Mon coup

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   Toute la compagnie s'était retournée vers le jeune Alexander. Il n'avait qu'une seule pour qu'ils se souviennent de lui, il devait les épater, les impressionner et les laisser sans voix devant ce qu'il allait dire. Une seule solution lui vint à l'esprit : improviser. Il ne fallait pas qu'il rate son coup :

"Je suis comme mon pays, jeune, bagarreur et affamé. Je vais obtenir une bourse à King's College ! Je ne devrais pas me vanter, mais bon sang, j'épate et je laisse sans voix ! L'ennui, c'est que j'ai beaucoup de cervelle mais à l'état brut. Je dois vociférer pour me faire entendre, mais à chaque mot, je balance du savoir ! Je suis un diamant à polir, un morceau de charbon brillant qui essaie d'atteindre son but ! On ne peut trouver des mots pour désigner les miens. J'ai seulement dix-neuf ans mais mon esprit est plus âgé. Autour de moi, les rues de New-York se refroidissent. Je supporte chaque poids, chaque désavantage, j'ai appris à me débrouiller." 

   Plus personne ne parlait. Ne l'appréciaient-ils pas ou attendaient-ils la suite ? Pour le savoir, mieux vaut pour lui de continuer :

"Je n'ai aucun pistolet à brandir, je marche dans les rues, la faim au ventre. Mon plan est de faire grandir cette étincelle en moi pour la faire devenir flamme ! Mais tout s'obscurcit alors laissez-moi vous dire mon nom : je suis ALEXANDER HAMILTON ! Nous sommes fait pour être une colonie qui se dirige indépendamment, tandis que l'Angleterre continue de constamment s'asseoir sur nous. Ils nous taxent sans pitié, puis le roi George se retourne pour faire des dépenses folles. Il ne libérera jamais ses descendants, alors il y aura une révolution ce siècle-ci ! C'est là que j'entre en scène !"

   Lafayette, un sourire charmeur en coin le défia du regard :

"Qu'il dit entre parenthèses...

- Ne soyez pas choqués quand vos livres d'Histoire parleront de moi ! Je mettrai ma vie en jeu, si cela peut nous libérer, et vous assisterez peut-être à ma gloire ! Je ne raterai pas mon coup !

- Alors, buvons un coup !"

   C'était Laurens qui venait de l'inviter à leur table, pour boire. Il était donc finalement accepté dans leur groupe. Mais au final, que savait-il d'eux hormis leurs noms ? Comme pour répondre à cette interrogation et pour interrompre les pensées de chacun, c'est Lafayette qui reprit le flambeau :

"Je rêve d'une vie sans monarchie ! L'agitation en France nous mènera jusqu'à l'onarchie !

- Onarchie ?

- Comment dit-on ? Ah ! Anarchie ! Quand je me bats, je sème la panique dans l'autre camp, avec tous mes coups !"

   Entre nous, nous nous moquions, sans aucune méchanceté, de l'accent français de Lafayette, si peu adapté à la langue américaine. Mulligan annonça la suite, un air sombre au fond des yeux :

"Je suis apprenti tailleur. Je rejoins la Révolution car je sais que ma seule chance de progresser socialement au lieu de coudre des pantalons. Je pense que je vais boire un coup...

- Mais nous ne serons jamais vraiment libres tant que ceux qui sont enchaînés n'ont pas les mêmes droits que nous ! Toi et moi... Marche ou crève. Attendez donc que je débarque sur un étalon, suivi du premier bataillon noir ! Buvons un autre coup !"

   Apparemment, Laurens avait le chic pour interrompre les monologues et empêcher un blanc de se former au sein d'une conversation. En parlant d'interrompre, c'est Aaron, qui avait été légèrement délaissé, qui vint taper du poing sur la table :

"Les génies, calmez-vous et baissez d'un ton. Si vous évitez les ennuis, vous doublerez vos choix. Je suis de votre côté, mais la situation est risquée. Vous devez en être bien renseignés : si vous parlez, vous serez fusillés !

