La descente s'avérait interminable. Chela'k tenait devant lui le champignon phosphorescent qu'on lui avait offert tout en maudissant la lumière bleutée diffuse qui s'en échappait. A plusieurs reprises il avait manqué de trébucher sur des marches brisées ou de glisser sur la mousse accumulée. Il fallait avouer que sa torche naturelle ne lui offrait qu'une faible visibilité dans les ténèbres. Par réflexe, il leva sa main jusqu'à son torse, cherchant, en vain, une poche qu'il n'avait pas. Le tic tac de sa montre lui manquait, tout comme le douillet de sa nouvelle cape et en comparaison la robe qu'il portait lui paraissait rêche et inconfortable.
Il posa sa main contre la paroi froide et visqueuse du mur pour se soutenir. La roche du boyau était noire et lisse, tout comme celle des escaliers et se révélait glissante à souhait. De l'air frais parvenait d'en bas et en y pensant c'était plutôt étrange, l'air froid avait naturellement tendance à descendre et non à monter. Et bien que celui-ci s'insinuait partout sous la robe du jeune dealer, il poursuivait son inlassable progression vers les tréfonds obscurs.
Après une longue marche frigorifique à tâtons dans le noir, il parvint enfin au bout de l'escalier. La pièce qui l'accueillit était une demi-sphère taillée dans la même roche que celle de la galerie précédente. Mais là où elle avait semblé constituer le passage souterrain, ici les blocs sombres n'étaient que des pièces rapportées à la cavité déjà présente. L'endroit baignait dans une douce lumière, apportée par un trou dans le plafond, qui venait s'écraser sur une lourde table ronde en pierre scintillante. Autour de celle-ci se trouvaient huit personnes portant le même habit que le dealer avec un ajout non négligeable : des capuches. Tous les avaient rabattues, masquant leurs visages.
- Bienvenue Chela'k dit l'un d'entre eux avant d'être repris à l'unisson par les autres.
La pièce ne comportait que quatre issues, dont celle par où il était arrivé. Fuir par une des trois autres relevait purement de la folie. Fuir à l'aveugle aurait été au moins aussi dangereux que de manger un champignon inconnu. D'autant plus que chacune des personnes présente devait au moins connaître les chemins des alentours. Il n'y avait aucune échappatoire.
- Tu peux prendre place sur le siège vacant dit l'homme. Tu y trouveras également tes affaires.
Il s'approcha du fauteuil en bois le plus proche et y trouva sa cape soigneusement déposée. Après l'avoir dépliée et secouée, il l'enfila puis s'installa sur la chaise, commençant un rapide inventaire de ce qui lui avait été rendu. Une voix féminine prit la parole tandis que la main du dealer retrouvait les douces vibrations du tic-tac de sa montre. Il se prit à afficher un faible sourire.
- Avant que tu te décides de partir, nous avons une proposition à te faire.
- Je vous conseille de vous dépêcher dans ce cas, lâcha Chela'k en vérifiant l'intégrité de sa tocante.
- Soit, repris un homme à la voix plus rauque. Je pense que comme tous le monde, tu as pu observer ce qui se passe ces derniers temps . Les gens se posent des questions et de plus en plus s'opposent à la loi, achètent des mots, se révoltent. Notre gouvernement arrive aux limites de ses possibilités et nous sommes prêts à agir.
- Je ne participerai pas à votre rébellion répondit-il en se levant.
- Et cela nous va, reprit la femme, notre requête envers toi est tout autre. Le peuple s'est rendu compte du contrôle qu'a obtenu la classe politique en limitant le vocabulaire. Quelqu'un ayant un grand répertoire de mots doit s'en être rendu compte depuis longtemps maintenant, n'est-ce pas ?
Le regard interrogateur de Chela'k l'invita à poursuivre. De son côté il avait l'impression de ne parler qu'à trois individus comme si les autres étaient muets ou absents.
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Le Dealer de Mots
FantasiLes mots ont disparu. Du moins pas tous. Suite à la guerre, nombre de mots ont été purement et simplement bannis. Dans ce monde de prohibition où on ne s'exprime plus que simplement et techniquement, parler de sentiments est devenu difficile. Des re...