Collaboration

33 3 64
                                    

- Keïra ... ce n'est pas raisonnable ... supplia Antémiqus.

- Tu disais pas ça il y a quelques sabliers pourtant, rétorqua-t-elle la main sur la porte.

Il n'y avait pas pensé sur le moment mais il était rare de voir Keïra dépourvue de ses atours, quasi-militaires, de Gardienne. Se séparer de ses symboles d'autorité qu'elle avait durement gagné n'était clairement pas dans ses habitudes, et encore moins pour se cacher sous manteau à capuche.

- J'étais d'accord pour visiter, pas pour me retrouver au fin fond des quartiers les plus dangereux d'Inkipit. Ta sœur nous a demandé de ne pas initier d'action sans son accord ! Je ne désobéirai pas à une Logicienne.

- Parle plus fort, vas-y !

Antémiqus soupira, essayer de lui faire entendre raison était comme hurler dans un abîme. Les sons de votre voix résonneraient quelques secondes avant de s'éteindre, engloutis par les abysses de son entêtement.
D'une main sûre, elle poussa le battant de la porte. Pas question de reculer maintenant, c'était le moment de prouver à sa sœur que rester assis les bras croisés sur un siège donnerait toujours moins de résultats qu'une intervention directe sur le terrain.

- Tu as encore le temps de repartir, dit-elle en souriant.

- Il faudra bien quelqu'un pour ramener ton cadavre à ta sœur, répliqua-t-il d'un air légèrement trop blasé. Et puis, on entre, on prend les infos et on repart, c'est ça ?

- C'est ça, répondit-elle d'un air un peu trop joyeux.

- T'aurais au moins pu me trouver quelque chose à mettre sur la tête ... grommela-t-il.

- Y'avait plus rien à ta taille de toute façon, rétorqua-t-elle avant de s'engager dans la taverne.

Antémiqus connaissait assez la créature pour savoir comment cela allait se dérouler. La soirée ne se terminerait que lorsqu'elle aurait passé à tabac les trois quarts de la taverne et ils repartiraient probablement avec peu d'informations si ce n'était pas du tout. Le mobilier volerait en éclats, les dents seraient projetées hors des mâchoires et les os craqueraient. Tout cela sous les coups magistraux de la Gardienne et en à peine quelques grains se sablier.

L'établissement était misérable pour ne pas dire miteux. A peine cinq tables réparties aux quatre coins de la pièce offraient une certaine intimité. Intimité relative compte tenu de l'humble taille du lieu. Antémiqus fût surpris d'être soulagé de voir un ameublement de pierre impossible à déplacer. Même si cela se révélait être un point plutôt négatif pour les pauvres hères dont les têtes viendraient probablement heurter le mobilier. Les tabourets du bar étaient vides, contrairement à la majorité des tables du fond, occupées par des silhouettes encapuchonnées. Ceux qui venaient ici, le faisaient pour être discrets et la pénombre de l'endroit devait particulièrement plaire à leurs activités, pour la plupart illégales.

Les chuchotements se turent un instant lorsque les deux énergumènes entrèrent puis reprirent lorsqu'ils trouvèrent place à une table. Le regard mauvais du patron les avait immanquablement suivi depuis leur entrée, faisant peser sur eux une menace silencieuse qui ne valait pas grand chose pour l'ingénieur. Il était accompagné d'une Gardienne et ce n'était pas un homme à l'abdomen volumineux avec des cheveux gras et moutonneux qui allait l'intimider. Au mieux Keïra se servirait de sa tête comme d'une vieille serpillière pour éponger le sol une fois qu'elle aurait fait fuir tous les autres clients.

Après avoir reposé dans un claquement sec la chope en terre cuite qu'il nettoyait, il saisit entre ses mains une petite plaque en bois et s'approcha des deux compères. Une fois près d'eux, la pauvre tablette se retrouva jetée brutalement sur la table. 

Le Dealer de MotsWhere stories live. Discover now