Chapitre IV

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Un instant tentée d'interrompre leur conversation, je me résigne à poursuivre ma route en caressant Tahul. Tendre le bâton pour se faire battre ? Très peu pour moi. Mon organe vital saigne suffisamment d'être ainsi suspectée. Lequel de mes gestes a pu être interprété de travers ? Pourquoi me soupçonner quand Thizay ment à la Régente ? Comment une telle animosité dans le cœur des gens peut-elle naître d'une différence physique ? Divergente dans tous les sens du terme, je resterai à jamais entre deux clans, mi-humain et mi-métamorphe. Pourtant ma loyauté ne va qu'à une seule personne : ma sœur. Je remonte le couloir pour atterrir dans la partie réservée au dortoir. Mon anima'sœur saute de mes bras et tourne la tête de droite à gauche en s'ébrouant.

« Terre-Mère, je hais ne pas pouvoir les remettre à leur place et de devoir me taire ! Pourquoi m'obliges-tu à me dissimuler ? »

— Nous n'avons pas besoin d'ajouter de l'huile sur le feu, Tahul.

« Mais... »

Mon anima'sœur s'étire le dos sous mon regard noir.

« Je persiste à croire que ce sont des abrutis pour penser ainsi ! Tu ne ferais pas de mal à une mouche. Oh que ça fait du bien ! »

Je m'arrête devant l'absurdité de la remarque et lui jette un œil en longeant les différentes portes.

— Je suis une mercenaire.

« Mais tu n'as encore jamais tué. Ne dis rien, tu sais que je suis dans le vrai. Ton anima'sœur a toujours raison... »

— Même quand tu as tort.

Arrivée devant ma chambre, j'ouvre le battant et m'y engouffre sans m'attarder, Tahul sur mes talons. La pièce exiguë ne possède qu'un lit de paille, une piètre armoire en bois rongée par le temps et un miroir cassé. Je m'assois sur le matelas et grince des dents quand les ressorts agressent mes cuisses.

« Tu sais que tu n'es pas obligée de supporter leurs sarcasmes ? Si tu veux, je peux même leur croquer un morceau de leur postérieur, histoire de les remettre sur le droit chemin. D'accord, ce n'est pas la partie la plus tendre et la plus alléchante, mais si ça te peut illuminer ton joli visage, je n'hésiterai pas une seconde. »

Je souris en lui caressant le crâne et me lève.

« Continue... que c'est bon ! Ne t'arrête surtout pas. »

— Je dois me préparer.

« Oh allez quoi, quelques minutes. Vous ne partez que ce soir, tu as encore le temps ! »

— Justement, Tahul, je n'en ai pas. Alya a dit qu'elle était droguée depuis un moment et je la laisse seule, impuissante, au milieu d'une bande de chacals qui veulent sa mort ! Plus vite je trouverai la Silphuim, plus vite elle ira mieux.

Tahul me regarde avec de grands yeux.

— Quoi ?

« C'est la première fois que tu parles autant ! »

Je hausse les épaules en attrapant quelques vêtements dans ma penderie que j'entasse dans un sac malléable et tire mon tiroir où je range toutes mes armes.

« Prends tes poignards, ils seront plus discrets et efficaces que ton épée. »

— Je peux aussi emporter mon bâton ?

Tahul saute sur le lit en se léchant le pelage. Elle arrête sa toilette pour me regarder avant de passer sa patte sur son œil droit pour le nettoyer.

« Ça tombe sous le sens ! »

Elle se pelotonne sur le grabat et ferme les paupières.

— Repose-toi, ce soir commence un long voyage épuisant.

Je la caresse entre les oreilles et elle ronronne en ouvrant un œil. Elle redresse la tête en me voyant près de la porte, mon arme en main.

« Tu vas à la salle ? »

— Oui.

Je sors de la chambre en serrant mon bâton entre mes doigts. Dès que mon pied gauche se pose dans le couloir, le vide que crée la distance entre mon anima'sœur et moi me fait tressaillir. Je suis à deux doigts de rebrousser le chemin pour me rouler en boule autour de Tahul. Elle miaule derrière le battant, signe que je ne suis pas seule à souffrir. C'est un mal pour un bien. Si nous n'arrivons pas à nous habituer à être séparées, nos ennemis s'engouffreront dans la fêlure sans compassion et tireront parti de cet avantage. La réputation des mercenaires n'est plus à prouver ; ils n'ont aucune faiblesse. Je souffle pour atténuer la douleur, mais elle empire au fur et à mesure que je m'éloigne de Tahul. Thizay apparaît devant moi, les paupières plissées.

— Qu'est-ce que tu fabriques ?

— M'entraîner.

Il examine les lieux, suspicieux.

— Où se trouve ton anima'sœur ?

— Dans la chambre, elle se repose.

— Je croyais que tu devais rester près d'elle ?

Je hausse une nouvelle fois les épaules, me fraye un chemin entre son corps et le mur, mais il m'attrape par le coude et m'oblige à tourner la tête vers lui.

— Changement de plan, nous partons de suite ! Va chercher tes affaires, je t'attends.

Je me dégage d'un mouvement sec et me cogne contre les pierres de granite. Les lèvres pincées, les yeux mitrailleurs et le cou raide, je me fige. La colère, cette boule d'amertume qui loge dans mes entrailles, gonfle sous la puissante émotion. Au prix d'un immense contrôle, je parviens à l'endiguer quand les horreurs de l'Ancien Fuath me narguent. J'exécute un demi-tour et je rejoins Tahul en claquant les talons. Une fois la porte fermée, je m'écroule les paupières closes. Mon anima'sœur se précipite pour m'apporter sa chaleur et son réconfort.

J'inspire une bouffée d'air et le parfum capiteux de Tahul m'enivre, un mélange de sève et de bois. Mes doigts trouvent le chemin jusqu'à son poil et s'y engouffrent, je ferme les yeux et pose ma tête sur la sienne.

« Ils n'ont pas le droit de te traiter comme ça ! Tu es membre de la famille royale, tu es Impératrice. Qu'ils le veuillent ou non, tu es hiérarchiquement plus élevée que ces misérables. Un mot de toi et je les taille en rondelles ! »

Je me relève en silence, prends mon sac avant d'entrebâiller le battant et de tomber nez à nez avec Thizay. Il scanne ma chambre, suspicieux.

— Ton inspection te donne satisfaction ?

Mon partenaire renifle, dédaigneux, et ouvre la voie vers la sortie. Tahul lui montre les crocs et je la retiens de justesse avant qu'elle ne laisse sa marque le postérieur du métamorphe. Elle secoue la tête en emboîtant le pas. Nous passons rapidement l'entrée et je rabats ma capuche, pour cacher mes plaies encore vives de l'humiliation dont Thizay a remué les braises. Nous avançons dans la forêt et, une fois à l'abri des regards, il se tourne vers moi.

— Demande à ton anima'sœur de se changer pour qu'elle puisse te porter. Plus vite nous sauverons l'Impératrice, plus vite je serai débarrassé de toi.

Tahul fouette l'air de sa queue en grognant. Elle bondit en se transformant en lionne et atterrit devant moi. Elle rugit, se dresse sur ses pattes arrière pour attaquer Thizay qui saute en arrière, la main sur son arme. Un rappel en peut plus clair à mon appartenance.

— Tahul.

Son anima'sœur revient, s'enroule autour de moi et grogne contre mon partenaire qui se rapproche.

— Allons-y, finit-il par dire en tournant les talons.

— Où ?

— À Sinaï, la ville portuaire.    

L'envoyée des Cildar {EN COURS}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant