Chapitre X

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Point de vue de Thizay – Entre le fleuve d'Andara et la forêt de Firdàe

La lune, ronde et magnifique, m'offre une vue splendide sur la rivière d'Andara et son reflet scintille sur sa surface mouvementée. Les petites vagues me laissent apercevoir des silhouettes bondissantes, dans le ciel noirci et pailleté d'étoiles, avant de replonger dans l'eau.

Des poissons lunaires. La légende de ses mystérieux vertébrés-nageurs, voudrait qu'ils soient la représentation de la déesse liée à la mort, et qu'ils aillent là où la faucheuse frappe. Un mythe basé sur leur régime alimentaire assez spécial : ils se nourrissent de sang et de carcasses abandonnées.

Et ils ondoient en direction de Thétys.

Je secoue la tête. Ce ne sont que des affabulations de vieillard et de poètes en mal d'inspiration. Je me tourne pour scruter les bois. Ils semblent endormis ce soir. Aucun signe qui indiquerait une présence quelconque n'apparaît, nous sommes seuls. L'odeur de notre dernier repas sature l'air, masquant celle qui nous suit depuis Sinaï. Une fragrance puissante et dangereuse. Une menace pour nous ? Je l'ignore, mais je garde les paroles de l'Ancien Fuath en tête. Les Rebelles ont juré de détruire la couronne. Quoi de mieux que de nous empêcher de trouver la plante capable de sauver l'Impératrice.

Le gémissement de l'impure m'arrache à ma contemplation et je saute du promontoire. Cachées dans le creux d'un rocher, réalisé par le fleuve d'Andara au fil des siècles, Tahul et ma sœur veillent sur le quatrième membre de notre petite troupe. Voilà trois jours que nous sommes partis et l'état de Miruhiro se dégrade avec une rapidité déconcertante. Leïa ne s'éloigne plus d'elle et Tahul marche de plus en plus difficilement.

— Alors ? grogné-je.

— Elle nous fait une rechute, souffle Leïa. Aide-moi, Thizay, je dois la tremper dans l'eau.

La deuxième fois en deux jours. D'après ma sœur, si ces symptômes vont de mal en pis, elle ne résistera pas à son voyage jusqu'à Thétys. Ma sœur enlève la tonne de couvertures et je la pousse pour prendre cette... chose dans mes bras. Je reste stupéfié devant sa légèreté, l'impure a un poids plume. À contrario, la chaleur qui s'en dégage me brûle la peau. Je réfréne l'envie de la jeter au sol et la serre contre moi en crispant la mâchoire.

Synhgosh hurle à la mort en grattant les barreaux de la cage. Les yeux aux ciels, je lutte contre le rouge qui me monte aux joues devant son attitude plus que stupide. Sa peur ne cesse de m'envelopper depuis notre départ et je l'affronte constamment pour maintenir le peu de contrôle que j'exerce.

Il ne veut pas que Miruhiro meure.

Leïa m'agrippe le coude et m'emmène de force vers le fleuve qui coule doucement de la ville portuaire. Je suis les directives de ma petite botaniste et immerge l'impure pendant quelques secondes, juste assez longtemps pour la couvrir de chair de poule.

— Remonte-là.

— Cesse de me donner des ordres ! rugis-je en lui obéissant malgré tout.

Elle prend mon épaule et me tourne d'un mouvement si brusque que je lâche l'impure. Je me retrouve assis dans l'eau, meurtri par des cailloux pointus qui s'enfoncent dans ma peau. Leïa se penche, poing sur la hanche et doigt tendu entre mes yeux qui me fait loucher.

— C'est ma patiente. Je peux te donner autant d'ordre que je veux pour sauver sa vie ! Est-ce que c'est clair ?

Synhgosh hérisse le poil et fouette la queue. Il n'apprécie pas les paroles de ma petite sœur. J'attrape son poignet lorsque Leïa se baisse pour récupérer l'impure.

— Tu es obligée de la soigner, elle ?

Elle me fixe, estomaquée, avant de se dégager de ma poigne. Son regard furieux me fait sortir de mes gonds et mon caracal gronde. Le maximum de contrôle que je lui oppose le retient juste à temps pour l'empêcher de déverser sa rage sur Leïa ou sur moi. Il n'a pas plus aimé mes mots que ceux de ma sœur.

— Je suis une mire, Thizay, pas une meurtrière.

Leïa s'arrache de ma poigne et se masse le poignet en grimaçant. Mes doigts ont marqué sa peau.

— Laisse-moi récupérer ma patiente, souffle-t-elle.

Un couple d'oiseaux, des merles je crois, flûte avec peur d'un timbre suraigu et il s'envole. Un poisson-lune saute de la rivière avant de battre de la nageoire pour s'approcher d'un coup de queue vigoureux. Je bondis et fais sursauter Leïa. Je récupère l'impure, la porte jusqu'à Tahul qui lève le museau et hume l'air. Elle retrousse les babines, menaçante. Elle aussi a senti le danger. La chatte se dresse difficilement sur ses pattes et m'affronte du regard. J'y vois une détermination sans faille. Le vent nous charrie une odeur pestilentielle et Tahul feule. Elle change à nouveau de forme. D'un félin de petite taille, elle devient un superbe albatros. Je hoche la tête, connaissant les capacités appréciateurs que peut apporter cette espèce. Je me tourne vers Leïa en enlevant mes vêtements que je dépose sur l'oiseau, en même temps que mes armes.

— Transforme-toi ! lui ordonné-je en la forçant à se déshabiller.

— Thizay, gronde-t-elle.

Mais je l'interromps en dévoilant mes crocs. Synhgosh a commencé la mutation, ma fureur alimente celle de mon caracal. Il a réagi au quart de tour quand il a compris que sa meute était en danger.

— Obéis !

Les mots ont du mal à sortir. D'un grognement, je soulève Miruhiro et l'installe sur son anima'sœur. Leïa soupire et entame le changement. Son corps et sa tête s'apetissent puis s'allongent. Je prends le gecko, minuscule lézard vert aux taches rouges, et le pose sur Tahul que je fixe, la rage et la peur dansent le tango entre mes tripes.

— Vole aussi vite que possible vers la ville des chamans, ils perdront ta trace au-dessus l'eau. Si je ne vous rejoins pas trois jours après votre arrivée, continuez sans moi. Fige-toi dans cette forme autant que tu peux et évite le lion par-dessus tout.

Je ferme les paupières quand je me rends compte que je parle avec une anima'soeur et passe la main sur mon visage.

— Protège ma sœur ou il t'arrivera malheur !

Tahul court jusqu'au fleuve, où la distance aidante, elle arrive à s'envoler. Je tombe à quatre pattes et laisse Synhgosh finir la transformation : mes doigts se disloquent, mes ongles se changent en griffes, mes membres s'agrandissent et ma tête s'allonge. Je m'affine et me couvre de poils. Ma queue apparaît en dernier. Elle fouette l'air chargée. Je lève le museau pour repérer l'odeur de mort. Haut dans le ciel, un oiseau décrit des cercles au-dessus de moi et il plonge en piquet. Je l'esquive d'un bon leste, en couinant et m'enfuit à l'opposé de la direction prise par Tahul. L'aigle glapit avant de remonter et de recommencer son manège.

La gueule en l'air pour surveiller le déplacement de l'animal, je ne remarque pas les nouveaux venus et fonce dans le tas. Je suis déséquilibré et j'enchaîne une roulade pour finir la truffe dans le sable. Le temps que je me remette sur mes pattes, mes assaillants sont autour de moi, prêts à riposter.

L'envoyée des Cildar {EN COURS}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant