Pénétrer dans le salon de thé était angoisseusement simple comparé à leur inquiétude croissante. Assise dans son fauteuil roulant, une femme coiffée d'un chignon serré sirotait en silence son thé. Tenant sa tasse du bout des doigts, elle finit sa gorgée sans se presser tandis que ses deux invitées attentaient du seuil son approbation. La tasse fut reposée sans un choc sur la coupelle en porcelaine. Nathalie commençait à se sentir malade... Son ventre se tordait d'appréhension. Qu'est ce qu'elle leur voulait? Pourquoi cette convocation si soudaine?
Tournant légèrement son visage vers elles, la vieille femme les détailla de haut en bas. Le ventre de la jeune fille se contracta douloureusement tandis que son estomacs entreprenait de faire un autre looping. Les lèvres pincées, la vieille femme leurs fit signe d'avancer. Madame De Trévor était encore impressionnante pour son âge. Et personne n'irait vous dire le contraire. Elle effrayait jusqu'à son mari, Nathalie en était persuadée! Suivant sa mère qui entreprit de s'avancer la première, la jeune fille pria une dernière fois pour que tout se déroule au plus vite.
Assise sur le bord de sa chaise, Nathalie n'osait plus bouger. La tasse fumante devant elle ne lui faisait pas le moindre effet. Elle n'avait pas soif et certainement pas envie de boire quelque chose ici et maintenant. Pourtant, sous le regard inquisiteur de sa grand-mère, elle ne put que se forcer à porter l'étrange mixture à ses lèvres. Nathalie ne buvait pas de thé. Elle n'avait jamais aimé cette eau chaude parfumée. Néanmoins, encore pour faire plaisir à son ainée, et pour échapper aux réprimandes, elle se forçait à le laisser glisser dans sa bouche, le long de sa langue et de son gosier. Le bruit d'une cuillère sur la porcelaine la força à relever la tête. Sa grand-mère fixait sa mère. Elle aurait aussi bien pu avoir une plaque de verre en face d'elle, cela aurait eu le même effet...
-Chère Gladyse, c'est un plaisir de vous recevoir ici. Je vous remercie d'avoir répondu si vite à mon invitation.
Nathalie aurait bien baillé aux corneilles devant ces fades salutations dont seule sa grand-mère avait le secret.
-Chère Clarisse mais ce n'est ri...
-Mais cela concerne exclusivement Nathalie.
Se tournant vers elle, la matriarche n'écouta même pas jusqu'au bout la mère de Nathalie. Comme si cela lui aurait demandé un effort trop important! L'adolescente sentit ses poings se crisper malgré elle. Mais qu'est ce qu'elle faisait encore ici? Pourquoi revenait-elle à chaque fois au galop lorsque cette vieille folle les appelaient alors qu'elle se souciait à peine d'elles? Braquant sur elle ses yeux cendres, Natahlie dût lutter pour ne pas lui renvoyer un regard peu affable. L'éclat de ses yeux sombres contrastait étrangement avec ses cheveux blancs et ses joues qui commençaient à se rider.
-Nathalie, tu vas avoir seize ans, n'est-ce pas?
Pour toute réponse, la jeune fille hocha le tête provoquant un froncement de sourcils de son ainée.
-N'est-ce pas?
Déglutissant, elle eut du mal à retrouver le contrôle de sa voix. Cette femme pouvait la terrasser d'un seul regard...
-Euh... Oui. Oui, Grand-mère.
Se renfonçant dans son fauteuil, la matriarche sourit alors du bout des lèvres comme satisfaite.
-Bien. Bien. Pour cette occasion, je me suis dit qu'il te faudrait un cadeau particulier.
Gladyse eut juste le temps d'ouvrir la bouche avant que la vieille femme ne la fasse taire d'un signe de la main. Elle n'avait pas besoin de son avis, visiblement.
-Tu deviens une jeune fille. Ton importance va grandissante. Il te faut donc une protection. Une protection permanente.
Fixant un point au delà de sa mère, sa grand-mère appela sans hausser la voix:
-Avalon, entres.
Nathalie resta un moment éberluée. C'était quoi cette histoire? Une protection? Depuis quand en avait-elle besoin? Certes, elle avait toujours été protégée et encadrée. Mais pas au point de devoir être suivie jour et nuit! Et puis, elle savait se défendre désormais.
En attendant une porte s'ouvrir, l'adolescente crut un moment que seules ses oreilles avaient sifflé. Néanmoins, elle fut vite détrompée. Une autre fille venait de pénétrer dans la salle. Bien droite, les yeux baissés et les mains croisées devant elle, elle semblait aussi peu à l'aise qu'elle. Mais son malaise ne venait pas des mêmes raisons. Encadrée de deux autres personnes en costume/cravate, elle détonnait étonnement dans ce qui paraissait être une uniforme. Sa chemise blanche était étouffée par la longue jupe bleue foncée qui remontait jusque sur son vente. Une cravate du même bleu ajustait le vêtement à son cou tout en descendant sur sa poitrine. Des longs cheveux d'ébène cascadaient dans son dos accentuant la blancheur de sa chemise. Arrivée à quelques pas de la tablée, l'adolescente se stoppa, toujours sans un bruit. Les deux gardes qui l'entouraient firent de même.
-Nathalie.
Reprenant la parole, la matriarche tenta de recapter l'attention de sa petite-fille. L'adolescente, toujours surprise, ne pouvait que passer son regard de sa grand-mère à la nouvelle venue. Pour une fois, elle se sentait tout bonnement incapable de faire ce que l'on attendait d'elle. A savoir, reporter toute son attention sur sa « bienfaitrice ».
-Nathalie, je te présente Avalon. Elle sera chargée de te protéger à partir de maintenant. Et jusqu'à ce que je lui demande d'arrêter de s'occuper de toi.
Les oreilles de Nathalie bourdonnaient. Elle avait la désagréable sensation qu'on parlait de l'étrangère comme d'un objet...
-Avalon.
La jeune fille releva son visage à l'écoute de son prénom. Soumission? Dressage? Nathalie n'avait même plus la présence d'esprit de s'interroger sur ce phénomène. Les yeux oscillant entre le vert et le marron de l'étrangère glissèrent sur chacun des visages. Cela ne dura que quelques secondes mais pourtant à chaque fois, Nathalie eu la sensation qu'elle les passait au peigne fin. Revenant sur le visage de la grand-mère de Nathalie, la dénommée Avalon n'hésita pas une seconde lorsque celle-ci lui fit une geste de la main. Suivant l'indication, elle s'approcha toujours en silence de Nathalie. L'héritière la regarda faire d'abord sans réagir. D'un geste sur, Avalon mit un genoux à terre devant elle. Les regards des deux jeunes filles s'accrochèrent un instant puis la voix de l'étrangère résonna pour la première fois.
-Vous permettez?
Nathalie frissonna. Cette voix était douce. Trop douce et mélodieuse pour être ordinaire. Sans comprendre, elle vit la jeune fille agenouillée devant elle tendre sa main pour prendre la sienne. Durant les secondes qui suivirent, Nathalie ne saisit pas plus ce qui se passa. Avalon porta sa main à ses lèvres et baisa sans réticence la main de l'héritière. L'adolescente sans voix se sentit rougir malgré elle tandis qu'Avalon se relevait. C'était quoi ce cirque?!
Reculant d'un pas, l'étrangère se tint droite à nouveau alors que ses yeux semblaient s'être perdus dans le vide. C'est d'une voix synthétique qu'elle déclara:
-Mademoiselle Nathalie De Trévor. Données enregistrées.
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Écrits en vrac
FantasyRecueil de fragments d'inspiration. Extraits d'histoires futures, de projets en attente ou juste de mots couchés sur le papier.