CHAPITRE 18

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Ces deux heures de philo s'annoncent longues. Après avoir fait l'appel, monsieur Durand se lève de sa chaise de bureau, et s'avance vers le centre de la pièce, une craie en main. Il semble réfléchir quelques instants, nous demeurons silencieux, en attendant qu'il parle. Mais il ne parle pas. Au lieu de ça, il se tait, et se contente de sourire malicieusement. Il tend sa main droite sur le tableau, et écrit à l'aide de sa longue craie fine, blanche et poudreuse : "Victor Hugo déclare : ôter l'illusion à l'amour, c'est lui ôter l'aliment." 

Super, c'était vraiment le moment de parler d'amour...

Il se retourne dans notre direction, et annonce : "La philosophie repose essentiellement sur l'esprit critique. Avant de vous apprendre à faire une dissertation classique, j'aimerais en connaître un peu sur vous, et je pense que la manière dont vous considérez l'amour est très révélatrice de la nature de votre âme. J'aimerais que l'on consacre ce cours au premier débat philosophique de l'année. J'ai écris au préalable les prénoms de chacun d'entre-vous sur un papier, et je les ai mélangés au fond d'une boîte, je vais maintenant demander à un élève de jouer la main innocente, et de tirer deux prénoms au hasard. Ces deux personnes prendront la parole devant tout le monde et échangeront leurs opinions sur l'amour."

Un silence de mort règne dans la salle. Je trouve que c'est assez angoissant de devoir exposer sa vision de l'amour devant tous ses autres camarades et qui plus est en débattre avec quelqu'un, qui peut avoir une opinion contraire. On pourrait bien mentir, inventer des arguments ou répondre approximativement, mais Mr Durand ne m'a pas l'air dupe. Il doit faire partie de ces professeurs qui sont réellement passionnés par la matière qu'ils enseignent, ses grands yeux nous fixent comme si on était nus, dépourvus de toute armure. C'est un peu comme s'il savait qui nous étions mieux que nous-mêmes, et c'est bien ce qui m'effraie. Je n'aime pas l'idée que quelqu'un puisse lire en moi, dans les autres disciplines, peut-importe ce qu'on dit, cela ne veut rien dire de personnel. La valeur d'un chiffre au carré, une loi de physique antique ou le nom d'un élément chimique, ce ne sont pas des informations que l'on a inventées, ou pour lesquelles il nous a fallu solliciter notre réflexion, or en philo, on est forcé de faire intervenir nos pensées profondes, pour nourrir nos arguments, nos exemples, et c'est terrifiant. 

Mr Durand prend la boîte dans ses mains, et s'avance vers Stessy, assise au premier rang, à côté de la fille aux cheveux gris. Le prof lui demande de tirer un papier, et d'énoncer le prénom à voix haute. Stessy tire un petit morceau de papier replié avec ses longs doigts fins, elle le déplie doucement, son regard se point dans ma direction, puis elle annonce d'une voix claire : "Gabriel". En quelques secondes, l'ensemble des regards se braquent sur moi, enfin tous,  sauf le regard de braise aux yeux couleur de l'eau gelée. Bien évidemment, il fallait que ce soit moi. 

- Gabriel, je t'en prie jeune homme, prends place sur la chaise devant le tableau. 

Je me force à me lever, bien que j'ai absolument pas envie de parler d'amour. De toute façon j'ai même rien à dire sur le sujet.

- Merci jeune fille, je vais demander à Gabriel maintenant de tirer le prénom de la personne qui va venir le rejoindre pour nourrir ce débat. 

Je plonge mes mains dans la boite, et en tire un petit papier quelconque parmi la trentaine que cette boîte doit contenir. 

Je déplie le papier.

Mon estomac se noue. 

- Kélya. 



Le courage d'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant