I. Cours Sam, cours !

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— Joyeux anniversaire, marmonna Sam en attaquant la première bouchée de son cheeseburger.

Fêter ses quinze ans dans un fast-food autour d'une portion de frites, d'un hamburger et d'un soda était peut-être la chose la plus déprimante que pouvait imaginer l'adolescent. Il n'avait jamais aimé les anniversaires, les siens moins que les autres, mais quand même !

Le jeune garçon faillit ne pas remarquer l'entrée du vieux Billy. Il plissa le nez, l'odeur avinée du clochard lui fit lever les yeux de son plateau.

— Alors gamin, tu en fais profiter les copains ?

Sam lui fit signe de se servir. Le vieux clochard était connu comme le pire pique-assiette du centre de Liège. Il paraissait posséder un véritable sixième sens pour se trouver au bon moment près des bons « amis » et un art consommé pour en tirer parti. L'adolescent l'aurait bien envoyé au diable mais le vieux Billy avait dans ses connaissances quelques personnes susceptibles de vraiment lui empoisonner l'existence. Sam n'avait pas survécu dans la rue ces huit derniers mois en se montrant stupide.

— La jeunesse, souffla le vieillard entre deux bouchées de frites. Moi aussi à l'époque, j'avais une belle gueule.

Sceptique, Sam jugea plus prudent de ne faire aucun commentaire.

— Qu'est-ce que tu me veux ?

— Rasoir veut te voir, lui répondit le clochard, un sourire mauvais vissé son sur visage marqué par trop d'années passées dans la rue.

Une sueur glaciale coula le long du dos de l'adolescent. Ses mains se firent moites. Rasoir, l'un des pires caïds du centre et sûrement la connaissance la plus déplaisante du vieux Billy. Rasoir, un surnom gagné par la manière plutôt sanglante dont il aimait traiter ceux qu'il qualifiait de « nuisibles ». Depuis son arrivée dans la rue, Sam avait réussi à naviguer sous son écran radar... jusqu'à présent.

— Pourquoi ? demanda Sam d'une voix moins assurée qu'il ne l'aurait voulu.

— Tu crois vraiment qu'il me dirait ce genre de chose ? lui répondit le clochard sarcastique.

— Question idiote, concéda l'adolescent.

— Tu ne finis pas ? lui demanda Billy en regardant le plateau de nourriture avec avidité.

— Fais-toi plaisir, l'invita Sam qui avait perdu l'appétit.

Le jeune garçon quitta le fast-food comme un zombie, son cerveau cherchant frénétiquement à quel moment les choses avaient pu commencer à mal tourner pour lui. Jusque-là, sa plus importante préoccupation était de savoir s'il pourrait mendier assez pour s'offrir son prochain repas ou s'il réussirait à trouver un lit pour la nuit dans l'un des centres d'hébergement qu'il connaissait. Et maintenant, voilà qu'il se retrouvait dans la ligne de mire d'un type dont le simple nom suffisait à faire mouiller le pantalon de mecs bien plus endurcis que lui. Sam fut tiré de ses sombres réflexions quand son regard accrocha le reflet que lui renvoyait la vitrine d'un magasin de vêtements pour femmes. L'adolescent qui se tenait debout face à lui ne correspondait pas vraiment au souvenir qu'il en avait : des cheveux sombres, gras et trop longs tombaient devant ses yeux d'un brun si foncé qu'ils paraissaient noirs. Les vêtements qu'il portait étaient trop larges et si crasseux que Sam avait arrêté de chercher où commençait le tissu et où se terminait la saleté.

Il caressa une seconde l'idée de rentrer chez lui mais il la repoussa avec colère. Il n'était pas encore tombé assez bas pour en arriver là. L'adolescent préférait encore affronter Rasoir et ses sbires plutôt que de retourner vers son père.

La soirée était encore jeune mais le centre-ville de Liège était déjà désert. Les rares passants évitaient Sam comme si ce dernier était porteur d'une maladie particulièrement contagieuse. Lors d'un de ses rares bons jours, le vieux Billy aimait s'étaler sur ceux qu'il nommait les « bourges » et leur peur panique qu'un simple regard, comme par contagion, les envoie rejoindre la horde de marginaux gangrenant les rues de Liège. Sam en était là dans ses pensées quand un visage familier attira son attention. Il s'agissait d'un homme d'une soixantaine d'années dont les cheveux poivre et sel encadraient des traits rieurs. En dépit de son âge, il respirait force et vigueur.

Les Chroniques de l'Avatar du Chaos:  T1. L'ombre du ChaosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant