Écouflant - Partie II

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Point de vue d'une étrangère — Écouflant – Palais

L'alizé soulève le voile bleuté de la corniche et des rayons laiteux s'entremêlent entre les piliers de ma chambre. Je chasse une mèche, couleur terre, de mon visage en avançant vers la psyché. Ma robe de nuit blanche flotte, aussi légère qu'une brise, autour de mes jambes et mes pieds glissent sur le marbre. Le froid du sol, qui contraste avec la chaleur de mon corps, me fait frissonner. Doninha belotte dans sa cage chimérique et tente de me transmettre ses réflexions que je bloque. Je n'ai pas besoin de son avis pour atteindre la phase finale de mon plan.

— Tais-toi !

Mon ordre claque dans la pièce comme un coup de tonnerre. Ma partie animale recule au fond de mon esprit, vexée et en colère. Sa fourrure brune hérissée et les yeux brillants, elle déverse sa haine à travers notre lien. Je soupire, ses états d'âme m'importent peu. Malgré tout, la savoir dans cette position me fait mal, elle représente une part de mon être. Une moitié indéniable que je rêve de supprimer.

Une union à la fois bénéfique et maléfique.

Doninha se recroqueville lorsqu'elle capte mes pensées, tremblante. Une peur terrifiante inonde mon âme et me coupe le souffle. La main posée sur la commode, l'autre sur le ventre, j'attends quelques minutes pour reprendre une respiration calme et régulière. Faisant fi de mon mal-être, je me redresse avant de passer les doigts sur le miroir en souriant, satisfaite de la tournure des événements. Dans peu de temps, je serai la nouvelle Impératrice et tous mes ennemis seront six pieds sous terre, endormis dans un sommeil éternel que nul ne pourra déranger. Je n'ai pas de pomme empoisonnée, mais la dague aiguisée de mes assassins suffira largement à combler mes désirs les plus chers.

Une seule petite, minuscule, piètre, mais irritante et exaspérante ombre au tableau : Alya. Cette peste de fille royale pourrie gâtée résiste si bien à la toxine qu'elle arrive à lutter contre ses effets dévastateurs, malgré la dose augmentée à chaque repas. Mon poing frappe la glace qui se brise sous l'impact et le bruit résonne dans le silence de la nuit. Je jette un coup d'œil à la porte fermée et la seconde d'après elle rebondit contre le mur.

— Disparais ! hurlé-je, en me pivotant vers la nouvelle venue.

Elle m'obéit, tremblante, et s'incline en s'enfuyant. Je passe la main sur mes phalanges blessées et ordonne à Doninha de me soigner. Elle relève à peine la tête avant de me tourner le dos, m'ignorant. Je serre la mâchoire à en m'en fissurer les dents face à son comportement puéril. Je lève les yeux au ciel et me concentre sur mes assassins. Trois jours que la traque a débutés, trois jours que mes pions sillonnent la Forêt de Mori sans mettre la main sur les mercenaires, mais ils ont fini par les trouver. La chasse a été rude : Thizay et Miruhiro n'ont laissé aucune empreinte derrière eux.

Quatre liens surgissent dans mon âme, connectés à celui que je partage avec Doninha : épais, noirs et brillants, ils étincellent comme des obsidiennes qu'on aurait polies au papier de verre. Ces filaments entremêlés et piquetés, à l'instar des fils barbelés, m'emplissent d'images de bois, d'eau et de Thizay. Ce dernier s'évapore derrière un rocher et, avant qu'une anima'sœur attaque, une forme volumineuse s'envole, emportant avec elle le précieux sésame. Une rage meurtrière se déverse dans mes veines comme une bile amère et acide rongeant tout ce qu'elle trouve.

L'impure ne doit pas m'échapper.

Je grogne en serrant les points. Mes ongles manucurés entrent dans la peau tendre de mes paumes et laissent des traces éphémères en leur sein. Le nœud à l'épicentre de ma connexion avec les assassins m'empêche de solliciter le lien de Nyrée. Pestant contre mon confrère pour cette perte de temps : j'entreprends de les dénouer et de trouver celui de la jeune pion. Je les teste un par un et bloque par inadvertance leur offensive. Le mercenaire a pris la poudre d'escampette et mes assassins se retrouvent les bras ballants. Ma fureur va exploser quand cette langue de feu qui parcourt mon organisme emmagasinera assez de soufre pour crépiter. Ma respiration s'accélère et je dois concentrer toute ma volonté pour contenir la violence de cette émotion.

— Attrapez-les et tuez-les ! Détruisez-les tous, qu'il n'en reste aucune trace ! sifflé-je.

Ils partent sur la piste de Thizay, abandonnant celle de Miruhiro. Mais à peine ont-ils pénétré les bois qu'une nuée de flèches s'abat sur eux. Je chute contre la commode quand les liens éclatent comme des ballons de baudruche, mais le choc me fait lâcher le mobilier. Ma rage est soufflée comme une bougie laissée trop longtemps au vent pour être remplacée par la douleur. Je gémis et m'appuie sur mes bras pour me relever, mais je retombe telle une poupée désarticulée. Je n'ai plus de force. En dernier recours, je sollicite ma partie animale, secouant notre lien. Elle rejette toutes mes tentatives de lui parler, le silence radio pour seule réponse.

— Doninha...

Ma voix n'est qu'un murmure, une vulgaire intonation de supplice. Après plusieurs minutes à haleter et à agoniser comme une baleine échouée, je parviens à me lever. Mes jambes vacillent, je m'adosse sur la commode pour préserver mon équilibre. Les vertiges font tanguer l'horizon et l'oxygène s'infiltre difficilement jusqu'à mes poumons. Les premiers pas sont hésitants comme ceux d'un bébé, mais les suivants sont plus à même de me supporter. Je me faufile rapidement à travers le dédale souillé par la corruption et la malversation, partie inconnue à l'ensemble des résidents du palais et que j'ai découvert à la fin d'une laborieuse recherche. Au fur et à mesure que je m'enfonce, l'air devient irrespirable tandis que ma propre impuissance à me sentir mieux me fait défaillir.

Mon pied bute contre un creux et je m'égratigne la paume sur le mur quand je la plaque dessus pour me rattraper au dernier moment. Je reprends ma course et arrive devant la porte que j'ouvre avec fracas. L'instant d'après le miroir ondule et une vive lumière verte m'aveugle. La silhouette encapuchonnée a fait surface et je me contracte quand mes yeux tombent sur sa cicatrice immonde.

— Il les a tués ! Il les a tués !

Je répète ses mots, hystériques. Le vide abyssal qu'a provoqué la déchirure des filaments me fait perdre la raison. Je repousse comme je peux les mèches qui se sont échappées de ma coiffure en essayant de calmer ma respiration saccadée.

— Toujours aussi incompétente, Naï...

— Je t'interdis de me juger, pauvre infirme que tu es ! N'oublie pas à qui tu t'adresses et là où se trouve ta place.

Je m'avance en me redressant, des éclairs dans les yeux.

— Elle est assurément plus élevée que la tienne, sourit-il. Pour tes... problèmes actuels, sache que mes envoyés ne restent jamais à terre, ils se relèvent toujours. L'un d'entre eux reviendra ici finir ce que tu as commencé. Il est temps que nous sortions de l'ombre et que nous récupérions ce qui nous revient de droit.

Le trône d'Estrellia.


L'envoyée des Cildar {EN COURS}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant