Prologue : Vingt-cinq ans pour toujours

878 64 53
                                    


Vers toi je roule, baleine destructrice qui ne récolte que le néant, je suis aux prises avec toi jusqu'au dernier instant, du cœur de l'enfer je te frappe, au nom de la haine je crache contre toi mon dernier souffle. Sombrez tous cercueils, tous corbillards dans la mare commune puisque nuls ne peuvent êtres miens, que je sois déchiqueté et lié à toi en te chassant, baleine maudite ! C'est ainsi que je rends les armes !

 Sombrez tous cercueils, tous corbillards dans la mare commune puisque nuls ne peuvent êtres miens, que je sois déchiqueté et lié à toi en te chassant, baleine maudite ! C'est ainsi que je rends les armes !

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Le temps paraît ralentir, les secondes s'étirent à l'infini.

Je ne sais plus qui disait que l'on sait avec précision lorsque cela se finit, de la même façon que l'on sait lorsque cela commence. Mais pour la première partie, je sais maintenant que c'est vrai.


C'est la fin.
 Je vais mourir. 
Dans une poignée de très courtes, ou très longues secondes, j'aurai cessé de vivre.

Ce n'est pas vraiment une surprise. Je le sais depuis des semaines que je vais mourir.

Je m'y suis préparée, ou, en tous cas, j'ai cru m'y préparer.

Toutes ces semaines à apprivoiser ma propre mort, et finalement la voilà.


Je me demandais si j'aurais peur.
 Si je serais triste.
 Si je serais heureuse. Paniquée. Soulagée. En paix. Amusée. Révoltée.

Et en fait je me rends compte que je ne suis rien de tout ça.
 Je suis juste totalement concentrée.
 Attentive.
 Je ne perds pas une miette de ce qui se passe.

C'est le moment le plus intense de toute ma vie.


Ma mort est un putain de spectacle.

Je sens absolument tout.

La texture de la poussière sur le sol, là où je suis couchée, et dont mes mains sont maintenant couvertes. L'odeur de la pierre, de la rouille, le parfum lourd du sang. La sensation de douleur dans ma poitrine, mes jambes, je sens le sang détremper mon pantalon. 
Je sens le poids et la froideur de la grenade que je tiens dans la main.
 Je sens sa forme ovale, la moindre de ses aspérités, je sens très exactement le métal de la goupille, ce petit objet, si léger, qui maintient le détonateur en position de sécurité, tout comme ce gros bloc de béton gris en travers de mes jambes, si lourd, me maintient moi, en position de mort imminente.


J'entends très distinctement le petit cliquetis métallique de la grenade lorsque je la dégoupille.

C'est marrant parce que là, tout de suite, je me rappelle un truc que Merle a dit un jour à mon sujet. Que j'étais tellement impatiente que le jour de ma mort je ne prendrai même pas le temps de voir ma vie défiler devant mes yeux.

Plutôt ironique quand on pense à quel point tout semble aller au ralenti en cet instant précis.


Alors que je jette la grenade, je sens chacun des muscles de mon bras et de mon épaule en action. Je vois la grenade décrire une lente et élégante courbe à travers l'air.


C'est bizarre cette expression, quand on y pense. Pourquoi devrait-on voir sa vie défiler devant ses yeux ? Je n'ai pas besoin de passer ma vie en revue, je la connais déjà, je veux dire, j'y étais.

Je n'ai pas vraiment envie de penser à moi en cet instant précis. J'ai davantage envie de penser à Merle.

Après tout, j'ai passé suffisamment de temps en ma propre compagnie, et absolument pas assez en sa compagnie à lui.

J'entends la grenade tomber par terre hors de la pièce, rebondir et sautiller gaiement, et dévaler l'escalier. Chacun de ses rebonds sur les marches en fer ajoute un coup de cymbale à la symphonie de sons que j'entends.


Ma mort est un putain de solo de batterie.


J'imagine parfaitement les rôdeurs au rez-de-chaussée tendre l'oreille et tous tourner la tête vers mon petit cadeau, subitement très intéressés. Les morts-vivants, ils sont vraiment aussi curieux que des petits chats, c'en est presque mignon.

Ce serait vraiment dommage pour eux que la grenade ne dévale pas l'escalier jusqu'en bas.
Je ne voudrais pas les priver de cette jolie surprise.


Heureusement, j'ai encore une dizaine de ses petites sœurs à balancer.


Chacune d'entre elle traverse l'espace aussi paresseusement que la première et les goupilles tombent sur mes cuisses puis sur le sol les unes après les autres avec des petits bruits cristallins.

Gling gling gling.
Ça accompagne bien tous les jolis sons résonnants des grenades qui sautillent là où je les envoie, dans l'escalier, dans le couloir à ma droite, à ma gauche, un peu partout.

'aime bien les bâtiments industriels pour ça. Béton, aluminium, tôle et acier. Tout cela fait une musique très joyeuse.

Je me demande si je vais avoir le temps de balancer toutes les grenades avant que la première n'explose.
 Jolie coïncidence, c'est justement au moment où je me pose la question qu'elle le fait.

J'entends le bruit massif de l'explosion, dans mes oreilles, dans mon ventre, dans le sol sous moi, je l'entends partout. Juste après, le souffle m'enveloppe, montant de la cage d'escalier, une vague de vent, une immense respiration.

La deuxième arrive peu de temps après.

Puis la troisième.

Un nuage de poussière furieuse s'abat sur moi, m'obligeant à fermer les yeux et à me cacher le visage dans mon bras.


J'ai jeté toutes mes grenades, sauf une. Celle-là, je la garde bien serrée dans ma main.

Celle-là, je la garde pour moi.

Les grenades continuent d'exploser les unes après les autres.
 Je sens le sol trembler sous moi. Tout vibre autour de moi. J'entends et je sens des murs s'effondrer, des plafonds tomber, la cage d'escalier se désintègre, le rez-de-chaussée s'émiette comme une fourmilière dans laquelle on donne un coup de pied.

La température monte, l'air devient ardent, me brûle la poitrine.
 Cet immeuble était déjà en ruines avant moi, après moi il sera en morceaux.

Je sens qu'autour de moi tout s'effondre.
 Un morceau de plafond tombe juste à côté de moi.


Tout doit disparaître.

Et moi aussi.

J'espère que Merle, dehors, ne perd pas une miette de ce superbe feu d'artifice.

Merle.

J'imagine très bien ce qu'il pourrait dire en ce moment. T'en fais du bruit, sale gosse, voilà ce qu'il dirait.

Qu'est-ce que tu veux, Merle, on se refait pas. Je ne pouvais pas, vraiment pas partir discrètement.

Il fallait que ma mort soit spectaculaire. 
Et elle l'est.
 Toute cette lumière, cette musique, toute cette belle poussière virevoltante.


Considère ça comme mon cadeau d'adieu, Merle.

Et soudain je ne sens plus le poids du bloc de béton sur mes jambes. Je ne sens plus le sol sous mon dos. Le sol était aussi un plafond et ce plafond est en train de s'effondrer. Avec moi.

Autour de moi des morceaux d'immeuble tombent, d'innombrables gravats chutent au sein de volutes de poussière superbes.

Une grande respiration s'exhale dans mon dos, là où la pièce qui se trouvait derrière moi se fait entièrement souffler par l'explosion d'une des dernières grenades.

Un nuage de débris de bois et de papier traverse l'air, tables, chaises et étagères réduites en miettes.

Un gouffre s'ouvre sous moi et m'avale.


Je dégoupille ma grenade.


Le petit cercle de métal qui retenait le détonateur va rejoindre le camaïeu de débris qui m'accompagne dans ma chute.
 Je me replie sur moi-même en serrant la grenade contre ma poitrine.

En cet instant précis, je suis très exactement le centre du monde. 
Et le monde se referme tout autour de moi.

Maintenant je peux fermer les yeux.
J'aurai vingt-cinq ans pour toujours.


Mais l'histoire ne s'est pas arrêtée là. 
Elle n'a pas commencé là non plus.

La morte joyeuse - Tome Un - The Walking DeadOù les histoires vivent. Découvrez maintenant