La nuit a été assez agitée. J'ai encore refais le même horrible cauchemar dans laquelle je revois ma mère mourir. J'ai l'impression que j'en rêverais jusqu'à ma mort. J'ai tellement fait ce rêve, que je pourrais le décrire très nettement du début jusqu'à la fin, comme si une véritable scène de film qu'on regarde sur un écran. Le seul véritable film d'horreur qui puisse vraiment me donner des sueurs froides d'ailleurs.
Nous sommes lundi, ce qui signifie que la semaine a recommencé. Je me suis levé en retard ce matin, ça commence mal. Je bois un verre de jus de fruits en vitesse, et embarque une barre de céréales dans mon sac, au cas où je ressens la faim. Je saute sous la douche, et me badigeonne rapidement avec mon savon corporel habituel. J'enfile un jean blanc et un sweat noir à motifs, avec une paire de baskets noires, et je m'en vais.
Quand j'arrive, je m'attends à voir Kélya me défiant du regard, tout en persistant à m'ignorer, comme si l'on ne se voyait pas en dehors des cours, sauf qu'elle n'est pas là. La chaise à côté de Stessy, habituellement réservée à Kélya, est vide. Étrange, elle est pourtant rentrée à l'internat hier. Enfin, c'est juste ce qu'elle m'a dis.
Le cours de philosophie a commencé depuis plus d'un quart d'heure, et Kélya n'est toujours pas arrivée. Cela ne semble même pas choquer Stessy. Peut-être qu'elles ne sont pas si proches que cela, après tout.
Je commence à croire qu'elle n'est vraiment pas rentrée à l'internat du lycée hier soir, et je culpabilise. C'était ridicule de la laisser partir comme ça toute seule, au milieu de Paris en plus. Je m'en veux.
Et si il lui était arrivé quelque chose ? Et si elle était retenue quelque part dans un vieux hangar abandonné en échange d'une rançon ?
Bon okay j'abuse peut-être un peu. Mais bon.
J'essaie de chasser ces images de mon esprit, et de me remettre au travail. J'irais en parler à Stessy après le cours, il y a forcément une explication relationnelle à tout ça.***********************
Les deux heures de philo m'ont paru durer une éternité. J'aperçois Stessy qui rassemble rapidement ses affaires, je me hâte de ranger les miennes, afin de la rattraper et lui demander si elle a des nouvelles de Kélya.
- Hey Stessy !
Elle se retourne et ouvre de grands yeux en me voyant. Elle regarde brièvement autour d'elle comme si elle n'était pas sûre que c'était elle que j'appelais.
C'est vrai qu'avant Kélya, je n'avais jamais vraiment discuté avec Stessy. On est dans la même classe depuis la seconde, elle est calme, et plutôt gentille, mais je n'en avais pas vraiment eu l'occasion. Ces dernières années, j'avais pris l'habitude d'aborder seulement les filles que je voulais baiser, et Stessy n'en a jamais fais partie. Elle a un certain charme, mais elle n'est pas mon genre. Je l'ai toujours trouvé trop maigre et trop banale physiquement. C'est pour ça qu'aujourd'hui je comprends qu'elle puisse s'étonner que je lui adresse la parole.
- Je voulais juste te demander si tu avais des nouvelles de Kélya, déclaré-je.
Elle semble réfléchir à ce qu'elle va répondre pendant de longues secondes, comme si elle hésitait à me dire quelque chose à son sujet. Je rajoute donc : "je m'inquiète pour elle".
- Vraiment ? Rétorque-t-elle spontanément comme si elle semblait en douter.
- Oui. On s'est vus hier après-midi, et elle est rentrée à l'internat seule alors...
- À l'internat ? T'es sûr ? Kélya n'est pas interne pourtant. Me coupe-t-elle.
Je réfléchis deux minutes. Il est vrai que je n'ai jamais eu la preuve concrète qu'elle possédait une chambre à l'internat, mais en même temps je ne vois pas pourquoi elle m'aurait menti. Elle m'a aussi dit que ses parents habitaient en Alsace. Serait-ce un autre mensonge ? Mais pourquoi dormirait-elle à l'hôtel si ses parents habitaient Paris même. Tout cela s'embrouille dans mon esprit, je vais devoir sérieusement mettre au clair cette affaire quand j'aurais mis la main sur Kélya, en admettant que Stessy ait une piste.
- J'ai dû confondre alors dis-je le plus naturellement possible...mais tu as pas une idée de où je pourrais la trouver du coup ?
Elle baisse les yeux et se dandine sur elle-même, à croire qu'elle semble hésiter à me le dire. Pourquoi est-elle tellement secrète à propos de Kélya ? Je n'ai quand même pas le profil d'un tueur en série à ce que je sache.
- En fait si, mais c'est compliqué car je suis pas censée le savoir. Reconnait-elle.
Je fronce les sourcils, la sondant du regard. Mais encore ?
- La dernière fois, tu te souviens le jour de son malaise de sport ?
Je hoche instinctivement la tête. Bien sûr que je me souviens, elle avait rêvé d'un certain Garbiel, et au fond j'espère encore que c'était peut-être moi.
- Et bien en rassemblant ses affaires au vestiaire, je suis tombée sur une ordonnance médicale, et je me suis permis de la lire...je sais j'aurais pas dû, mais c'était plus fort que moi.
- Et donc...?
- Le nom des médicaments prescrits était complexes, j'en avais jamais entendu parler. C'était pas des médicaments communs comme du doliprane tu vois.
Elle me regarde attentivement, hésitante, puis elle finit par me le confier.
- C'étaient trois boîtes de zyprexa renouvelables, sur présentation de l'ordonnance. J'ai fais une recherche sur internet, c'est un neuroleptique que l'on prescrit dans le cadre de maladies psychiatriques, et en particulier la schizophrénie.
Je me sens comme un coquillage sur une banquise. J'ai toujours senti qu'elle était différente des autres, mais je ne pensais pas qu'elle devait sa différence à une maladie mentale. Elle m'a jamais paru dérangée ou malsaine psychologiquement. Certes, j'avais toujours trouver ça étrange qu'il soit difficile de lui arracher des confidences personnelles, mais rien de tout cela ne m'a mis la puce à l'oreille. Pourquoi ne m'avoir rien dis ? Pourquoi te le dirait-elle, elle ne te fait pas confiance, me rétorque ma conscience. Je m'en veux de l'avoir laissé partir la dernière fois, si j'avais su, je me serais assuré qu'elle rentre saine et sauve.
Où peut-elle bien être en ce moment ?
- Merci Stessy, ne t'en fais je le garderais pour moi.
Elle me considère un instant, dubitative puis elle s'en va.
J'extirpe mon téléphone de ma poche et après quelques secondes de réflexion, je décide de l'appeler, ça sonne mais elle ne répond pas. Je réessaye, même résultat. Je suis inquiet, j'aimerais savoir où elle est, pour m'assurer qu'elle va bien. Je sécherais bien les cours de l'après-midi, mais Paris est une grande ville, et je n'ai pas la moindre idée de l'endroit où elle peut bien se trouver, ce serait peine perdue.
Depuis la fin des cours, j'ai réessayé d'appeler Kélya une fois toutes les heures, je lui ai laissé des messages, et je commence vraiment à m'inquiéter maintenant. J'espère qu'elle donnera rapidement de ses nouvelles, cela fait longtemps que je m'étais pas inquiété pour quelqu'un d'autre que moi-même, et j'avoue que cette sensation ne m'avait pas manqué. Avant elle, j'étais à l'abri des incertitudes, des prises de têtes, des heures de réflexions inavouables. Avant elle, tout était écrit, et puis elle est arrivée dans ma vie comme une plume argentée décidée à écrire la suite.
Je tombe dans le sommeil aux environs des vingt-deux heures, assommé par la révélation d'aujourd'hui, fatigué de démêler cette situation dans tous les sens possible depuis des heures.
*****
Bip bip bip.
Les vibrations sonores d'un téléphone me réveillent en sursaut. Il ne me semble pas que ce soit déjà l'heure du réveil. Interloqué, je consulte mon tél, en espérant que cela ne soit pas encore un appel d'Alex, ce mec est un insomniaque de première catégorie, il ne fait plus la nuance entre le jour et la nuit.
C'est le numéro de Kélya qui s'affiche. Mon rythme cardiaque s'accélère. Il est une heure et demi du matin. Pourquoi m'appeler à cette heure là ? Bon au moins, elle donne enfin signe de vie, je décroche d'une voix fatiguée et inquiète.
- Kélya ?
- Gabriel...marmonne-t-elle d'une voix brisée.
Elle pleure.
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Le courage d'aimer
RomanceLui, c'est Gabriel, dix sept ans, terminale S. Depuis la mort de sa mère, Gabriel a sombré. Il écoute de la musique toute la journée, et il enchaîne les filles, et les soirées trop alcoolisées, pour noyer son chagrin. Alors que Gabriel pense avoir p...