- Burr, regardez ce que nous avons avec nous ! Monsieur Lafayette, puissant comme Lancelot ; Mulligan, je trouve que tes pantalons sont sexy ; Laurens, je t'aime beaucoup ! Alors pondons un plan encore plus sombre que le fond d'un chaudron ! Quel hasard que le Dieux nous ait tous mis en ce même endroit. En détruisant la sagesse conventionnelle, qu'ils le veuillent ou non, nous sommes une bande révolutionnaires abolitionnistes ! Donnez-moi une position, montrez-moi où sont les munitions !"

   Un soudain regain de conscience assaillit Hamilton. Il se rassit tristement sur sa chaise, tentant de se faire petit, comme s'il essayait de se rentrer dans le trou du lapin blanc. Mais tout le monde avait les yeux posés sur lui.

"Est-ce que je parle trop fort ? Parfois, je m'excite de trop et raconte n'importe quoi. Je n'ai jamais eu un groupe d'amis avant. Je vous promets de tous vous rendre fiers de moi !

- Mettons ce gars en face d'une foule !"

   Les quatre étaient d'un commun accord. Pourquoi gâcher ainsi en vain le pouvoir d'éloquence que possédait Hamilton ? C'est ainsi que naquit la première manifestation d'Alexander Hamilton.

   Au dehors du pub, les quatre compères rameutaient des gens pour leur exposer leurs idéaux :

"Faites-vous entendre !

- Hurlez-le du haut des toits !"

   Une jeune fille se fit soudainement renverser par un homme près d'elle, harangué par la foule. John, altruiste, lui tendit la main afin de l'aider à se relever. Elle avait des noisettes, une peau légèrement basanée, et de longs cheveux noirs, ondulés, lui tombant sur les épaules. John la prit par la main et hurla à la foule :

"Levez-vous ! Quand vous vivez à genoux, levez-vous ! Dites à votre frère qu'il peut se relever ! Dites à votre sœur qu'elle doit se relever !

- Quand est-ce que ces colonies s'élèveront-t-elles ?" reprirent Mulligan et Lafayette en chœur.

   Alexander, dans son coin, avait la mine sombre et morbide. Il pensait, solitaire, à ce qui était en train de lui arriver. Il commençait à changer l'Histoire. N'était-ce pas ce dont il avait toujours rêvé ?

   Il avait tant imaginé la mort qu'elle se ressent en lui comme un souvenir. Quand la frappera-t-il ? Dans son sommeil ? A sept pieds devant lui ? S'il la vois venir, doit-il fuir ou la laisser venir ? Est-ce comme un rythme sans mélodie ? Il n'a jamais cru qu'il  vivrait au-delà de vingt ans. De là où il vient, certains n'en vivent que la moitié. Demandez à n'importe qui pourquoi ils rient, empoignent leurs bouteilles, vivant au jour le jour. Ils doivent faire durer le moment, cela suffira. Mais oublions ça !

   Ce n'est "un moment" c'est le mouvement ! Ou sont partis les plus affamés de nos frères, ceux qui avaient quelque chose à prouver ? Nos ennemis s'opposent à nous, mais nous les controns honnêtement ! Nous avançons comme Moïse, réclamant notre Terre Promise ! Et ? Si nous remportons notre indépendance ? Est-ce une promesse de liberté pour notre descendance ? Ou est-ce que le sang versé entraînera un cycle sans fin de vengeance et de mort sans accusés ? 

"Je sais que le remue-ménage de la rue est excitant mais bon sang, entre les combats et les effusions de sang, moi j'ai lu et écris. Il faut que nous nous occupions de notre situation financière. Sommes-nous une nation d'Etats ? Dans quel état est notre nation ?"

   Il se retourne soudainement vers la foule.

"J'en ai assez d'attendre patiemment ! Je piétine leurs attentes avec passion ! Chaque action est un acte de création ! Je ris au visage de la mort et de la misère, pour la première fois de ma vie, je pense plus loin qu'à demain !"

   La détermination et la force, agrémentés d'une pointe de folie, se ressentait dans les yeux d'Alexander. Il émanait de lui une force telle que plus personne n'osait broncher et l'on aurait entendu les mouches voler si le port de New-York et sa mer déchaînée n'avait pas été face à eux.

L'Histoire a posé les yeux sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant