Thio prit une nouvelle fois le cube entre ses mains. Décidément ça n'allait pas. Il ouvrit d'un coup sec un des tiroirs de son établi avant de laisser ses mains tremblantes fouiller dans le fatras indescriptible d'éléments métalliques. Quelques rouages et écrous tombèrent au sol dans l'opération. Ne trouvant pas son bonheur, il s'interrompit et reposa l'objet devant lui avec délicatesse.
Un doute le taraudait plus fort qu'une perceuse à métal. Il se savait pourtant si proche de la solution. D'une main il retira ses lunettes-loupe et les posa sur l'établi trop encombré de prototypes inachevés. Du bout du doigt, le seul encore propre, il frotta le coin de ses yeux. Il était fatigué, trop fatigué pour voir le foutoir qu'était devenu son atelier. Un peu de bazar n'était pas anormal pour un Bricoleur. Leur métier était constitué de ces éléments, faire l'impossible avec presque rien, et surtout n'importe quel petit élément abandonné à disposition. Thio figurait parmi les plus anciens et les plus connus. Et même si la clientèle se faisait rare ces derniers temps il poursuivait sa tâche d'inventeur. S'il avait eu trente ans de moins il aurait peut-être pris le temps d'essayer de ranger un minimum les montagnes de ferraille accumulées, mais ils avaient déjà disparu depuis belle lurette.
Soudain, un grincement se fit entendre de l'autre côté de la pièce. Suivi par un tintamarre métallique. L'ouverture de la porte avait provoqué une avalanche de matériel qui s'était propagée d'une pile à l'autre jusqu'à tapisser le sol de l'entrée. Malgré le vacarme Thio remit sa seconde paire d'yeux en place et reprit sa réflexion sur le petit cube de métal. Derrière lui des pas précautionneux faisaient grincer le plancher, tentant tant bien que mal d'éviter les innombrables débris jonchant le sol.
- La porte ... grommela Thio sans se retourner de sa chaise.
Lia leva les yeux au ciel puis fit demi-tour avant de se plaquer contre la porte pour la refermer dans le même crissement métallique atroce qu'auparavant.
- Tu pourrais au moins dire bonjour quand tu rentres ajouta-t-il.
- Et toi tu pourrais ... au moins ranger. Ce n'est plus ... un ... atelier, c'est un ... dépotoir. Dit-elle cherchant son souffle.
Thio renifla avant d'hausser les épaules.
La jeune fille retraversa la pièce évitant autant que possible le fatras d'outillages qui jonchait le sol de la pièce. Aux chiffons sales succédaient tournevis, clés Allen, clés de serrage, scies, pinces et bien d'autres outils. Le préféré de Lia était une petite clé dynamo qu'elle avait elle-même confectionnée. Parvenant à hauteur du siège de Thio, elle sautilla sur place afin de débarrasser son pied d'une multitude de petits engrenages qui venaient de se couler d'une boite ouverte.
- Allez montre-moi ! dit-elle avec entrain
- T'as pas autre chose à faire ? ronchonna-t-il
- Allez ! Montre ! Quand t'es comme ça, ça veut dire que y'a un truc qui bloque.
Sans lui laisser le temps de répliquer, elle poussa la chaise montée sur roulement vers le mur et son propriétaire rouspéteur avec. D'un geste rapide elle attrapa le dispositif expérimental entre ses doigts et le retourna. On aurait dit une petite boite métallique hérissée de tuyauteries et de dents d'engrenages, mais la forme globale restait celle d'un cube. Elle le retourna encore et encore jusqu'à en avoir vu les moindres recoins. Puis avec ses doigts, elle traça le parcours des petits pipelines de vapeur. Son visage s'était alors totalement fermé de concentration et alors qu'elle fronçait les sourcils pour la énième fois, le vieil homme s'était rapproché et avait posé une main sur son épaule.
- Alors tu as trouvé ? dit Thio un sourire barrant son visage
Il l'observa faire encore un petit moment. Comme à chaque fois qu'il lui présentait une nouvelle invention, elle préférait découvrir d'elle-même le fonctionnement. Elle avait sûrement déjà la réponse au bout des doigts. C'est qu'elle saisissait vite comment tout s'articulait. Si seulement elle n'avait pas été obligée de travailler. Ou surtout si elle ne perdait pas le peu de temps libre qui lui restait à traîner avec ce voyou de Chela'k, elle aurait pu être son apprentie. Une excellente apprentie.
YOU ARE READING
Le Dealer de Mots
FantasyLes mots ont disparu. Du moins pas tous. Suite à la guerre, nombre de mots ont été purement et simplement bannis. Dans ce monde de prohibition où on ne s'exprime plus que simplement et techniquement, parler de sentiments est devenu difficile. Des re...