Chapitre I

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Trois mois plus tôt.

- Le Roi est mort ! Le Roi est mort !

Le héraut porte l'étendard avec peine, le dos voûté. Son colibri, perché sur son épaule droite, partage le deuil de son anima'lié. Le cortège longe lentement l'allée royale, réalisée par le peuple, au fur et à mesure que le cercueil descend vers le fleuve. Les femmes jettent des rameaux sur son passage pour l'honorer et pleurent en silence. Les hommes frappent leur poitrine dans un dernier respect et claquent leurs talons sur le sol. Le cor se lamente d'une triste mélodie, emportée par le vent, pour enquérir le royaume que leur souverain n'existe plus.

Je serre les poings et mes ongles écorchent la peau tendre de ma paume en pensant à ce chaman de pacotille dont la magie aérienne afflue vers moi. Les échos de la complainte me tirent un frisson. Mon anima'sœur pose sa tête contre mon flan et je caresse distraitement le sommet de son crâne, entre ses bois.

- Tout va bien, ma douce Tahul.

Mon souffle, à peine plus fort qu'un murmure, se perd dans la brise solennelle. Un discret signe de tête de mon partenaire et je bondis du promontoire du temple, mon anima'sœur sur mes talons. Je ne soulève pas une poussière et, quand j'atterris sur un toit en chanvre, mes semelles ne laissent aucune empreinte. Ma cape noire fouette l'air derrière moi, mes jambes me guident avec dextérité vers notre destination finale : le palais. Thizay, métamorphe de pure souche, me dépasse sans un regard en arrière et enchaîne les maisons. Je me pince les lèvres devant ce comportement puéril. Cette race arrogante et vaniteuse pense appartenir à la lignée royale qui descendrait de la Terre-Mère et a réduit les humains en esclavage.

Tahul me bouscule pour le rattraper, perdant mon appui, je dégringole de la toiture. Je finis couverte de boue et mon anima'sœur me rejoint. Elle baisse la tête pour se faire pardonner pendant que je plisse les paupières, mécontente de son attitude. Ce n'est pas digne d'un mercenaire. Mais Tahul, qui devine toutes mes pensées, lèche mes doigts et sautille sur place pour m'inciter à me laisser aller. Je secoue la tête en levant les yeux au ciel et grimpe sur elle d'un bond leste et fluide. Alors que je m'installe sur son dos, elle se transforme. De cervidé, elle passe à un animal plus immense, capable de voler sur plusieurs kilomètres sans jamais se fatiguer, un albatros. Thizay loin devant nous, bondit de toit en toit, pourtant trente secondes plus tard, mon anima'sœur l'atteint.

Généralement, elle change d'apparence au gré de mes humeurs, mais aujourd'hui elle a décidé de s'amuser, à mon plus grand regret. Je viens de perdre un membre de ma famille, mon père n'en porte que le nom, mon cœur se serre sous la douleur. En quelques battements d'ailes, Tahul dépasse mon partenaire et se pose sur la terrasse du Palais, sous les yeux bouffis d'Alya, l'Impératrice d'Estrellia. Ses cheveux noirs, hérités du Roi au même titre que moi, sont collés à son visage à cause de ses pleurs et elle porte avec peine ses attributs impériaux : son diadème tombe sur le côté, de travers, son collier et ses bracelets sont attachés n'importe comment. Seule sa robe rouge montre l'effort qu'elle a fourni pour paraître présentable. Ma petite sœur, toujours tirée à quatre épingles, semble, aujourd'hui, soutenir toute la misère du monde sur ses épaules. À peine descendue, elle se jette à mon cou en larmes. Je passe ma main dans son dos que je caresse verticalement. Je comprends sa peine, j'ai la même au creux de la poitrine.

- Qu'est-ce que je vais devenir sans lui, Miruhiro ? Je ne peux pas vivre sans père.

Elle renifle et je contiens une grimace dégoûtée. Thizay arrive, m'ignore en saluant l'Impératrice et claque ses bottes devant la Régente qui entre sur le palier au même instant. Tout le contraire d'Alya, dont la beauté naturelle a fait le tour d'Estrellia, elle est d'une banalité affligeante : des cheveux bruns aussi raides que des brins de paille et des petits yeux marrons de fouine, marque de sa partie animale.

- Ma Dame, commence-t-il en s'inclinant, nous sommes les malheureux messagers chargés de vous porter la lettre des Anciens. Toutes nos condoléances pour le Roi.

Ses pupilles vertes cheminent entre Alya et la Régente. Tahul redevient une biche en un clin d'œil et brame sous l'affront. Je pose mes doigts sur son museau pour la calmer. L'indifférence est la meilleure réponse à un mépris. Alya se redresse et lisse son étoffe.

- Thizay, tu manques à tes devoirs envers ma sœur en la négligeant ainsi. Prosterne-toi devant elle pour implorer son pardon.

Le cou raide, les lèvres pincées, Thizay se tourne vers nous et plonge dans mon regard. Une bataille fait rage dans le sien : obéir ou non ? Mais un ordre de l'Impératrice fait loi. Thizay se retrouve bientôt à genoux, à répéter le geste solennel que seuls les mercenaires sont en droit de faire : les doigts sur la poitrine remontent jusqu'à sa bouche pour finir par frapper son front avant de me les tendre, paume ouverte vers le ciel.

« Mon courage, ma vérité et ma sagesse sont à toi. »

Le message est passé, mais il ne s'abaissera jamais à s'excuser de vive voix. Je dépasse Alya pour le relever et taper son avant-bras avec force pour lui signifier que l'insulte est oubliée.

- Miruhiro, ne sois pas aussi gentille avec lui. Il t'a manqué de respect !

- Ma fille ! Ta demi-sœur, crache la Régente en prenant la parole pour la première fois, peut de se débrouiller seule. Elle a été entraînée par les meilleurs pour te protéger.

L'Impératrice redresse le menton et défit sa mère de continuer ses dires. Depuis que je l'ai sauvé de la noyade, à cinq ans, Alya déclame à qui veut l'entendre que je suis son égale. Elle devrait pourtant savoir qu'une impure telle que moi n'aura jamais le droit à la considération des siens. La seule semi-métamorphe à ne pas partager le corps de mon animal et à avoir une anima'sœur capable de changer son enveloppe charnelle à volonté.

- Miruhiro est et sera à jamais membre à part entière de la famille royale, mère. Père l'a reconnu, certes pour qu'elle puisse me protéger, mais cela fait surtout de Miru prétendante au trône et, au même titre que moi, Impératrice. Tout le monde semble l'oublier. J'exige qu'elle se fasse traiter comme il se doit !

Alya s'écroule à ses mots, le corps convulsé et Tahul baisse la tête pour la rattraper in extremis sur l'encolure. La Régente et Thizay se précipitent à ses côtés, m'évinçant sans préambule. Sous le choc de voir ma petite sœur, la bave sur le coin des lèvres, je ne réagis pas et finis au sol, les quatre fers en l'air.

L'envoyée des Cildar {EN COURS}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant