Chapitre II

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Ma jambe tressaute sur le marbre du couloir, ma main gauche dégaine et rengaine ma larme dans un coulissement sonore. Tahul, sur mes genoux, s'est changée en chat et son ronronnement tente de me calmer. C'est une forme qu'elle apprécie particulièrement. Dès l'arrivée du médecin royal, il y a vingt minutes, ils se sont cloîtrés dans la chambre d'Alya sans m'inviter.

Des esclaves passent devant moi, leur anima'frère ou sœur à leur côté, sans me prêter attention. Ils vaquent à leurs occupations, certains entrent dans la pièce et une vision éphémère d'un lit entouré d'une trentaine d'individus, dont Thizay et la Régente, m'apparaît avant que la porte ne se referme. Je n'aperçois qu'une masse informe sous les immenses couvertures.

Malgré les entraînements dispensés par les Anciens sur le contrôle des émotions, mon cœur implose dans ma poitrine. Il se déchaîne sous la terreur de perdre le dernier membre de ma famille, la plus chère. Alya est la lumière dans ce long couloir obscur, mon pilier, mon souffle de vie. Si elle pense que je l'ai sauvée il y a seize ans, elle ne peut pas faire pire erreur. C'est elle ma défenseuse, la protectrice de mes idées noires.

Un gémissement me tire un sursaut et je bondis de ma place. Tahul feule avant de venir frôler ma jambe. Une fois dans mes bras, elle frotte sa tête contre mon buste et m'envoie des ondes positives pour m'apaiser.

— J'ai peur de la perdre, murmuré-je en l'étreignant de toutes mes forces, le nez dans son pelage brun.

Je lève les yeux vers la porte fermée. Je voudrais tant être à l'intérieur, rassurer Alya, la protéger contre ce mal inconnu. Un trottinement au bout du corridor me détourne de l'objet de ma frustration et je regarde le chaman qui arrive en me contractant. Mon corps tendu par l'anticipation ne lui échappe pas. Un reniflement méprisant à sa seule réponse, mais je me n'en soucie guère, l'éternel chant minéral à remplacer sa mimique, comme à l'habitude.

Chaque fois que passe un chaman, mes pouvoirs s'éveillent, comme un immuable refrain incessant. En ce moment même, la pierre sanglote son affliction en échos à celle de sa maîtresse et je ressens ce qu'Alya endure jusqu'au tréfonds de mon âme. Je souffre tellement que j'en lâche Tahul et chute sur le sol. Mon anima'sœur, en proie aux mêmes tourments, s'écroule sans chercher à retomber sur ses pattes.

Un cri déchire l'atmosphère lourde et électrisante. Il me faut quelques secondes pour comprendre qu'il s'agit du mien. Des battants s'ouvrent, laissant entrevoir des silhouettes floues. Un second hurlement retentit et mon corps s'actionne de lui-même pour se précipiter dans la chambre. Je trébuche, me redresse et entends des plaintes derrière moi. Tout ce qui m'importe est la paume, frêle et blanche, tendue par ma petite sœur.

— Je suis là.

Ma voix, enrouée et basse, peine à franchir la distance entre nous. Pourtant sa main agrippe la mienne et ses ongles se changent en griffes, son penchant animal a prit le contrôle de son corps. Lorsqu'Alya papillonne des cils, ce sont les pupilles dilatées de Tanya, sa lionne, qui me regarde. Ils dégagent une unique émotion : la peur. Le monde se réduit à ces deux orbites qui expriment une terreur sans nom. Sa bouche craquelée laisse entrevoir des crocs. Je grimpe sur le lit pour poser ma tête contre la sienne et entrelace nos doigts. Je la rassure en lui chuchotant une berceuse apprise spécialement pour elle. Le médecin s'affaire de l'autre côté de la couche.

Je sens, plus que je perçois, les griffes de Tahul qui se plantent dans mon épaule. Je me passe la langue sur ma lèvre inférieure en captant des bribes de mots.

— Silphuim... pouvoir...

Alya referme les paupières et expire. La pression sur ma paume faiblit et je hurle pour qu'elle se réveiller. Des bras m'emprisonnent dans une étreinte glaciale et me soulèvent de la couchette. Je me débats comme une diablesse, mon instinct de mercenaire s'en est allé avec l'Impératrice. Ma vie est réglementée par la sienne. Si elle n'est plus, je ne suis plus.

Terrifiée, j'envoie mon coude en arrière. Un souffle chaud fait voler quelques mèches sur ma nuque et l'étreinte se desserre, je me libère tandis que Tahul feule. Je rejoins ma sœur qui inspire faiblement. La pression dans ma poitrine se relâche quand l'Impératrice tend une deuxième main délicate vers Thizay. Il me double en se massant le torse, le regard mauvais. D'un geste incertain, elle congédie le médecin royal et les esclaves.

— Mère, j'aimerais discuter avec mon escorte seule à seule. S'il vous plaît, insiste-t-elle devant son manque de réaction.

Les phrases déformées par les crocs ont du mal à sortir.

— Très bien, soupire-t-elle en tournant les talons.

La porte claque derrière son passage et Alya nous force à nous pencher.

— Moi, Impératrice d'Estrellia, vous ordonne, elle marque d'un temps d'arrêt par une toux grasse qui me fait craindre pour sa vie, d'aller trouver la Silphuim.

« La Silphuim ? », c'est la première fois que j'entends ce mot. Ma sœur nous regarde tour à tour par intermittence. Je jette un coup d'œil à Thizay, mais il est concentré sur les paroles prononcées.

— Je sais qu'on m'empoisonne depuis longtemps. Pas de discussion Miru, je n'en ai pas la force, m'interrompt-elle. Je ne l'ai pas dit, car je n'en étais pas sûre. Les aliments avaient le même goût et la même odeur. Je pensais devenir paranoïaque jusqu'à aujourd'hui.

Ma sœur se stoppe dans sa tirade pour tousser et un filet de sang s'écoule de ses lèvres pâles que j'essuie rapidement avec un mouchoir qui traîne.

— J'espère tenir jusqu'au couronnement. Partez maintenant !

Alya expire et sa main tombe de la mienne. Avant de recommencer à paniquer, je vérifie son poul et soupir de soulagement quand son cœur bat sous mes doigts.

— Que t'a-t-elle dit ?

Je me tourne vers la Régente, sans surprise. Le bruit de la porte, après les dernières paroles d'Alya, l'a trahi. Je ne pipe mot et Tahul se love sous mes cheveux, fixe son attention sur elle la queue battante, signe de notre agacement.

— Elle est empoisonnée depuis longtemps. Nous devons trouver la Silphuim au plus vite.

La Régente se tourne vers Thizay, rompant le contact visuel. Les yeux de son animal transparaît.

— Sauvez-là !

Thizay incline la tête, solennel.

— Il va de soi, Ma Dame. L'Impératrice nous en a donné l'ordre, nous ne pouvons que nous y soumettre.    

L'envoyée des Cildar {EN COURS}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant