Je l'invite à s'asseoir sur le canapé du salon, et je plonge dans ses yeux couleur de givre. Par quoi commencer ? Il y a tant de choses que je voudrais lui demander.
- Tu as dis hier que tu vivais en Alsace, comment se fait-il que tu es scolarisée à Paris, alors ?
Son regard s'assombrit.
- Raisons personnelles.
Okay, je vois. Elle reste fermée à l'idée de dire quoique ce soit sur elle, et tout ce mystère à son sujet, commence à devenir frustrant.
Je décide de ne pas persister, il sera toujours temps d'essayer plus tard. Je trouverais un moyen de la faire parler. Elle ne me résistera pas éternellement, mais pour l'heure, je n'ai aucune envie de mettre un froid entre nous.
Je décide donc de lancer un autre sujet de conversation.
- Tu veux faire quoi après le bac ?
Elle réfléchit quelques instants.
- Des études pour devenir architecte.
- C'est un beau projet.
- Et toi, tu veux faire quoi ?
- Des études de médecine.
Elle ne semble pas surprise.
- Je m'en doutais, mais pour devenir quoi ?
- Cancérologue.
Ma voix est plus sèche, que je ne voulais, mais tout ce qui évoque de près, ou de loin le mot "cancer", m'irrite le coeur.
- On dirait que tu y tiens particulièrement.
- Oui.
Je ne veux pas m'étendre là-dessus. Kélya est une fille intelligente, et elle a le sens de l'analyse, à vrai dire, je parie qu'elle déjà fait le rapprochement avec la mort de ma mère.
- Tu sais...quand tu cauchemardais hier, tu as crié "maman".
Je le savais, elle est vraiment perspicace.
- Je n'ai pas envie d'en parler.
J'essaie de me maîtriser, mais elle n'a pas l'air de vouloir en finir avec moi. Elle est tenace.
- Je sais.
Un insupportable silence s'installe, je décide d'aller sortir le gâteau du four.
- Viens, le gâteau doit être près maintenant.
Elle se lève à son tour, et me suit.
Je sors le gâteau du four, et je remplis deux grands verres de jus d'orange.
Je découpe le gâteau en petites parts, dont deux que je met de côté, pour Kélya et moi. Je n'ai jamais autant voulu réussir un gâteau de toute ma vie. Je lui tend l'assiette, et le verre, et elle me remercie, avec son sourire terriblement craquant.
Je vais m'asseoir à côté d'elle, et j'attend sa réaction, tandis qu'elle croque un morceau de gâteau. Elle ferme les yeux, et ses muscles se relâchent, comme si elle était sur un nuage. Elle émet un son incompréhensible, puis déclare "C'est trop bon. Merci. Tu es le meilleur.".
Elle est trop mignonne. Maman aurait adoré avoir Kélya pour belle-fille.
Belle-fille ? J'ai perdu la raison, nous ne sommes même pas en couple, et nous le serons probablement jamais.
Kélya et moi ne pouvons pas nous associer. Je suis le feu, elle est la glace. Elle est insasissable. Regardez-là, on dirait une illusion. Personne ne la possédera, personne ne pourra se mettre en travers de son chemin. Elle est sentimentalement indépendante, elle n'a besoin de personne pour se rassurer, elle a l'air tellement solide, tellement forte. Et puis, moi je suis le coureur de jupons, le fêtard mélancolique, un connard par excellence. La seule femme qui a été digne de mon amour est morte, depuis, je n'ai plus la force d'aimer à nouveau. L'amour est une forme d'audace, à laquelle je ne veux plus jamais succomber. J'ai souvent remarqué que c'étaient les gens auxquels on tenait le plus, qui finissaient par s'en aller. Et si je l'aime, tôt ou tard, elle s'en ira.
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Le courage d'aimer
RomanceLui, c'est Gabriel, dix sept ans, terminale S. Depuis la mort de sa mère, Gabriel a sombré. Il écoute de la musique toute la journée, et il enchaîne les filles, et les soirées trop alcoolisées, pour noyer son chagrin. Alors que Gabriel pense avoir p...