Les Chroniques de l'Avatar du Chaos: T1. L'ombre du Chaos

VI . Baiser mortel au clair de lune

Les trois compagnons mirent trois jours à traverser la forêt où les avait menés la porte. Chaque soir, au coucher du soleil, Gabriel chargeait Sam de trouver du bois et, à son retour, Georges y boutait le feu à l'aide d'un simple geste de la main. L'ancien éducateur ne tardait généralement pas à les rejoindre avec les quelques lapins qu'il avait réussi à capturer. Le premier soir, Sam lui avait demandé comment il s'y était pris pour les attraper. Le vieil homme avait sorti plusieurs collets de l'une de ses poches. Pour toutes ses autres questions concernant leur voyage, Sam se heurtait à un refus poli de la part de ses compagnons, ce qui ne manquait pas de réveiller sa colère.

Pourquoi l'avoir emmené là si c'était pour le laisser dans l'ignorance ? Après tout, c'était lui que l'on traquait, lui qu'une bande de créatures psychopathes voulait découper en morceaux et encore lui qui se trouvait dans un monde dont il ignorait tout, alors pourquoi tous ces mystères ?

— Il est encore trop tôt, lui avait répondu un soir Gabriel après que l'adolescent l'avait encore une fois assailli d'une salve de questions.

— Trop tôt, pour quoi ? lui cria l'adolescent sentant son visage s'enflammer.

— Nous sommes très près du village des succubes maintenant. Certains d'entre eux possèdent le don de lire dans les esprits et tu n'es pas encore capable de protéger tes pensées. Je ne veux pas leur fournir plus d'informations que nécessaire.

Furieux, l'adolescent se redressa et quitta le camp sans un regard en arrière. Gabriel voulut se lever pour le suivre mais Georges le retint d'un geste.

— Ça fait beaucoup de choses à digérer pour quelqu'un d'aussi jeune, souffla le mage à son ami. Laisse-lui un peu de temps.

— Le temps, c'est bien ça qui nous manque, répondit Gabriel avec lassitude avant de se rasseoir.

Georges observa un moment son ami et, pour la première fois, lui trouva l'air réellement vieux. Des rides creusaient son visage émacié et des cernes sombres se dessinaient sous ses yeux fatigués.

— Est-ce que ça va ? s'inquiéta le mage.

— Ça va, répondit Gabriel sans conviction.

Encore bouillonnant de colère, Sam laissa ses pas le guider jusqu'à un ruisseau un peu plus loin dans la forêt. Il espérait que le bruit apaisant de l'eau l'aiderait à reprendre le contrôle de lui-même. Pour qui se prenaient-ils pour le traiter comme un enfant ? Sam sentait la rage dirigée contre ses deux compagnons gronder sous son crâne. C'était facile pour eux, ils faisaient partie de ce monde, mais pas lui. Chacune des choses qu'il découvrait était plus effrayante que la précédente et, quand l'adolescent fermait les yeux, c'était pour revoir, encore et encore, le monstre tentant de s'extraire du portail. Les deux nuits qu'il avait passées dans les bois avaient été peuplées d'horribles cauchemars dans lesquels la créature s'emparait de lui et le traînait dans l'abîme d'où elle était issue. Sam se réveillait alors haletant et couvert de sueur malgré la froideur de la nuit.

L'adolescent s'assit sur un tronc couché à côté du petit cours d'eau. Il avait toujours aimé l'eau. Avant sa fugue, sa chambre était remplie de posters de lacs et de torrents. Les pensées de Sam s'apaisèrent alors qu'il se perdait dans la contemplation de l'écoulement de l'eau. L'adolescent sentait ses soucis sortir de lui et disparaître, happés par le courant.

Peut-être avait-il été trop dur avec Gabriel et Georges. Après tout, ils ne cherchaient qu'à le protéger. C'était au moins le cas de l'ancien éducateur qui n'avait pas hésité à risquer sa propre vie pour le tirer des griffes de Rasoir et des traqueurs. Perdu dans ses pensées, Sam n'entendit pas tout de suite la musique qui lui parvenait du sous-bois. Surpris, il pencha la tête comme un chien aux aguets. La mélodie avait quelque chose de lascif et d'hypnotique, porteuse d'une promesse de douceur et de paix. Sans vraiment s'en rendre compte, l'adolescent s'était relevé et se mit à marcher vers l'origine de la musique. Ses pas le menèrent à travers les bois en amont du ruisseau.