Chapitre III

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Thizay me fait signe et nous dépassons la Régente. Elle m'attrape le bras et me tourne d'un mouvement brusque.

- Si tu connais le poison qui coule dans les veines de l'Impératrice, je te suggère de me le dire sur l'instant.

Tahul retrousse les babines, je la calme d'une rapide caresse sur le museau. Ce comportement peut nous conduire à la mort, on ne menace pas la famille royale. Heureusement, la mère d'Alya me toise.

- Pourquoi le saurais-je ?

Elle s'approche jusqu'à ce que ses pupilles brunes deviennent le centre de mon attention.

- Comme l'a si bien dit ma fille, tu es prétendante au trône. Tu pourrais vouloir lui ravir son titre et sa vie.

Je me pince les lèvres et m'oblige à rester de marbre.

- Mais une créature telle que toi, son regard me jauge et me scanne, ne pourra jamais prétendre au siège royal. Ta place se trouve au milieu des déchets de la Terre des Oubliés. Sans mon défunt mari, que Terre-Mère veille sur son âme, tu y pourrirais depuis longtemps ! Ta traînée de mère l'a envoûté par sa magie obscure et tu es le rejeton abject de cette union contre nature.

La Terre des Oubliés ; autrement dit une terre de glace et de mort où les pires représentants d'Estrellia sont jetés. Les criminels et les difformes, ces disgracieux qui n'entrent pas dans les cases si parfaites du pays.

Tahul se cale entre mes doigts, le poil ébouriffé. Je me force à rester impassible, mais la dague tranchante de ses paroles, aiguisées comme les serres d'un aigle, me poignarde en plein cœur. Je me dégage de sa poigne et me frappe la poitrine.

- Ma vie est dédiée à ma sœur, Régente.

Elle se penche davantage.

- Tu connais la sanction réservée aux traîtres de ton espèce ! Si tu oses mentir, la corde t'attendra au bout du chemin et je m'arrangerai à ce que ton agonie soit d'une lenteur exquise.

Une main agrippe mon coude.

- Ma Dame, bien qu'il m'en coûte de l'admettre, Miruhiro ne ferait rien qui puisse nuire à l'Impératrice. Permettez-nous d'aller chercher l'antidote qui la guérira. Je la surveillerai si cela peut vous rassurer.

Incapable d'esquisser un geste, sous le choc des propos odieux, je sors de la pièce, traînée par Thizay après un hochement de la Régente. Je sais que je ne suis pas la bienvenue dans la vie d'Alya et que sa mère rêve de me voir six pieds sous terre, mais je ne pensais pas qu'elle me haïssait autant. Le corps aussi lourd que la pierre, le métamorphe me guide jusqu'au balcon. Tahul se change à nouveau en albatros pendant que Thizay enlève ses vêtements. Bouleversée par ces insinuations grotesques, je monte sur le dos de mon anima'sœur dans un état second. Un coup de patte me fait baisser la tête et Thizay, changé en caracal, aplatit ses oreilles sur son crâne en montrant les crocs.

- Comme si mes sentiments t'importaient, murmuré-je en me couchant sur l'encolure de Tahul.

Elle prend son élan pour décoller et le corps balloté par les secousses, je ferme les yeux. Je suis fatiguée, lasse de devoir me justifier à longueur de journée. Le rejet et l'animosité broient mon cœur alors que la seule chose qui m'importe réellement dans ce monde est la santé et le bonheur d'Alya.

Le vent frais me fait ouvrir les yeux et le soleil incandescent de midi me brûle. La chaleur assommante d'Estrellia me drape d'une étreinte glaciale. Ce froid polaire m'envahit davantage à chaque confrontation avec la Régente. Tahul abaisse son altitude pour se retrouver au côté de Thizay qui galope dans la plaine d'Ozme. Un regard derrière moi m'indique qu'Écouflant, la capitale, n'est plus qu'un point entre deux collines.

Le repaire de la guilde des mercenaires se situe qu'à une vingtaine de minutes de la ville à vol d'oiseau, mais avec Thizay à mes côtés, nous n'y arriverons pas avant une heure. Caché entre la Forêt de la Mori et des plateaux, il se dresse comme un pic inébranlable. À travers les nuages se découvrent les sommets blancs des montagnes de la Passe des Brumes, barrière naturelle entre Estrellia et la Terre des Oubliés.

Tahul accroche un courant chaud et nous remontons en piqué. L'air me caresse la peau et soulève ma frange noirâtre qui protège la partie gauche de mon visage. Je la rabats rapidement, mortifiée. De tous les défauts qui me marginalisent auprès de ma race, les différences physiques sont les pires. Mon anima'sœur tourne sa tête dans ma direction et me donne un coup de bec affectueux pour me remonter le moral. Je lui souris tristement.

- Qu'est-ce que je deviens sans Alya ? lui demandé-je en reprenant les paroles de ma sœur.

Elle m'envoie des ondes apaisantes et ses plumes se soulèvent pour m'envelopper, me transmettant chaleur et courage. J'inspire longuement pour me donner la force nécessaire d'affronter les regards, les préjugés et les injures avant d'ordonner à mon anima'sœur de redescendre. Trente minutes plus tard, la forêt se profile à l'horizon et nous accélérons la cadence. J'atterris devant le bois et Tahul redevient un chat. Elle se love dans mes bras en ronronnant. J'ignore le regard méprisant de mon partenaire, encore sous forme animale, et pénètre dans la futaie. Les premiers arbres cachent bientôt toute lumière et je demande à Tahul de me prêter sa vision nocturne. L'obscurité se fendille pour laisser apparaître des troncs et des bosquets en gris.

- Ne t'éloigne pas, impure !

Je me tourne vers Thizay, la rage au ventre. Tahul sort les griffes et feule, le dos rond. Pourtant je ne dis rien et continue de le regarder. Il gigote mal à l'aise sous mes yeux incolores. Encore une autre particularité qui me fait défaut.

- J'informerai les Anciens de notre mission pendant que tu iras te reposer. Nous partons ce soir au coucher du soleil. Tiens-toi prête !

Je montre les dents tandis qu'il s'enfonce dans la forêt sans attendre ma réponse. Je le suis de loin et nos pas nous mènent d'instinct au Grand Rocher qui s'ouvre après qu'on ait frappé trois fois sur la surface rugueuse et qu'on ait répété le geste solennel des mercenaires. Je grince des dents en sentant les lourds regards des Apprentis dans mon dos, à croire qu'on ne leur a pas appris la politesse : on ne fixe pas les gens sous peine de les énerver. Je me tourne vers le jeune Apprenti, mon anima'sœur dans les bras. Elle gronde, la fourrure hérissée.

- Un problème ?

Il sursaute avant de détaler comme un lapin tout comme mon partenaire. Épuisée psychologiquement, mes jambes s'actionnent et me mènent vers le dortoir. Connaissant le chemin que je pourrais effectuer les yeux fermés, je passe devant la Salle des Conseils et me fige en entendant mon prénom.

- Une espionne à la solde des Rebelles, sûrement. Ils ont juré d'anéantir la lignée royale, il y a bien longtemps.

Malgré moi, mon corps tremble en reconnaissant cette voix. Fuath, le plus strict et le plus sévère des Anciens, l'un des maîtres de la guilde. La douleur des cicatrices de mon dos se réveille quand des souvenirs remontent à la surface. Toutes les occasions étaient bonnes pour me martyriser et me mettre au cachot.

- Surveille-là de près !

L'envoyée des Cildar {EN COURS}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant