Chapitre VII

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Point de vue de Miruhiro, Forêt de la Mori

J'attends l'impact de ses crocs quand un rugissement explose à mes tympans. Une collision avec un corps étranger, étonnamment chaud pour un Wyrodd, me fait dévier et j'atterris sur le sol, amorphe. La morsure produit déjà son effet : une paralysie lente et douloureuse.

Le venin remonte le long des jambes. Les muscles se relâchent, les tendons se détendent et les terminaisons nerveuses s'endorment, elles occultent la souffrance. Les membres inférieurs s'ankylosent. La toxine grimpe alors dans votre corps comme un reptile vicieux qui s'attaque à tout ce qu'il trouve : cartilage, veines et vaisseaux sanguins, organes... pour finir par se lover dans le point central de votre enveloppe charnelle.

Le cœur.

Pièce maîtresse, il s'actionne pour vous maintenir en vie. Pompe à carburant illimité dans laquelle l'animal empoisonné se vautre avec bonheur dans le fluide incorporel. Il boit sa vitalité comme d'autres avaleraient de l'ambroisie, accro à un nectar qui lui est interdit. Un jeu de mort dont vous êtes le seul spectateur.

Puis vient le froid. Un froid polaire, glacial qui couvre votre épiderme d'une couche de frisson. Il mord vos chairs d'un millier de petits dards. Vous tremblez, vos membres ne vous appartiennent plus. Les dents claquent, la mâchoire se détend. La force vous quitte. La bave s'accumule au coin de vos lèvres, vous la sentez qui dégouline lentement sur votre menton.

Et les paupières tombent. Votre visage devient étranger, vous ne le sentez plus. Ni votre souffle qui se raréfie, ni les pulsions soporifiques de votre organe. Vous voilà dans un cocon de noirceur, emprisonnée si profondément dans votre âme que vous craigniez de ne plus trouver la sortie.

Dans un dernier sursaut, d'une dernière volonté, vous essayez d'apercevoir une lueur d'espoir au loin, mais il n'y a rien d'autre que deux billes d'un rouge sanguin qui emplissent l'espace de votre monde. À cet instant, et seulement à ce moment, les Wyrodds se jettent sur vous. Ils vous trainent à travers la forêt jusqu'à leur tanière où ils vous dévorent.

Il ne faut jamais se promener dans les bois une fois la nuit tombée. Le grand méchant loup existe réellement, il ne commettra pas l'erreur de vous rater.

La tête lourde, je ne capte presque plus les sons environnants. Le sol tremble sous la fureur d'un pas volumineux. Mon crâne dodine. Ma vision se floute et je plonge dans le sommeil quand un jappement agresse mon audition. Un soubresaut involontaire anime mon corps lorsqu'une essence froide m'effleure et emporte mon désir de vivre. Ma vue dépérit doucement sur le champ de bataille jusqu'à ce que mon regard se fixe sur un point en mouvement. Mon œil n'accroche pas la rapidité de ses gestes. Malgré mon esprit divaguant, je reconnais Tahul dans le balancement de la queue : elle s'arrête toujours entre ses jambes avant de repartir. Mon anima'sœur disparaît dans un déplacement lourd et maladroit, elle souffre autant que moi. Je me retrouve à nouveau seule.

Ma bouche pâteuse tente de la retenir, mais elle ne s'ouvre pas. Paniquée, je la cherche des yeux, mais ils ne bougent pas.

Mes paupières retombent et je suis projetée hors de mon esprit vers un corps inconnu. Il me faut quelques instants pour en apprécier la contenance. Mon équilibre tangue et ma vue peine à se stabiliser. Une brûlure évanescente parcourt mes artères et mon ossature. Mes nerfs s'embrasent. Je ne suis que le réceptacle de la souffrance. À contrario, ces tourments me semblent illusoires comme une douleur venue d'ailleurs.

Un choc me fait vaciller et mon attention se reporte sur l'ombre devant moi. Une peur terrifiante m'envahit lorsque deux bulles écarlates me transpercent. Mes coussinets râpent sur des cailloux et mes griffes s'enfoncent dans la terre. Un tiraillement fulgurant m'assaille quand je pose ma patte arrière et ma queue fouette l'air, espérant faire passer l'élancement. Le souffle pestiféré d'un monstre agresse mes crocs lorsque mes babines se rebroussent et qu'un grognement vibre à l'intérieur de mes cordes vocales. Mes pupilles se dilatent et l'image du Wyrodd se précise.

Pourtant ce n'est pas la bête qui me fige, mais plutôt le corps dans lequel je me trouve quand un timbre familier vrille mes oreilles.

« Miru ? »

Je bondis de surprise et regarde de droite à gauche, mais pas de Tahul en vue. Ce n'est qu'au moment où je prononce le prénom de mon anima'sœur que je comprends qu'il y a quelque chose qui ne va pas : un grognement s'échappe de ma gorge. Le monstre lève la patte pour frapper. Je me penche à droite pour me protéger, mais quelqu'un m'en empêche et se dirige à gauche. Écartelé par les mouvements contradictoires, le corps chute, ce qui nous sauve du coup de griffe.

« Miru ! Tu vas bien ? Tu n'es pas blessée ? J'ai cru devenir folle quand j'ai senti des crocs dans mon flanc ! »

Aucun mot ne sort. Mes yeux se posent sur une masse immobile derrière le Wyrodd. Une forme aux contours plus que familiers. Moi.

« Attention ! »

L'enveloppe charnelle, souple et gracieuse de mon anima'sœur, qui m'héberge, recule jusqu'à cogner une fourrure humide. Thizay ! À cet instant, je remarque l'épuisement de Tahul. La langue pendante pour réguler la température de son corps que les battements cardiaques augmentent à chaque impulsion donnée. Ses pattes tremblent et son épiderme est parcouru d'un frisson. La seule chose qui la maintienne en activité est la terreur de me voir à terre.

Dos contre dos, Thizay et nous faisons face à nos adversaires dont l'apparence ne semble nullement impactée par le combat qui nous oppose.

« Miru, comment on s'en sort ? »

L'idée même de fuir me râpe les entrailles. Les Anciens nous l'ont rabâché, si fuite il doit y avoir alors nous ne sommes plus dignes d'être appelés mercenaires. Pourtant, aujourd'hui, c'est la seule chose de concret à faire pour nous sauver et sauver l'Impératrice. 

Tahul se retourne d'un mouvement si rapide qu'une nausée vient chatouiller mon palais. Dieu sait comment, mon anima'sœur est parvenue à me comprendre et à faire passer le message au caracal à grands coups de grognement et de mordillage de nuque. C'est la dernière fois que je l'entends, car je suis éjectée de son corps. Rien ne compte que le trou noir qui aspire ma conscience lorsque je réintègre le mien.

L'envoyée des Cildar {EN COURS}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant