- prologue

3.1K 130 19
                                    


C'était un jeudi, un soir pluvieux. La foudre déchirait le ciel, les arbres peignaient le vent, les oiseaux ne chantaient plus, les lumières s'étaient éteintes.


Je me rappelle m'être adossée près de la large fenêtre. J'avais observé la rue Hacker. C'était la rue de mon enfance, la rue de mes premiers mots, de mes premières chutes. La rue d'antan. D'épaisses fissures lézardaient les murs, elles n'avaient jamais été réparées. La ville n'avait pas assez d'argent pour nous, mais personne ne s'en était plaint. Ici, on vivait avec le temps mais surtout avec le cœur. Les voitures étaient toujours mal garées. C'était désordonné, un peu comme notre vie à tous. C'était comme cela qu'on aimait vivre, sans un sou mais libre comme l'air. L'optimisme nous gâchait, mais nous rendait heureux.

L'appartement était silencieux, j'étais seule. Encore plus que d'habitude. Du coin de l'œil, je fixai le cellulaire aniline posé sur la cheminée. J'attendais qu'il chantonne. J'attendais qu'il s'exprime, j'attendais ma sentence.

Le temps semblait long et lassé de lui-même. La nuit perdurait si longtemps qu'elle aussi semblait s'endormir. Alors, quand j'entendis la sonnerie s'élever dans les airs, je décrochai abruptement. Une douce voix parvenue à mes oreilles, une voix cristalline qui contrastait avec la noirceur du crépuscule. Avec une voix si angélique, on ne pouvait annoncer que des bonnes nouvelles. C'est ce que je m'étais dit. Je l'avais pensé fort. Je l'avais espéré, comme la pauvre naïve que j'étais et que je ne fus plus jamais.


- Toutes mes condoléances.


Les lampadaires se rallumèrent tandis que mon cœur s'éteignit. Je n'avais pas répondu. J'avais raccroché. Il n'y avait rien à dire. J'étais désormais réellement seule, dans cette appartement. Je n'avais même pas pleuré. Il ne me restait plus aucune larme.

Alors j'avais tourné ma tête une dernière fois vers la rue Hacker cette fois-ci éclairée de la lumière artificielle. Je me voyais là, dans une robe azure aux volants infinis, trottinant entre les gens et les voitures. Je pouvais même entendre mes petits souliers blancs claqués contre le goudron brûlant de l'été. Je pouvais entendre mes rires se perdre dans l'atmosphère. Les rires d'un enfant heureux d'être à la maison.

Et c'est en imaginant ma silhouette nébuleuse d'enfant que je me mis à fébrilement sourire avant de me promettre que je ne laisserais plus quelqu'un mourir.

Paradoxe | P.JMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant