Aaron Burr, Monsieur ?

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1776. New-York.

   Comme perdu dans les grandes rues près du port de New-York, Alexander Hamilton cherchait. Il était à la poursuite d'un prodige, d'un homme parmi ceux que le système a de précieux : Aaron Burr. Tout droit débarqué de l'université de Princeton, le jeune Alexander, du haut de ses dix-neuf ans, venait de trouver celui pour lequel il était venu.

"Excusez-moi, êtes-vous Aaron Burr monsieur ?"

   L'autre se retourna. Son visage bronzé et ses yeux si profonds s'étaient posés face à leur interlocuteur.

"Ça dépend, qui le demande ?

- Oui, bien sûr, monsieur. Mon nom est Alexander Hamilton. Je suis à votre service, monsieur. Je vous cherchais.

- Vous me rendez nerveux."

  En réalité, c'était uniquement à Alexander d'être impressionné par la prestance d'Aaron. Avec son sourire en coin et son air charmeur, il était dur de cacher un secret, quel qu'il soit.

"Monsieur, j'ai entendu parler de vous à Princeton. J'étais à la recherche de cours accélérés, quand je me suis plus ou moins embrouillé avec l'un de vos amis. Je l'ai peut-être frappé. C'est un peu confus, monsieur. Il gère les finances...

- Vous avez frappé le trésorier ?

- ... Oui."

   La tête basse, Alexander se redressa d'un seul coup en assumant ses actes et en les justifiant.

"Mais je voulais seulement faire comme vous : être diplômé en deux ans et rejoindre la Révolution ! Il m'a regardé comme si j'étais stupide - je ne suis pas stupide. Alors comment avez-vous fait ? Comment avez-vous été diplômé si vite ?

- C'était la dernière volonté de mes parents sur leur lit de mort."

   L'ambiance et l'atmosphère autour d'eux se refroidit d'un coup, jetant un vent froid sur leur conversation. Aaron Burr, croyant en avoir fini, repartit de son côté, laissant là le futur diplômé. Mais ce ne fut pas pour décourager Alexander, qui revint à la charge.

"Vous êtes orphelin, bien sûr. Je suis orphelin ! Bon Dieu, je voudrais tellement qu'il y ait une guerre pour que nous puissions prouver que nous valons plus que ce que les gens attendent de nous.

- Puis-je vous offrir un verre ?

- Ce serait bien agréable !"

   En se dirigeant vers le pub le plus proche, Aaron prit Alexander par les épaules et lui dit consciencieusement :

"Laissez-moi vous offrir quelques conseils gratuits : Parlez moins."

   La désillusion s'afficha sur le visage d'Hamilton qui regarda Burr, incrédule. Lui, futur avocat, on lui demandait de moins parler ? De tarir la flamme qui jamais ne lui avait fait défaut ? Son seul réel don, celui de parler, on lui ordonnait de le l'étouffer pour le tuer ? Bien décidé à comprendre les raisons de ce conseil, qui à ses yeux n'en est pas un, il le fixa et l'interrogea :

"Comment ?

- Souriez davantage ! Ne les laissez pas savoir ce que vous défendez et ce à quoi vous vous opposez.

- Vous ne pouvez pas être sérieux.

- Vous voulez avancer ?

- ... Oui.

- Les idiots qui parlent trop finissent généralement morts."

   Leur conversation fut interrompue par l'arrivée d'un homme, guilleret et fringuant, dans le pub. Ces cheveux longs, rejoints en une queue de cheval basse, flottaient autour de son visage joyeux et festif :

"Il est quelle heure ? Celle de faire la fête !

- Qu'est-ce que je disais... soupira Aaron."

   Comme pour répondre aux questions silencieuses de tous les clients du bar il cria à qui voulût  bien l'entendre : 

"Je suis John Laurens, toujours là où il faut être ! Barman, deux pintes de Sam Adams, mais je vise les trois !" 

   S'approchant d'un Brittanique, caractérisé par leurs fameux manteaux carmins, cibles faciles pour les Américains révolutionnaires en ces temps de lutte intérieure, il le prit par le col et vociféra :

"Ces manteaux rouges ne veulent pas croiser mon chemin, car, moi, je démonterais ces policiers jusqu'à ce que je sois libre !"

   Un autre, alerté par le bruit, le rejoignit et lui dit, dans son fort accent français, pas réellement dans la confidence pour que tout le monde puisse l'écouter :

"Mon ami, je m'appelle Lafayette, je suis le Lancelot du collectif révolutionnaire. Je suis venu de loin, juste pour dire "Bonsoir", et pour dire au roi "Casse-toi". Ici, qui est le meilleur ? C'est moi !"

   Pour compléter la joyeuse bande, un troisième et dernier se joignit à leur comité de lurons. Son visage bourru et sa carrure lui supposait un métier manuel, bien au fond de son atelier, comme le suggérait sa face pâle. Sa voix, quant à elle, avait été créée pour être entendue par le plus de monde possible :

"Je suis Hercules Mulligan. En joie et en plein dedans ! Ouais, j'ai entendu ta mère crier "Reviens" ! Cachez vos filles et vos chevaux ! Bien sûr, c'est dur d'avoir des relations par-dessus quatre assortiments de corset !"

   Sa voix avait beau été bâtie pour être écoutée, on ne peut pas vraiment dire de même à propos du vocabulaire porté par celle-ci. John, le prit par le bras, et l'emmena au comptoir :

"Ne parlons plus de sexe, sers-moi une autre chope, fiston. Levons nos verres !

- À la Révolution ! s'exclamèrent-ils tous en cœur."

   Soudain, au détour d'une remarque sur telle ou telle actualité, John se retourna et rencontra le regard d'Aaron. Porté par l'alcool, il ne put s'empêcher de l'apostropher :

"Eh, mais est-ce que ce ne serait pas le prodige de l'Université de Princeton ? Aaron Burr ! Chante-nous un couplet, balance-nous un peu de culture !

- Bonne chance pour ça, vous avez pris votre position. Vous jetez vos remarques, je reste assis. Nous verrons bien où cela nous mènera, répondit Aaron.

- Burr, la Révolution arrive. De quel côté es-tu ? le questionna John.

- Si vous ne défendez rien, Burr, pour quoi seriez-vous prêt à mourir ?"

   Un silence s'imposa de lui-même dans le pub. Cette dernière interrogation, portée par Alexander Hamilton posa un blanc. Les trois compères se retournèrent :

"Oh, Qui es-tu ? Qui est ce gamin, que compte-t-il faire ?"

L'Histoire a posé les yeux sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant