Le Dealer de Mots

Retrouvailles

La gare d'Ante-script avait été considérée, autrefois, comme une véritable prouesse d'architecture et de technologie. Aujourd'hui, l'entretien nécessaire pour ce bâtiment dépassait largement les budgets alloués par le conseil et par conséquent beaucoup de maintenances tombaient juste dans l'oubli. Bien sûr il suffisait de ne pas passer par les coursives étroites des charbonniers, dans les bureaux des gestionnaires ou tout simplement de ne pas lever les yeux pour éviter de constater son état de décrépitude avancé. L'année précédente, un vieux noble avait reçu un carreau de la verrerie sur la tête et en était mort. Pourtant, rien n'avait changé après ça.

Keïra observait l'horloge tournante de la gare. On ne pouvait pas la manquer et la regarder vous emportait rapidement dans son tourbillon hypnotique. Ses grands anneaux métalliques tournaient, virevoltaient autour de la sphère centrale en lévitation où vous pouviez voir les sabliers de la grande horloge, et ce peu importe où vous vous trouviez. Si cette œuvre n'avait pas été accomplie par un homme, dont les initiales se trouvaient encore à la base de l'édifice, on aurait pu croire qu'elle provenait d'une autre dimension. Cet architecte, même si beaucoup l'auraient plus qualifié d'ingénieur, avait apposé son nom sur de nombreuses bâtisses prestigieuses de la cité, à tel point qu'on eut pu croire qu'elle lui appartenait. Tous étaient pourvus d'inventions aussi incroyables que déroutantes. Pourtant, aujourd'hui, plus personne ne se rappelait qui il était et dans les conversations on ne parlait plus que de V.D.

- Tiens, ton ticket, dit Antémiqus en lui tendant une petite plaque de métal pas plus grande que son pouce.

Keïra l'attrapa distraitement sans décroiser les bras de sa poitrine puis elle baissa les yeux sur son collègue. Il avait emporté deux besaces bien remplies, dont les bandoulières se croisaient sur son torse, là où Keïra s'était contentée d'une petite valise pas plus grande qu'un attaché-case.

- Et tu verras, tout se passera bien ! Ptet même que vous arriverez enfin à trouver un accord.

Si les yeux de la Gardienne avaient pu lancer des éclairs ils l'auraient fait. Et si elle l'avait voulu elle n'aurait pu se montrer plus menaçante envers son ami dont le haut du crâne lui arrivait à peine à hauteur d'épaule.

- Avec elle ? Impossible, lâcha-t-elle, la mâchoire totalement crispée.

Antémiqus roula des yeux puis attrapa sa paire de lunettes pour les essuyer avec un mouchoir qu'il avait sorti de sa poche.

- Cela fait plus d'un an Keïra. Et honnêtement, ce qui est arrivé est de votre fait à toutes les deux. Pour ton retour sur le terrain tu pourrais te montrer un peu moins ... comment dire ?

- Je suis la seule a avoir été sanctionnée Anté ! Mon avancement a été immobilisé et j'ai été interdite de terrain. Alors qu'elle a pu continuer son travail de logicien et moi je devrais faire comme si rien n'était arrivé ?

Antémiqus soupira tout en réalignant ses lunettes sur le bout de son nez.

- C'est bien qu'tu réalises la différence d'importance entre son travail et l'notre dans ce cas.

- T'es en train de me dire que je sers à rien là ? répliqua-t-elle en fronçant les sourcils.

- J'dis juste que si l'institution était un corps, elle serait le cerveau et toi les muscles. Sans elle, on peut rien faire de correct, et sans nous, elle peut pas agir.

- Et toi t'es quoi là dedans ?

- Le système nerveux. J'relaye l'information et j'donne les moyens à tout le monde de travailler ensemble et correctement.

Keïra sembla réfléchir quelques instants puis elle tendit les bras en avant pour s'étirer. Après tout il n'avait pas tort. Les gardiens avaient la charge de protéger et d'agir sur le terrain, les logiciens étaient plus des tacticiens même si on les targuait souvent plus de courtisans qu'autre chose. Les ingénieurs comme Antémiqus étaient le bon compromis entre les deux, ils mettaient leur raisonnement logique au service de tous, que ce soit pour concevoir l'équipement des gardiens ou même mettre au point des machines capable de détecter les mensonges.