Chapitre 1

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Je trainais ce soir-là devant mon lycée, nous avions fini à 15:30 et nous restions à papoter avec quelques amis sur les bancs en attendant le dernier bus. J'avais l'impression qu'aucun d'entre nous n'avait envie de partir, c'était ce genre de soir de mai où on attendait juste le week-end pour aller se baigner et sortir.

La semaine, on errait dans les couloirs du lycée pour se rendre aux cours et on avait les yeux rivés sur nos montres pour s'enfuir fumer une clope à chaque intercours. Enfin, je devrais pas dire ça alors que le bac était dans un mois, mais j'accordais pas une grande importance à mes études. Je relativisais toujours, j'avais des capacités et je le savais, et puis j'aspirais à une autre vie que celle bien rangée de mes parents, du comptable qui rentre manger avec sa petite famille à 19:30 et qui se couche après avoir regardé Touche Pas A Mon Poste. Je voulais avoir une vie folle, être overbookée un jour et rester le lendemain chez moi à glander.

Aussi, il faut vous avouer que j'aimais beaucoup l'argent, que je me voyais mal vivre dans une maison mitoyenne et rouler dans une Opel Astra. Je voulais pas faire de longues études pour un boulot qui au final allait sûrement me décevoir. Ca avait rien à voir avec l'adolescence, je voulais briller et avoir de l'attention autour de moi. Je cherchais le regard des autres. 

Quand j'allais en soirée le week end, les garçons qui me regardaient, la sensation de connaître tout le monde, faire la bise toutes les 5 secondes, ça me faisait vibrer. Je crevais d'envie qu'on parle de moi, d'avoir la côte auprès de tous les garçons du lycée et d'être l'amie que tout le monde veut avoir. 

En l'occurrence, on peut dire que j'étais un peu tout ça, mais je me rendais bien compte que c'était assez éphémère, un passage chouette de l'adolescence et de la scolarité. Avec un peu de recul, j'étais bel et bien la diva détestable de mon lycée. Mais j'en voulais plus, mon millier d'abonnés sur instagram me déprimait littéralement et je bavais devant le nombre d'abonnés des influenceuses en vogue. 

Sans vanité, on peut dire que j'étais vraiment pas mal, j'avais les bons côtés de 2 origines, grande avec des cheveux blonds cendrés, que je tenais de ma mère norvégienne, un bronzage latino, de belles formes et des lèvres pulpeuses qui me venaient droit de l'Espagne natale de mon père. Pour ce qui est du caractère, j'étais le portrait craché de papa, une impulsive avec une grande gueule ! 

Il faut dire que je ne comprenais pas l'association de mes parents, un petit baraqué avec une grande toute frêle. A table, c'était encore pire quand papa faisait des blagues lourdes avec son rire gras et que maman se mettait presque à pleurer si on aimait pas sa soupe. 

"C'est rien Seija, donne-leur de la merde la prochaine fois !" blaguait mon père, et ma mère lui répliquait des "Bruno enfin !" avec son petit air offusqué. Mais ils étaient quand même beaux ensemble; ma mère c'était une vraie perle, trop pure pour comprendre ce monde de tordus.

Reste à venir ma petite sœur, qu'on pouvait pas qualifier de cadeau. Vous voyez la fille hautaine qui sait toujours tout et qui a le don de faire monter les nerfs dès qu'elle ouvre la bouche dans les séries Disney à l'américaine ? Mélinda c'était ça, les neurones en moins. Je savais jamais à qui la rattacher, elle avait un tempérament calme et posé, mais on pouvait pas non plus dire qu'elle ressemblait à maman vu son taux de je me prends pour kim k

Voilà déjà pour l'introduction de ma famille alias la mixture foireuse. Le point positif, c'est qu'avec une mère qui travaillait à l'ONU, on avait fait le tour du monde, et passé plusieurs années à New York. Mais on était venus s'installer en France pour de bon quand maman a arrêté pour accorder du temps à papa, la classe made in france vous comprenez. Quelle connerie d'avoir fait ça.

Alors me voilà à flâner sur ce banc avec mon groupe de copains, en train de brûler sous le soleil du midi en plein milieu d'après-midi. Pendant une discussion vaseuse qui mélangeait politique, maquillage et musculation comme nous avions l'habitude d'en faire, j'entendis le portail claquer. 

C'était Driss, un playboy à la gueule d'ange qui me tapait dans l'œil depuis quelques mois et qui était venu me parler sur Messenger plusieurs jours en arrière. Une tactique d'approche pas très fine qu'il avait rattrapé avec un bon niveau de flirt. Il ne me lâchait pas des yeux, alors je suis allée le rejoindre, sous les rires moqueurs de ma petite bande. Après une bise et quelques banalités, nous nous sommes dirigés instinctivement vers le petit parc, à une cinquantaine de mètres. 

Arrivée là-bas, dans l'intimité, je récoltais des "tu es parfaite", "tes yeux sont magnifiques", "j'adore tes cheveux" à la pelle. Oh oui, continue à parler de mes cheveux soyeux insistait mon amour propre. Ensuite, nous avions pu parler de choses sérieuses, plus personnelles que nous n'avions pas évoqué sur internet. J'ai passé une heure plongée dans ses yeux, à parler de ma vie, une menthol au bec. Nous enchaînions les scoops personnels réciproquement, à tel point qu'il m'a même dit qu'il s'était essayé au rap sur YouTube. Je m'étais moquée de lui gentiment. 

Après un laps de temps indéterminé, je me rendis compte en tâtant l'intérieur de mon paquet que je n'avais plus de cigarettes, seul moment où mes yeux ont lâché son regard. Nous nous sommes quittés peu après. Avec une bise ! Quand même, pas le premier jour !

Le soir, dans ma chambre, je me repassais la fin de l'après-midi avec Driss dans la tête. Je me rendais compte que ce garçon me plaisait vraiment. Il m'avait surpris avec sa sensibilité et sa maturité. 

Et je me suis rappelée du rap dont il m'avait parlé. J'ai tenté plusieurs combinaisons possibles pour retrouver la fameuse vidéo. Mais je ne trouvais rien ni à Driss ni à Driss Lazar. En plus, je savais qu'il était bien trop pudique pour me dévoiler en personne ses œuvres, il fallait que je me débrouille seule. Pour ce qui est de la traque en matière amoureuse, j'avoue que je n'en étais pas à mes premiers essais, mais pour une vidéo YouTube, c'était bien la première fois ! Le lendemain, je me levais un goût amer d'échec dans la bouche et des cernes qui ressemblaient presque à des cocards. 

Pendant la moitié de la matinée, je suis restée perdue dans mes pensées, les yeux collés à un point fixe de la pièce. A tel point que cela a énervé Jade, mon amie qui s'était mise à côté de moi. 

-Tu me le dis si je te fais chier, m'a-t-elle lancé. 

Elle m'a sorti de mon état hypnotique. 

- Non c'est pas ça mais j'arrête pas de penser à un truc sur Driss. 

Qu'est-ce qu'il m'avait pris de dire ça, à Jade !? J'étais sur le point d'alerter tout le lycée sur ma relation avec Driss, Jade était la pire commère que le monde avait porté. C'est parti pour avoir tous les regards sur moi cette après-midi. Parfois, je lui disais même des pseudo-secrets pour qu'elle aille le répéter aux intéressés, très utile quand on veut envoyer des piques. Oh et puis tant pis, je l'adorais ma petite Jade, en plus j'étais obligée de trouver le rap de Driss avec l'aide de miss radio potins.  Alors la dernière demi-heure avant d'aller manger s'était écoulée rapidement, et j'avais complètement omis le fameux ne répète pas  traditionnel, mais était-ce vraiment utile de toutes façons ?

A 13:30, je recevais déjà un snap, de la part de Jade, qui était allée manger avec son groupe de copains. "Essaie Dr3ss Whippin et tu me dira ce que t'en pense" m'avait-elle écrit. Je ne pris même pas la peine de lui répondre tellement j'étais excitée, et j'ai sorti les écouteurs de ma poche. 

La vidéo était la première de la barre de recherches. Elle était assez artistique; un ciel rose, de la fumée, une vielle voiture qui roule dans la nuit bleue... On ne voyait pas Driss. Pour ce qui est de son rap, c'était un rap intégralement en anglais, assez sympa avec un air plutôt entêtant. "Don't care about these hoes, ooh-ooh, you gonna loose your head nigga. They thinking about guns and butts, but I know you above that ooh-ooh-ooh". Le rythme était doux, apaisant. J'aimais beaucoup. Je suis ensuite allée voir les commentaires et le succès qu'avait eu la vidéo. 6754 vues et 64 commentaires, qui complimentaient son flow, sa façon de penser. 

On peut pas parler de vidéo qui a percé, mais c'était plutôt pas mal pour un français qui tentait de s'imposer  aux Etats-Unis et qui balançait une vidéo comme ça sur le web sans faire de pub ou quoi que ce soit. Je comptais bien lui en parler quand j'allais le voir le soir, en sortant des cours. 


Dans la peau d'une divaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant