V. La porte recto verso

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— Je vois que tu as amené un ami, constata Fulin en voyant les trois voyageurs venir vers lui. Ça va te coûter plus cher.

Quelque chose dans le regard de Gabriel convainquit le lutin d'éviter de poursuivre dans cette voie. 

— On y va.

Sam, Gabriel et Georges suivirent Fulin jusqu'au pied d'une immense tour de pierre grisâtre. La lumière de l'aube et la brume matinale s'élevant du sol donnaient au bâtiment un aspect spectral.

— La garde de jour va bientôt venir prendre la relève, dit Georges d'une voix qui trahissait la nervosité.

— Du calme mage, lui répondit sèchement le lutin. J'ai un accord avec le capitaine qui s'occupe du secteur. Ses gardes me laissent tranquille tant que je continue à lui fournir quelques-uns de mes petits « services spéciaux ».

— J'imagine le genre de service, dit Gabriel avec une moue de dégoût.

— Même les monstres ont le droit à un peu de divertissement de temps en temps, philosopha le leprechaun.

Sam avait vécu dans la rue suffisamment longtemps pour reconnaître l'expression sur le visage du lutin. Il l'avait déjà vue sur ceux des macros à la botte du « regretté » Rasoir lorsqu'ils faisaient leurs affaires dans les rues mal famées de Liège. L'adolescent lutta un moment contre son envie de cogner sur Fulin de toutes ses forces.

Le leprechaun guida le petit groupe jusqu'à une porte en bois de l'une des maisons voisines de la tour de garde. Il tira une grosse clé de métal piquée de rouille de l'une des poches de son costume rapiécé. La serrure émit un gémissement métallique lorsque le lutin la déverrouilla. Le relent de pourriture libéré par l'ouverture de la porte obligea l'adolescent à porter la main à sa bouche dans un geste parfaitement inutile pour se protéger de la corruption de l'air.

— Désolé, s'excusa le lutin avec un sourire froid. La femme de ménage n'est plus passée depuis... et bien depuis que je l'ai vendue à un vampire l'hiver dernier. D'ailleurs, faites attention où vous marchez, ses restes doivent traîner quelque part dans le coin.

— Fulin ! gronda Gabriel haineux.

— Eh ! s'exclama le lutin levant les mains en l'air et affichant la mine la plus innocente de son répertoire. C'est toi qui as fait appel à moi, ne viens pas te plaindre de la qualité du service.

Le groupe s'enfonça dans l'obscurité de la maison. Sam sursauta quand la porte se referma derrière lui. Il entendit le bruit d'un claquement de doigts. Au signal, les torches fixées au mur s'allumèrent sur un spectacle des plus macabres. Le sol était jonché de cadavres de rats à différents stades de décomposition. De petits os blanchis craquèrent sous les pas de Sam et de ses compagnons.

Fulin les fit descendre jusqu'à ce qui devait être une cave. La pièce était sombre humide et vide à l'exception d'une simple porte en bois clair posée en son centre.

— Une porte recto verso, s'exclame Georges avec une pointe de fascination dans la voix.

— Bien vu Mage, lui répondit Fulin avec fierté. Et sa petite sœur se trouve dans l'une des forêts à la sortie de la ville.

— Je croyais que le duc avait le contrôle de toutes les sorties de la cité s'étonna Gabriel méfiant. Comment une porte recto verso a-t-elle pu lui échapper ?

Le leprechaun eut soudain un air vaguement gêné que Sam trouva presque comique. Fulin paraissait perdu dans la contemplation de la pointe de ses bottes de cuir.

— Il se pourrait que j'aie graissé la patte d'un magistrat pour que cette porte disparaisse des registres du Duc.

Georges et Gabriel se regardèrent, un sourire amusé aux lèvres.

Les Chroniques de l'Avatar du Chaos:  T1. L'ombre du ChaosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant