Chapitre XII

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Point de vue de Miruhiro

   Le reptile acrimonieux de la morsure tétanise mon corps, balloté par le vol précipité de Tahul, et mon esprit s'éloigne de la protection de mon anima'sœur. Il s'enfonce si profondément dans l'abysse des rêves que je crains de ne jamais revenir. Le chemin chaotique qui me mène à cette chimère est à l'image du poison qui coule dans mes veines : douloureux, gelé et mortel. Suspendue entre ciel et terre, je flotte au-dessus d'une immensité dépouillée de vie. Un endroit fait d'ombre et de lumière, de terreur et de merveille.

   À la vue de ce désert de sable violet si lointain, un hurlement fuse entre mes lèvres. Être en hauteur avec Tahul est une chose, mais l'être sans personne en est une autre. Le vertige m'explose au visage comme une éruption volcanique, dont la lave enflamme davantage mes cellules que le venin du Wyrodd. Je m'agite sous la peur. Une lancination, plus réelle, se répand dans mes artères : sauvage et glaciale, la toxine fielleuse ondoie à travers mon organisme avec la rapidité meurtrière d'un cobra royal. Le serpent empoisonné mord la base même de mes connexions neuronales, me détachant de la réalité.

   La souffrance me coupe la respiration. Je ferme les yeux pour endiguer la vague hivernale qui immobilise mes membres. Une bourrasque me soulève et ma vision se floute sous mes larmes. Je veux descendre, poser les pieds sur terre. Le ciel ne m'a pas couronnée, je ne suis pas Reine de son domaine.

   J'ouvre les paupières sur cette plaine aride. Un amas de dunes et de rochers où seuls quelques arbres ont su survivre. Un îlot perdu au milieu de nulle part dont l'âme jaillit en cantilène mélodieuse pour emmailloter l'essence de mon être. Une chaleur bienfaisante m'envahit et chasse le reptile envenimé. Elle apaise mes tourments intérieurs et annihile ma phobie du vide.

   Cet endroit émane de mon imagination, mes pouvoirs ne peuvent pas s'éveiller car aucun chaman ne trouve ici.

   Le chant minéral devient une douce berceuse à mes oreilles, mais mon cœur l'a en horreur. Une peur panique s'en part de mon esprit et rejette la complainte langoureuse des pierres. La litanie s'intensifie, gagne du terrain. Troublée par l'absence de sol, je ne parviens pas à lutter contre ce sortilège maudit. Épuisée de me battre, je me roule en boule et implore Tahul de me sortir de cet enfer. Une douleur aiguë me vrille les tempes et m'arrache un hoquet. La rengaine vagabonde jusqu'à mon âme pour la noircir de son appel.

   — Il ne sert à rien de lutter contre le flux magique, ma jeune amie.

   Je sursaute, personne n'a accès à ce monde fictif. D'un clignement de cils, je bats des pieds pour rétablir mon équilibre. Perchée à une hauteur qui tord mes tripes d'effroi, je tremble de tous mes membres. Et la mélodie qui ne cesse de grandir, guettant la moindre de mes faiblesses pour abattre mes remparts. Elle enserre mon organe vital d'une terreur sans nom. Une crainte avide de pouvoir parcourt mon sang en ébullition et se loge au creux de ma poitrine.

   — Il y a quelqu'un ?

   Ma question peine à franchir la barrière de mes lèvres et mon souffle se coupe dans mon œsophage. Les mots se heurtent entre eux, se bousculent dans ma gorge et se précipitent dans les airs. Ils échappent à mon contrôle.

   — Tahul ?

   Mais le rire saccadé n'a pas le timbre particulier de ma moitié animale. Il vient de partout et de nulle part à la fois, m'enclavant dans une alcôve de sérénité, remplaçant la mélodie de mes pouvoirs et cautérisant les plaies de mon âme.

   — Ton anima'sœur n'est pas ici, ma jeune amie.

   Je tourne sur moi-même, le vent danse autour de moi, flâne dans mes cheveux et soulève ma frange. Je renifle et essuie mes larmes avant de replacer rapidement ma mèche sur mon visage pour cacher la marque de ma honte. Mon œil droit scanne la zone, mais l'empyrée, où se côtoient le blanc immaculé des nuages et le bleu azoté de la voûte céleste, semble solitaire.

   — Qui est-là ?

   Le cœur secoué par l'anxiété et l'âme terrifiée par le chant des pierres, j'attends de pied ferme, si je peux dire ainsi, cet individu. Mais le ciel me reflète en un parfait miroir : il est seul.

   — Celui qui va te guider sur le chemin de la vérité.

   La brise me fait descendre petit à petit sur la terre ferme. Je pose mes pieds sur le sol et le halo violet qui recouvre le sable s'évapore.

   — Quelle vérité ?

   Une fluctuation distord l'horizon devant moi, mais disparaît rapidement. Je recule appelant Tahul. Elle doit se tenir tout près, car le tiraillement que je ressens toujours quand je m'éloigne d'elle ne cheville pas mon cœur. Le cadenas de la douleur laisse seulement passer la cantilène harmonieuse. Une souffrance que mon corps accepte volontiers. Un second rire se répand dans l'atmosphère et une main glacée me touche l'épaule. Je bondis en me retournant, prête à me battre. D'instinct, je cherche mes armes, mais mes doigts n'accrochent que du vide. Je suis démunie face à mon adversaire.

   Mais l'inconnu n'est qu'un vieillard buriné et ridé à l'air mélancolique, en appui instable sur une branche torsadée. Je retiens difficilement un haut-le-cœur quand je l'aperçois. Ord et hideux, je me demande depuis combien de temps il n'a pas pris de bain. Une odeur pestilentielle filtre à travers ses guenilles usées et trouées. Je dois mettre toute ma volonté à l'épreuve pour ne pas me pincer le nez et me montrer impolie. Un étrange sourire barre son visage, lui donnant un air sibyllin, accentué par son nez aquilin. Une lueur énigmatique embrase ses prunelles adamantines, à peine visible sous ses épais sourcils cendrés et il désigne l'espace de la main avant de la passer dans le dos.

   — Ton esprit s'est réfugié ici, mais ton corps se trouve avec ton anima'sœur.

   Je me contracte à ses paroles. Je tourne la tête et regarde vers le ciel, mais ma moitié ne se montre pas. Mon attention revient à l'inconnu.

   — Qui êtes-vous ?

   Il passe ses doigts squelettiques dans ses cheveux gris poisseux, et grimace quand son ongle accroche un nœud. Il avance, je recule. Un halo argenté s'échappe de ses mains pour venir tourbillonner autour de moi comme un requin prêt à s'élancer sur sa proie. Je le repousse d'un geste de la main. Le chant minéral continue son éternel chemin entre mes veines, grignote ce qu'il reste de mes barrières et s'installe à sa place. Là où il doit être.

   — Ton mentor.

   Je m'étouffe avec ma salive et la toux m'arrache l'œsophage.

   — Je n'ai pas de maître.

   Il fronce les sourcils, triture sa barbe en marmonnant je ne sais quoi dedans et finit par lever les yeux au ciel.

   — Évidemment, ma jeune amie, je viens de te trouver. Qui va t'apprendre la magie, si tu n'as pas de guide ?

   C'est à mon tour de froncer les sourcils et j'abandonne ma posture défensive.

   — Je ne suis pas une chamane.

   Sa canne claque sur le sable et je reçois des projectiles dans l'œil. Je ferme aussitôt la paupière en la frottant. Je grogne en le maudissant.

   — Bien sûr que oui, ma jeune amie ! Ta mère était la première chamane onirique que la Terre-Mère ai créée.

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 23 ⏰

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L'envoyée des Cildar {EN COURS}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant