Chapitre 2: Que la fête commence!

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Le nez dans son cahier noir, Audrey sursauta en entendant les cloches de l'église qui annonçaient dix-huit heures, l'heure de l'ouverture de la fête... Elle allait être en retard ! Elle bondit puis dévala la colline jusqu'à sa maison en contre-bas. Elle ouvrit difficilement la porte et constata que la chaumière était déserte. « Mes parents doivent s'être rendu à la fête, se dit Audrey, ils auraient pu m'attendre tout de même ! » La jeune adolescente monta les marches de l'escalier quatre à quatre, manquant de tomber à plusieurs reprises. Elle débarqua dans sa chambre en trombe et enfila en quatrième vitesse la tenue que Myriam lui avait préparé. Soigneusement étendue sur son lit, une robe bleu foncé en haut qui partait en dégradé jusqu'au bleu ciel.

Audrey n'aimait pas se pomponner. Elle n'en voyait pas l'intérêt. « Perdre cinq minutes de sa vie pour bien s'habiller est une perte de temps, répétait-elle sans cesse ». Malgré les nombreuses supplications de Myriam, elle n'avait jamais cédé pour qu'elle la maquille. Cela lui était insupportable. Sa seule concession était un bijou qu'elle gardait en permanence autour de son cou. Ce collier en or était ce qu'elle avait de plus précieux. Sûrement parce qu'elle l'avait depuis qu'elle était arrivée à Cursed...

Audrey courut jusqu'au centre de la ville où elle s'arrêta net, émerveillée et haletante : des lampions contenant des bougies bleues et jaunes avaient été suspendus aux fenêtres des maisons, scintillant dans le ciel comme de magnifiques étoiles éclairant la place d'une lumière douce et scintillante. La place du centre-ville était encore plus rempli qu'à l'ordinaire : les magasins étaient fermés et tout le monde vint profiter de la fête. Des panneaux sur lesquels de grosses lettres noires étaient inscrites, indiquaient « FERMÉ » sur toutes les portes des boutiques. Dans les vitrines de celles-ci demeuraient des guirlandes bleues et jaunes. Une odeur de gaufres et de miel flottait dans l'air. Des enfants criaient et jouaient à la balle. Des ballons de différentes couleurs étaient attachés à la fontaine. Celle-ci brassait une eau claire et limpide où se reflétaient magnifiquement les étoiles ainsi que les lueurs diffusées par les lampions. Audrey leva sa tête ronde pour observer le firmament. Il était beau, bleu-nuit et tellement envoûtant... Pourquoi devait-elle subir le terrible sort de ne le voir qu'une fois par an ? Cette attente était si cruelle, si insupportable... Existait-il des endroits où le ciel était visible tout le temps ?

Audrey était émue, à tel point qu'une larme coula sur sa joue rebondie. Elle baissa la tête et longea la foule du regard. Toutes les personnes étaient vêtues de somptueux habits et discutaient entre elles en riant. Elles semblaient si heureuses...

Éblouie, Audrey tourna sur elle-même mais ses yeux verts se posèrent sur un groupe de jeunes de son âge qui lui tournait le dos. Elle voulut s'approcher d'eux mais les propos qu'elles entendit la stoppèrent net):

_ Elle est si bizarre, dit une fille rousse. Je me demande pourquoi ses parents l'ont gardée...

_ C'est sûr, adhéra un garçon grassouillet. C'est la fille d'une sorcière...

_ Ou d'un vampire !

Audrey sentit son cœur se serrer. Elle se mordit les joues pour ne pas pleurer.

_ Elle est arrivée, un jour, comme ça ! Comment ne pas la prendre pour un monstre ! Tout le monde sait qu'il n'y a pas de moyen de partir ou de venir ! C'est de la magie !

_ Elle n'a pas sa place parmi nous !

Sans qu'elle puisse les retenir plus longtemps, les larmes tombèrent et vinrent s'éclater sur le sol, couvert de confettis. Elle enfouit son visage entre ses mains et se laissa aller au chagrin. Elle renifla tandis que les rires de ses camarades résonnaient dans ses petites oreilles. Sa tête se fit soudainement très lourde. Il fallait qu'elle se reprenne...

_ Que se passe-t-il, ma petite Audrey ?

L'adolescente redressa légèrement la tête juste assez pour voir d'où venait cette voix éraillée. Un très vieil homme bossu se tenait devant elle. D'après ses souvenirs, il se nommait Zénon. Il était le plus vieil homme du village, et, hélas, n'avait plus de famille. Personne ne savait quel était son âge.

Il s'approcha de la brunette en pleurs et posa délicatement sa vieille main fripée sur son épaule. D'une voix qui se voulait rassurante et chaleureuse, il lui dit :

_ Ne t'inquiète pas. Un jour, tu trouveras ta place... peut-être qu'elle n'est juste pas ici...

Audrey leva le menton. Tandis que son regard croisait celui du vieillard, ses yeux se voilèrent de nouveau de larmes. Sa vue se brouilla malgré tous ses efforts pour ravaler ses sanglots.

D'un vif geste du poignet droit, elle essuya ses pleurs puis releva sa tête pour voir Zénon. Cependant, celui-ci n'était plus là, il avait disparu. « Si même les personnes gentilles se mettent à me fuir ! pleurnicha Audrey ».

Elle chercha ses parents dans la foule, encore les yeux rougis par les moqueries des gamins. Il ne fallait laisser ces adolescents lui gâcher cette journée qui avait toujours eu une importance particulière pour elle. Elle marcha, évitant les regards des habitants, jusqu'à ses parents. « Un pas après l'autre, se répéta-t-elle pour ne pas tomber. Un pas après l'autre... » Elle se faufila à travers la foule et alla les embrasser.

_ Salut Grégoire et Myriam, sourit-elle hypocritement.

Ils étaient très élégants. Lui portait un costume noir avec une délicate chemise blanche. Quant à elle, elle était vêtue d'une charmante robe noire moulante qui mettait en valeur sa poitrine opulente et ses hanches fines. Pour apporter une touche de couleur et égayer sa tenue, elle portait des boucles d'oreilles jaunes et bleues. L'une était une lune et l'autre un soleil. À côté d'eux se trouvaient Monsieur et Madame Tim, les propriétaires de la boulangerie située en face de la librairie de ses parents. Ils n'avaient pas d'enfant et habitaient dans un appartement situé au dessus de leur boutique, ce qui était pratique puisqu'ils devaient se lever bien avant l'aube pour préparer du pain.

_ Voilà notre grande fille, s'exclama Grégoire en l'attrapant par les épaules pour la tirer vers lui.

Audrey, surprise par cette rare manifestation d'affection paternelle si rare car il n'en faisait jamais, salua ses voisins d'un signe de main. La remarquant à peine, ils continuèrent leur discussion avec entrain. La petite aux cheveux châtain, soupira. Ce qui la dérangeait le plus en dehors du fait que les gens la prenait pour un horrible monstre, était la réputation que ses parents pouvaient avoir. Si ils vendaient encore moins de livres que d'habitude, ils seraient pauvres et seraient obligés de voler pour manger. Ce qui n'arrangerait rien. « Ce serait abominable qu'ils finissent en prison, se répétait Audrey, après tout ce qu'ils ont fait pour moi... »

_ Donc votre fille va bientôt être libraire dans votre boutique... C'est bien pratique, soupira Monsieur Tim, parce que nous, nous n'avons aucun descendant pour reprendre notre boulangerie... on va devoir former et payer quelqu'un !

Audrey se figea. Elle allait reprendre la librairie... elle allait rester pour la vie dans cet enfer... Abasourdie, elle cria :

_ Non ! Quelle horreur!

Les regards se convergèrent vers elle. Un silence pesant s'installa attendant que quelqu'un ne le coupe. Audrey devait parler, mais la tête de Grégoire lui glaçait le sang. Ses sourcils étaient froncés et la veine dans son cou palpitait. Il n'était pas seulement en colère, non, il était fou de rage...


Audrey et les trois écolesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant