Chapitre VIII

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Des éclats de voix dans le lointain me réveillent. L'un aigu et vif, l'autre grave et condescendant.

— Miruhiro a des marques de brûlure et de coups de fouet dans le dos, Thizay !

— Elle l'avait sûrement mérité. Leïa, c'est une impure ! Les Anciens devaient bien la mater.

L'écho d'une gifle résonne jusqu'à moi, mais ma tête encore lourde de sommeil, peine à entendre les paroles prononcées. Tahul, redevenue un chat, gesticule à mes côtés et montre les crocs.

« Tête de gland ! »

Je la caresse du bout des doigts en observant mon environnement ; une minuscule pièce. À part mon lit et une table, le cabanon est vide. Un épais rideau brun cache l'entrée, mais une fenêtre, au-dessus de moi, éclaire suffisamment pour voir comme en plein jour. Je me demandant comment j'ai atterri ici.

« Thizay t'a traîné pendant quatre jours jusqu'à Sinaï où il s'est écroulé devant la maison de ses parents. C'est sa sœur, Leïa, qui t'a pansé et qui a soigné ma jambe. »

Elle ronronne et se tourne vers moi.

« Tu te rappelles lorsque nous avons fusionné ? »

Elle me regarde de ses pupilles jaunâtres, une lueur d'espoir en son sein, mais je secoue la tête. En vérité, je ne me souviens pas de grand-chose, sauf de la douleur. Quelques bribes d'images, mais rien de tel concernant Tahul. Elle se détourne et je comprends que je l'ai vexée.

— Excuse-moi.

Tahul s'étire en plantant ses griffes dans la fine couverture et bâille.

« C'est la première fois que ce phénomène se produit ! On réessaiera quand tu seras rétablie. »

Afin d'apaiser sa rancœur, je passe la main dans son pelage avant de la poser sur la bande qui entoure ma taille et grimace lorsqu'elle s'attarde sur ma blessure. La dispute repart, plus hystérique.

— Impure ou non, cette femme a été battue ! C'est une humaine, elle n'a pas à être... dressée ! Qu'est devenu celui qui me défendait, qui effaçait mes larmes ? reprend la jeune fille après un silence. Génétiquement parlant tu es peut-être le grand frère, Thizay, mais mentalement parlant tu es de loin le plus stupide de la troupe.

Une seconde de flottement suit cette déclaration. Un étrange sentiment parcourt mon corps, le réchauffant devant les mots de Leïa, reléguant la douleur sourde en arrière-plan.

— Reviens quand tu penseras par toi-même ! Ma patiente, ta partenaire soi-dit en passant, n'a pas besoin qu'on lui rappelle sa différence. Maintenant, disparais !

Le voile qui recouvre l'entrée s'écarte pour laisser place une jeune fille à la peau brune.

— Oh, je t'ai réveillée ? s'exclame-t-elle en me voyant. Pardonne-moi, je ne pensais pas parler aussi fort.

Je ne réalise pas dans la foulée, refusant de comprendre ce qu'elle me dit. J'ignore la cause : ses excuses, son regard tendre ou ses paroles, mais ma lèvre inférieure tremble et mes larmes roulent sur ma peau. Tahul sursaute et, malgré sa rancune, se redresse d'un bond pour lécher ma joue. Mon anima'sœur tente tout pour m'apporter du réconfort. Les doigts enfouis dans son pelage brun, je renifle alors que mes côtes me font un mal de chien.

Sur le seuil, Leïa reste immobile avant de s'approcher et de tendre la main pour me caresser les cheveux. Je tente une manœuvre d'évitement, mais une douleur lancinante me supplie de ne pas bouger. Les lèvres crispées, je passe un bras autour de ma taille pour atténuer la souffrance. Mes hoquets résonnent dans le cabanon, augmentant les tourments de mon flanc. Tahul se frotte contre ma joue et se cale dans mon cou, à droite contre le mur pour m'apporter sa chaleur. Leïa s'assoit en me touchant les cheveux à cet instant et, contre toute attente, je me laisse faire. Ayant très peu reçu d'affection, je recherche constamment un peu de tendresse. Je prends appui sur sa poitrine et Leila me berce contre son cœur.

— Les gens qui ne supportent pas la différence sont des abrutis, ce n'est pas nouveau. Ils prétendent mordicus que la beauté et les cases stabilisent Vildanëa, je soutiens que cela détruit la vie d'autrui !

Je renifle, lorsqu'un bruit disgracieux fait couiner Tahul. Avec un sourire contrit, je rentre la tête dans les épaules sous le rire de Leïa. Elle se penche au-dessus d'une corbeille et en sort un fruit à piquant. À l'aide d'une manchette posée sur la table à côté, elle le tranche net et en donne une partie à Tahul qui se jette dessus, avant de me tendre l'autre bout.

— Je sais, le durian ne sent pas bon, mais il est protéiné et tu as besoin de force pour cheminer jusqu'à Thétys. Seuls les chamans-mires de là-bas peuvent soigner une blessure aussi profonde et provoquée par des Wyrodds.

Je hoche la tête en bâillant et frotte mes paupières. Leïa se relève en plissant sa jupe.

— Je te laisse te reposer.

— Attendez !

La jeune femme me regarde, une pointe d'interrogation dans ses yeux verts, si semblables à ceux de son frère. Mais ceux-ci ne sont nullement éclairés par une quelconque malveillance. Non, ils ne sont que chaleur et bienveillance. Un instant, la question de connaître l'animal qu'elle représente nargue ma langue, mais la patte de Tahul se pose sur ma blessure et je grogne en la poussant.

— Ça fait mal !

Je me renfrogne quand je comprends que j'ai élevé la voix et me concentre sur Leïa, qui n'a pas bougé d'un pouce.

— Vous savez où se trouve la Silphuim ?

Mon ton déborde d'espoir. Si elle sait où pousse cette plante alors je pourrais rapidement rentrer au palais sauver ma sœur. Mais elle secoue la tête et mon désir meurt dans l'œuf.

— Les chamans de Thétys le seront peut-être, d'autant plus qu'il y a une bibliothèque consacrée aux herbes médicinales. J'irai fureter pendant notre séjour, si tu le veux. Ils n'aiment pas les étrangers qui pénètrent leur demeure, explique-t-elle quand elle voit le froncement de sourcil.

Je croque un morceau de fruit et je dois me forcer pour ne pas régurgiter l'aliment. Leïa retient son hilarité derrière son poing, mais elle finit par s'étouffer. J'attends qu'elle se rétablisse avant de faire remarquer :

— Ma question ne vous surprend pas.

— Mon frère m'a déjà expliqué la situation, admet-elle avec un léger sourire. Cela a été difficile de le faire revenir à lui, sans un dominant supérieur, mais ton anima'sœur a été, je dois dire, plus que convaincante pour chasser son caracal.

Tahul ronronne de contentement en se frayant une place sur la fine couverture et s'installe en boule. Un sourire nostalgique étire les lèvres pleines de Leïa.

— Tu as de la chance d'avoir ton anima'sœur avec toi.

— Pourquoi ?

— Tu peux te pelotonner contre elle quand tu es triste. Nous autres, métamorphes, entretenons une relation différente. Plus unie, mais pas aussi tangible. Mon frère me prend pour une folle à chaque fois que je dis ça, s'esclaffe-t-elle une main dans la nuque.

— Tahul m'a sauvé la vie plus d'une fois. Sans elle, je pense que je n'aurais pas survécu aux châtiments des Anciens.

L'envoyée des Cildar {EN COURS}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant