Sauvetage

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L'atelier n'était éclairé que par une petite lampe-tempête posée à même le parquet. Juste à côté, une petite silhouette assise en tailleur au beau milieu du désordre. Elle tentait de faire concorder des tubes taraudés de différentes tailles avec l'embout de son dernier petit appareil mais aucun de ceux qu'elle avait choisi ne semblait adapté. Poussant un long soupir, elle se remit à la recherche de la pièce manquante à quatre pattes au milieu les boîtes les plus proches.

Thio entra dans la pièce, faisant grincer la porte menant à la dépendance. La jeune fille ne prêta aucune attention au bruit, comme si son farfouillage s'avérait vital. Le vieil homme n'osait pas l'avouer mais cela faisait déjà plusieurs jours qu'il était inquiet. Elle avait souvent manifesté un intérêt certain pour le bricolage, menant parfois même ses propres projets, ce qui ne manquait pas de réchauffer le cœur du Bricoleur qu'il était. Mais là, c'était différent. Le premier jour elle était entrée, le sourire aux lèvres, prête à donner d'elle-même pour réaliser son but. Puis les jours avaient avancé, et elle lui avait de plus en plus tristement fait penser à une turbopompe. On les utilisait parfois pour déplacer rapidement des liquides, le plus généralement de l'huile. Mais parfois une dépression apparaît dans le fluide, et la cavitation fait son entrée. De petites bulles prennent forme, de plus en plus nombreuses au fur et à mesure que la pompe accélère. Puis elles érodent, effritent, grignotent les parties mécaniques de l'objet, le fragilisent, jusqu'à ce qu'il cède brutalement.
Il avait vu les bulles de Lia apparaître : les sourires qu'elle n'affichait plus, les piqûres données par les pattes fines des composants quand elle les attrapait, les coupures que lui infligeaient les vieux rouages quand elle les montait mais surtout les heures de sommeil perdues un peu plus chaque nuit à travailler inlassablement. A ses yeux ne parvenait plus qu'une version dégradée de ce qu'était Lia. Et son cœur ne manquait de se serrer lorsqu'il l'observait comme cela, depuis le pas de la porte.

La jeune fille jeta rageusement un tube métallique sur le sol. Le son retentit succinctement dans l'atelier, le temps que le cylindre rebondisse et aille se perdre dans une caisse de composants mécaniques divers. Thio avança doucement vers l'enfant secouée de sanglots qui continuait malgré tout de chercher d'autres fragments de technologie dans le débarras. Une fois assez proche, il s'accroupit pour l'observer. Elle avait étalé devant elle plusieurs petits appareils sur une large bande de cuir. Tous étaient incomplets et de conception à priori légèrement complexe. 

- Lia, dit-il doucement. Qu'est-ce qu'il y a ?

Il n'avait pas l'habitude d'échanger avec elle sur ce genre de sujet. Chacun d'entre eux vivait sa vie, avec leur rythme, leurs projets. Parfois ils se croisaient, mais la cohabitation s'arrêtait là, à une communalisation du logement et des biens. Pourtant, chacun des deux tenait à l'autre, ils n'avaient juste pas besoin de le montrer.

- C'est demain ..., sanglotât-elle.
- Demain quoi ?
- J'ai rien fini, j'y arriv'rais pas dit-elle en reniflant bruyamment avant de s'asseoir lourdement sur le sol, laissant tomber ses outils.
- Demain quoi ? répétât-il.
- Le procès.
- Chela'k ? osa-t-il.

Après tout cela faisait un moment qu'il ne l'avait pas vu traîner dans les parages. Avec des activités comme les siennes, ça n'aurait pas été étonnant qu'il se fasse attraper et juger.

- Non, dit-elle en secouant la tête.
- Qui alors ?
- Je ... je dois finir, prononça-t-elle entre deux hoquets.

Elle se repencha en avant, saisissant sa clé dynamo préférée d'une main tremblotante, puis esquissa un mouvement vers une de ses créations. Une main s'interposa, ferme, lui saisissant le poignet. Surprise elle tourna la tête vers Thio avec un mélange d'incompréhension et d'angoisse dans ses yeux baignés de larmes.

Le Dealer de MotsWhere stories live. Discover now