Chapitre VI

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Le caracal gémit, tourne en rond avant de rouler en me montrant la peau tendre de son ventre. Il éternue une puis deux fois et se remet debout en reculant. Il s'en va dans un demi-tour joyeux pour disparaître entre les arbres la queue relevée. C'est qu'il est content, le félin. Les lèvres pincées, je me redresse et appelle Tahul qui accourt dans la minute.

— Tu as croisé quelque chose ?

« Non. Le métamorphe ? »

— Parti, pesté-je.

À peine installée sur son dos, elle se jette sur la voie de Thizay. Je suis projetée en avant et heurte son crâne. Elle baisse la mâchoire, slalome entre les arbres avant de tourner à quatre-vingt-dix degrés à gauche si vite que je suis déséquilibrée. Je me rattrape au dernier moment à son oreille.

Elle gronde en secouant la tête. Très vite, le clapotis de l'eau résonne dans l'atmosphère pesante. Le nid de la rivière Tha s'écoule à côté. Nous avons bien avancé, au lieu des six heures habituelles, nous avons parcouru le chemin avec deux heures de moins. La lionne retrousse les babines au moment où l'odeur de mercure empeste l'air. Agacée, je la talonne.

L'odieux métamorphe  semble savoir par où commencer nos recherches sur la Silphuim. Je ne peux pas risquer de le perdre. Sinon, je peux dire adieu à Alya. Tahul freine si brusquement que ses pattes s'enfoncent dans le sol pourtant compact. Devant nous, au milieu de l'entrée d'une grotte se tient le caracal. À ses pieds gît plusieurs écureuils charnus.

Je descends, la lionne s'assoit et se lèche la patte avant de la passer derrière l'oreille, et prends les affaires de mon partenaire que je lui jette par terre quand je me penche vers notre dîner.

— Merci.

Debout en un temps record, il grogne. Tahul fouette le sol de sa queue. Je contiens un soupir et attrape l'animal par la peau du cou, le plaque au sol et plonge dans ses pupilles.

— Caracal, fait revenir Thizay.

Il se débat quand un craquement retentit. Nous nous figeons. Tahul vient se serrer contre mon flanc. Elle tremble. Je me tourne, dos à la grotte, pour inspecter les environs, les mains sur les deux poignards cachés dans mon bas du dos. La forêt est muette : pas un bruit, pas une brise pour alléger l'air chargé. Un couple d'oiseaux s'envole dans une cacophonie sonore. Je sursaute et fixe mon attention sur ma droite. Mais le danger ne vient pas des bois. Non, il arrive de l'intérieur de la tanière. Un souffle putride me chatouille la nuque, un frisson de terreur dévale ma colonne vertébrale, Tahul pivote. Elle s'aplatit au sol en gémissant.

Un Wyrodd.

Il nous découvre son corps, noir et enfumé, dans un hurlement horrifique. Silencieuse et oppressante, la forêt frémit. Le métamorphe se libère et se place devant moi.

— Caracal, ne joue pas au héros.

Je monte sur Tahul, mais son poil hérissé m'empêche de trouver une bonne prise. Dégainant mon bâton d'un geste souple, je délaisse l'idée et dévisage l'hideuse créature. Tangible et intangible, il sort de son antre comme un roi devant sa cour.

Puissant, majestueux et terriblement démoniaque.

Tahul passe derrière moi avant de bondir en avant, glapissant et me bouscule. Surprise et déséquilibrée, j'en lâche mon arme qui roule entre les pattes de la bête. Je peste. Une deuxième paire de griffes labourent l'endroit où se tenait la lionne. Plus petit, mais plus obscur, l'immonde démon arrache les deux arbres qui l'empêchent de passer d'une rotation de bras. La minuscule clairière devient le théâtre d'un duel à mort.

Eux ou nous.

« Nous ne pouvons pas nous battre contre deux Wyrodds. »

— On n'a pas le choix.

Obéissant à un signal invisible, nos deux opposants s'élancent. Les griffes raclent, les crocs étincellent. Je suis rapidement séparée des miens. Mon cœur bat vite. Beaucoup trop vite. Le monstre me fait face, imposant. Je déglutis avec difficulté en dégainant mes deux lames. Les seules qu'il me reste. Au loin, j'entends les halètements de mes camarades. Bien vite, j'oublie le monde extérieur pour me concentrer sur le chasseur. Il rampe sur les quelques mètres qui nous séparent et se dresse de toute sa hauteur. Il va frapper.

Je me dégage d'une roulade et heurte une pierre. La douleur fuse dans mes veines comme une coulée de lave. Un couinement résonne de l'autre côté. Je résiste à l'envie de leur jeter un coup d'œil. L'adrénaline me maintient en éveil. Je saute sur mes pieds et grimpe sur mon adversaire. L'épaule droite grince sous le mouvement et réveille la souffrance. Les dents serrées, le front moite, j'enfonce ma dague à plusieurs endroits à travers la brume cotonneuse qui protège son corps. Il se secoue et je tombe sur le dos. Le choc expulse l'air et je dois me forcer à garder les yeux ouverts. Quelques larmes naissent après ce constat amer : il n'a pas senti mes coups. Je me dégage de ses pattes quand il tourne la tête en rugissant et me remets debout. Avant de chuter à genoux, le souffle coupé. Sous l'effet d'une griffe chimérique, la perception de ma peau lacérée au niveau de ma cuisse me déchire.

Tahul !

Je bondis vers la lionne, le Wyrodd dans le dos. Erreur fatale. Aussi vif qu'un serpent, il plante ses crocs dans mon flan. Je hurle et un rugissement retentit en échos. Le chasseur me lance en l'air et ouvre la gueule pour la refermer sur moi. La paralysie comprime déjà mon corps. Je ne pourrais pas lui échapper.

— Pardon Alya, soufflé-je en fermant les yeux.

L'envoyée des Cildar {EN COURS}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant