Morceau quatre - Hel

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Paris

Lorsque je franchis la porte de mon appart, mon sourire ne m'a pas quitté. Je suis ravi de l'avoir envoyé bouler comme je l'ai fait. Les gens chiants et agressifs dès le premier abord, c'est loin d'être mon truc.

Je pose mon casque sur la commode, avec mes gants et accroche mon cuir sur le perroquet de l'entrée. Dans le canapé, je vérifie les notifications de mon téléphone. J'en ai toujours des centaines alors que je me contrefous de mes réseaux sociaux.

Rien de neuf, juste des jeunes filles qui veulent se foutre à poil à l'un de mes concerts. J'ai quelques demandes en mariage aussi. Et un peu d'insultes. Rien qui suffirait à me faire grimper aux rideaux.

En regardant mes messages, je constate que je n'ai aucune nouvelle de Damien. Tant mieux, il doit être en train de sauter quelqu'un dans l'un des hôtels de la capitale. En revanche, j'ai un message de Paulo, le seul ami que j'ai gardé de ma vie d'avant.

Il me parle d'une soirée dans une boîte du septième, le Thalys. Ça rentre dans mes contrats, il faut absolument que je sois vu partout et en toutes circonstances. Damien voudrait que je rajoute une greluche à mon bras. Parce que d'après lui, ça serait plus crédible.

Conneries et conneries.

Après avoir répondu à Paulo, je balance mes fringues dans ma chambre et enfile des vêtements de sport. C'est toujours mieux de se défoncer à la salle de sport plutôt que de se défoncer avec une seringue.

Je mets la musique en route dans mes oreilles. Je sais pas comment font les autres musiciens, mais je suis incapable d'écouter ce que je produis. Parce que moi ça me saoule de l'entendre en boucle pendant des heures.

Rapidement, je fais un sac et je prends les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée. Encore ce putain de problème avec les ascenseurs. La salle de sport se trouve au bout de la rue. Ordre direct de Damien. Et c'est plutôt compliqué de passer outre les ordres du vautour.

En bref, il m'a autorisé à me défouler autant de temps que je veux, tant que je me fais pas pister par les paparazzis dès que je fous mon nez dehors. Il fallait donc une salle de sport près de l'appart.

Je salue le gérant, mon casque sur les oreilles. J'écoute les Beatles et j'ai prévu d'enchaîner sur Pink Floyd, qui peut se vanter de faire ses jambes sur un solo de David Gilmour à part moi ?

Pendant un moment, je me défoule comme si ma vie en dépendait. Mine de rien, il m'a foutu en rogne avec ses questions stupides. Je ne suis pas un couteau-suisse de la musique et je ne me confierai pas non plus sur ma vie sentimentale. Parce que déjà, elle est inexistante. Mais surtout parce que ça ne le regarde pas.

Je lui demande pas combien de fois par semaine il saute sa femme. D'ailleurs, je n'ai pas remarqué d'alliance à son doigt.

Sur le chemin du retour, je vérifie mon téléphone. Paulo me rejoint chez-moi dans une demi-heure. Évidemment, je vais être à la bourre. Archyos se ferait un plaisir de me le faire remarquer. Parce que ce type est incapable de voir plus loin que le bout de son petit nez.

Quand Paulo sonne à l'interphone, je viens de sortir de la douche. Je crois que je me suis perdu dans mes pensées. Ça arrive souvent en ce moment. Comme à chaque fois, il me serre dans ses bras avant de me faire une bise sonore.

J'ai jamais vraiment compris pourquoi il faisait ça, mais ça lui fait plaisir, alors je m'en fous. Il s'installe dans le canapé, les pieds croisés sur la table basse. Paulo est un peu chez lui dans cet appart, j'aime pas y rester seul trop longtemps.

Je m'habille rapidement et opte pour les mêmes vêtements que d'habitude, mon Jean noir et mon t-shirt blanc. Ce n'est pas ce soir que je vais faire un effort. Je n'ai personne à voir. Enfin si, des fans qui vont probablement me saouler pour une photo. Mais je veux dire, je n'ai rendez-vous avec personne.

Paulo siffle quand j'arrive dans la pièce, un sourire goguenard étirant ses lèvres. Évidemment, je joue le jeu et lui offre ma plus belle courbette. Comme celle à la fin des spectacles, quand tu t'es arraché pendant des heures sur des morceaux de guitare.

Le Thalys est plutôt bien placé dans Paris. Les néons surgissent de tous les côtés et la musique est déjà assourdissante. Le sourire que Paulo m'offre est probablement le truc qui vaut le plus d'or sur cette planète. Sans plus de cérémonie, nous entrons dans le carré VIP.

C'est assez grand, il y a du champagne, des cigares. Et surtout, on domine toute la piste de danse. En gros, mon œil de faucon peut tout repérer et ça me fait marrer.

On commence tranquillement avec une petite coupette. Si je finis déchiré, Damien me les coupe. Et même si elles ne m'ont jamais servi, j'y tiens. Parce que je n'ai pas prévu de changer de registre et de me mettre au lyrique.

— Ça déchire d'avoir son pote qu'est connu partout ! hurle Paulo près de mon oreille.

Il se remet alors à se déhancher en rythme. Enfin, il essaye. Parce que on dirait plus un canard qui a l'aile cassée.

A la fin de la troisième coupe, on se décide à descendre sur la piste, avec les gens normaux. Ouais, c'est sympa à l'étage mais tu te fais rapidement suer tout seul. Paulo se jette sur le bar comme la misère sur le monde. Moi, je me calme sur l'alcool.

La partielle obscurité évite qu'on me reconnaisse à chaque pas que je fais. Je sens une pellicule de sueur dans ma nuque, là où mes cheveux chatouillent ma peau.

En me retournant, je percute une masse. Un corps. Un mec vivant. Et sobre. C'est déjà un bon début. Des grands yeux qui me détaillent. Une barbe brune, plutôt bien fournie. Un gars assez grand avec des yeux hypnotiques.

— Archyos, chuchoté-je.

— Hel, ajoute-t-il.

Un temps. Deux temps. Trois temps.

Et il se barre.

— Waw ! C'était quoi ça ? s'exclame Paulo, deux verres à la main.

Je hausse les épaules, négligemment.

— Rien.

Maestro Où les histoires vivent. Découvrez maintenant