autres étaient encore là, où il n'avait pas cette peur constante de mourir au creux de l'estomac.

Non. Quoiqu'il se soit passé, quoiqu'il ait perdu, Valérian ne regrettait rien. Cela pouvait être terrible à dire, et il s'en voulait, mais ce n'était pas l'heure de regretter. Il le ferait lorsqu'il serait un vieillard. S'il parviennait à vivre jusque là. Il n'avait pas le temps. Même si le souvenir de Gareth lui était douloureux, il savait que la seule chose à faire était d'avancer. Rester en vie, si possible. Mais continuer là où il n'avait pas pu le faire. Parce que Gareth était mort avec ses rêves. Des rêves qu'il n'achèverait jamais. Et c'était cela que Valérian ne tolérait pas.

Peut-être parce que lui n'avait jamais eu l'occasion d'en avoir, des rêves. Des vrais rêves. Pas de se réveiller un jour et d'être riche, beau et aimé. Non. Pas ces choses futiles qui ne servent qu'à rendre l'humain plus pourri qu'il ne l'était déjà. Mais le genre de rêve qui vous pousse à vous lever le matin, à vivre chaque jour comme un combat. Le genre de rêve qui se reflète dans les yeux. Il n'avait pas cela. Il avait cherché, cherché encore. Mais rien ne l'animait. Rien à part une furieuse envie de vivre. Pas de rêve, aucun espoir. Éradiquer le crime, ce n'était pas une fantaisie. C'était de la pure folie, une douce illusion à laquelle on ne croit pas. C'était cela qui le faisait quitter son lit tous les matins, mais il avait cessé d'y voir un réel échappatoire. 

 Gareth était mort avec le sien, enterré avec lui. C'était cela qui le rendait triste, plus que toute autre chose. Ce gamin avait eu une chance qu'il n'avait pas. Et on l'avait tué avant qu'il n'accomplisse ce pourquoi il était là.

L'arrêt du train interrompit le cours de ses pensées. Il prit ses bagages et suivit Darwin pour descendre au terminus. La gare était très grande, bien plus que celle qu'ils venaient de quitter. Downe était à l'opposée de Glanton. Tant de lumières artificielles, de vie, d'humains.

-On reste groupés les enfants, recommanda le lieutenant. Je ne veux perdre personne.

Il avait cette manière de parler qui donnait à Valérian l'impression d'être de nouveau un pauvre petit gamin. Il se sentait rajeunir, revenir au temps de l'innocence. Xopher n'appréciait toujours pas ce qu'il devait considérer comme un manque de respect envers son expérience et son âge et se crispait, comme chaque fois. Pearl s'était endormie pendant le trajet, telle l'enfant qu'elle paraissait être. Ses yeux bouffis de fatigue étaient plissés sous la luminosité du hall central de la gare. Étourdie, elle se cognait contre les passants et s'empressait de s'excuser, avec tout de même quelques instants de retard dû à ses réflexes encore lents. Valérian prit délicatement sa petite main et la guida à travers la foule de voyageurs pressés. Ils trouvèrent enfin la sortie de ce qui ressemblait plus à un labyrinthe qu'à une gare et prirent un taxi.

-C'est encore conventionnel de sonner chez elle à cette heure, dit Jill en consultant sa montre.

-Si elle nous ouvre, grimaça Valérian, emplis d'inquiétude au fur-et-à-mesure que leur destination se rapprochait.