Missive

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Son doigt tapotait distraitement une des règles encadrant sa table à dessin inclinée. Au centre de celle-ci se profilait le synoptique inachevé d'une foreuse  nouvelle génération. Il était en retard sur la délivrance du plan, comme presque à chaque fois. Ses yeux avaient fini par quitter le chevalet pour aller se perdre sur le mur derrière son plan de travail. Le seul éclairage de la pièce, un néon hésitant, projetait un ballet lumineux changeant au gré des anfractuosités de la paroi. Ce jeu d'ombres en reliefs sur ton ocre était une nourriture infinie à exploiter pour n'importe quel esprit rêveur. 

Baradon. C'était le nom qu'il avait choisi.

Le son résonnant des bottes sur la passerelle métallique ne parvenait pas à percer le voile entre la réalité et le monde du penseur. Ce n'est que lorsque la porte du bureau, qui au final ressemblait plus à un sas qu'à autre chose, se ferma dans un bruit sourd qu'il sursauta. Avant même qu'il n'ait fini de se retourner une voix impérieuse lui fit dresser l'échine.

- Baradéon ! tonitrua l'homme.

- C'est Baradon désormais monsieur, répondit-il calmement en achevant de se retourner pour saluer son interlocuteur.

- Peu importe répondit ce dernier, détachant bien les syllabes entre elles, diction qu'il n'employait que lorsqu'il était passablement énervé.

- Que puis-je pour vous dans ce cas ? demanda le jeune poète tout en faisant mine de retourner à son ouvrage abandonné.

- Vos obligations envers la confrérie n'ont pas été remplies cette dizaine. Comprenez bien que nous n'avons pas mis en œuvre votre libération pour que vous cessiez vos activités.

- J'en suis bien conscient mais je n'ai pas encore retrouvé de Dealer capable de remplacer l'autre. Les nouveaux se sont révélés bien moins compétents. Et j'ai assez de travail pour le moment, dit-il sans prendre la peine de montrer le transporte-capsule qui contenait un amoncellement de tubes.

Les missions s'empilaient les unes sur les autres formant un serpent de métal et de verre dans le long tuyau transparent. Il ajouta quelques traits fins d'encre en silence sur son plan sous l'œil fulmineux de son aîné. Depuis la récente absence de Chela'k, Baradon accordait de moins en moins de temps à son emploi pour l'Académie mais également à la confrérie. Il avait comblé le manque des discussions par le seul endroit où il se sentait chez lui, avec ses amis. Lorsqu'ils se réunissaient le monde prenait une autre dimension, moins politique et plus fantasmagorique. Les histoires s'écrivaient au fil de l'imagination et des ajouts de chacun. La camaraderie y était franche et le buffet de la taverne, dont ils avaient investi la cave, était des plus appétissants. Il aurait aimé que ces instants durent toujours. Avec pour seule témoin, une table faisant office d'estrade de fortune.

Lorsqu'il entendit la porte se refermer derrière lui il ne put s'empêcher de lâcher un soupir de soulagement. La confrérie lui en demandait toujours plus, surtout depuis son association plus que productive avec Chela'k. Baradon s'était lui même fait arrêter dans le brouillard mais heureusement pour lui la garde rectrice l'avait libéré grâce à ses alliés. Leur main était longue et le fait qu'ils puissent venir le voir au sein même de l'Académie lorsqu'il travaillait en disait beaucoup sur leurs ramifications au sein de la haute société. Cependant, il doutait qu'un simple Dealer vivant parmi les Ceux puisse avoir accès à ce genre de contact. 

Il venait de tracer sa dernière ligne et de se lever pour aller raccourcir son serpent de courrier lorsque la cloche située à droite de la porte sonna. La fin du travail était signée et approuvée. Et pas question de faire des heures supplémentaire pour des gens aussi peu reconnaissants que les Ingénieurs de l'Institut. Porte ouverte, couloirs dévalés, il atterrit aux vestiaires où il récupéra manteau, écharpe, chapeau et besace avant d'emprunter les galeries qui menaient au reste du territoire Cercleux. 

Le Dealer de MotsWhere stories live. Discover now