Les rois du monde

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S'il y a bien un moment où il ne faut surtout pas les déranger, c'est quand ils sont dans leur voiture. Une vieille twingo blanche, déjà trop usée par le temps et les kilomètres. Mais pour rien au monde ils ne voudraient en changer.

Cette voiture, pour eux, symbolise beaucoup de chose. Beaucoup de première fois, aussi. Eren se souvient avec émotion de la toute première fois où Livaï a posé ses mains sur son volant un peu abimé. Un grand moment. Et depuis, il y en avait eu tellement, tellement... Eren ne peut plus tous les compter.

Beaucoup trop de souvenirs. 

Ce dont ils sont persuadés, c'est que cette voiture est devenue un bout deux même. Un espèce de porte bonheur, une vieille amie, à leur côté chaque jour de l'année. Et quand ils sont dedans, c'est leur moment, rien qu'à eux, leur bulle intime, leurs univers, dans lequel ils sont bien les rois du monde.

Eren, chaque jour, espère que cette agréable sensation d'invincibilité durera pour toujours.

Et c'est donc tout naturellement que Livaï vient chercher Eren chaque matin, et qu'ainsi chaque matin Eren se fait une joie immense de monter à bord de la twingo.

Aujourd'hui ne fait pas exception.

Le jeune garçon dévale les escaliers de quatre en quatre, enfile ses chaussures sans prendre le temps de nouer ses lacets, balance son manteau et son sac sur ses épaules, claque la porte de chez lui, et se faufile dans le brouillard épais du matin. Et, puisque Eren a toujours légèrement la tête dans le cul au sortir du lit, il fait demi-tour presque aussitôt, en s'apercevant qu'il avait oublié de fermer à clef.

Non, non, il n'habite pas seul, enfin, pas complètement. Il vit avec sa mère (ses parents étant divorcés pour violence conjugale), mais il ne la voit pratiquement jamais : elle travaille tout le jour, toute la nuit, pendant les jours fériés (qui malheureusement ne sont pas fériés pour tout le monde), et ne s'octroie que très rarement des vacances. Eren se demande même où, chaque matin, elle trouve encore la force de se lever, enfin faut-il encore qu'elle dorme. Et quand il lui demande, elle répond avec douceur qu'il faut bien payer le loyer.

Mais Eren ne se sent pas seul, loin de là. De un, parce qu'il passe son temps dehors, à traîner avec des amis. De deux, parce que chez lui, il y a sa soeur. Soeur adoptive, oui, mais soeur quand même. Mikasa et lui se tiennent compagnie, et rien que ça, pour lui c'est suffisant. Cependant, elle, n'a pas la même chance, et doit se rendre tous les matins dans sa fac en transports (Livaï et Mikasa ont toujours eu une relation électrique).

-C'est moi ! salut-il d'un ton excessivement enjoué son conducteur, en ouvrant la portière.

-Qui d'autre ? soupire le brun en face de lui, en haussant un sourcil.

Il ignore sa remarque et s'installe confortablement sur le siège passager, en se tortillant légèrement. A côté de lui, son fidèle ami. Et à peine son regard acier se fixe dans le sien, qu'Eren se sent immédiatement en confiance. Un nœud au fond de son estomac se débloque, sa respiration se fait entière.  Livaï est là, à ses côtés, et Eren sait qu'il peut enfin avoir l'esprit tranquille. C'est toujours comme ça. Et ça l'a toujours été. 

-Oui, oui, bon ça va... Faut que je t'avoue un truc. Je me suis toujours demandé si en fait t'avais pas deux pieds gauches.

-Pourquoi ça ?

-Aucune chance qu'un jour tu te lèves du droit.

-Tu sais que tes blagues pourries le matin me fatiguent encore plus ? Déjà que j'ai dû gratter le pare brise toute à l'heure... Alors que toi t'étais sûrement encore en train de pioncer, râle Livaï.

Roule, jeunesse !  [TERMINEE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant