Morceau six - Hel

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Paris

Paulo a encore dormi avec moi cette nuit. Ça m'arrange, je déteste la solitude de cet appart. Damien m'engueule à tous les coups. Parce que, apparemment, sa présence pourrait me déconcentrer. Ce qu'il a pas compris, c'est que sans sa présence, j'envoie tout valser.

Hier soir, on est encore sortis. C'est bien le seul truc que j'ai le droit de faire sans que Damien me tombe dessus. Enfin, j'ai toujours le droit au même discours. Pas trop d'alcool. Pas de drogues. Pas de filles. Rien quoi.

Du bout des doigts, j'attrape mon téléphone. La lumière m'éclate les yeux. Je crois que ma rétine est flinguée. Je le déverrouille et je tombe sur la conversation avec Archyos. Ah oui. C'est vrai. Je n'ai pas voulu répondre hier soir.

Et ce matin, je ne sais pas quoi dire. Il ment comme un arracheur de dents. J'étais bien le seul à avoir la situation sous contrôle. Il est prétentieux. Je n'aime pas ça. Ouais, il est doué. Mais c'est quand même loin d'être le meilleur. Il n'est pas à la tête de Vogue non plus.

— Tes messages avec ce type sont carrément plus froids que ceux que tu échanges avec Dam-le-dictateur. Ça doit être un sacré trou du cul, commente Paulo, près de moi.

Je me marre. Parce qu'il a raison.

« Pour un mec qui avait entièrement la situation sous contrôle, tu te laisses facilement déconcentrer. H. »

Satisfait, j'envoie le message. J'aime bien ce genre de messages. J'ai l'impression d'envoyer un pavé en plein milieu de la mare. Et je trouve ça vraiment super drôle.

Paulo est déjà en train de se faire couler de l'eau chaude. Pour boire un thé. Je comprends pas son délire avec les thés, ça n'a aucun goût et ça ne présente aucun intérêt. Mais ça reste mon pote, alors je l'accepte comme il est.

Je n'ai pas très faim. C'est souvent comme ça après les soirées. Mon foie est en burn-out, alors je ne l'emmerde pas plus que ça. Je bois juste un peu d'eau. Parce qu'il faut bien que je me donne bonne conscience.

— Bon, Hel, c'est quand que tu nous ramènes une fille sympa que tu pourras me présenter ?

Je fronce les sourcils. On a cette discussion toutes les semaines. Et c'est chiant. En plus, ma réponse reste immanquablement la même.

— Je ne veux pas d'une fille ou d'un mec qui soit là pour ma thune. Et je ne suis pas en manque d'amour ou de cul, enchainé-je.

Ça me paraît compliqué d'être en manque de cul quand on n'y connait rien. Absolument rien. Un néant sentimental et intergalactique. C'est comme tout ce qui se passe dans ma vie, je fais avec.

Paulo se renfrogne, il est persuadé que je fais aucun effort. Et il n'a peut-être pas tort. Mais je n'ai pas vraiment envie d'en faire. C'est contraignant les relations, ça prend du temps et, justement, j'en manque.

Quelques heures plus tard, Paulo s'est barré. Il avait du travail à faire. J'en profite alors pour m'installer dans le canapé, un carnet dans les mains. C'est là que j'écris mes chansons. Celles que je n'ai pas le droit de publier. Trop sombres. Trop tristes. Pas assez vendables.

Alors, souvent, pour ne pas les laisser moisir au fond de ce carnet, je me fais tatouer. Ça a pas vraiment le même effet, mais j'arrive aussi à me libérer comme ça. Un jour, je devrai me calmer. Et me soigner. Parce que, un jour ou l'autre, ma peau sera remplie d'encre noire.

J'écris. Pendant des heures. Sur ma supposée noirceur. Sur mes souvenirs. Sur mes cicatrices. Sur tous ces trucs qui font un peu trop mal quand on y pense un peu trop longtemps.

Quand j'estime que je me suis assez purgé, parce que ouais, écrire ses chansons est une sorte de thérapie, je range mon carnet quelque part. En vrai, je le cache. Je suis sûr que Damien serait capable de fouiller dans mon appart.

Une véritable fouine.

Rapidement, je constate que mon ventre hurle à la mort et qu'il a besoin d'être rassasié. Je fais un crochet par ma chambre et constate que mon téléphone m'attend sagement sur mon lit. Comme un appel à la débauche et aux conneries.

Est-ce que répondre aux messages de Archyos est considéré comme une connerie ?

Sûrement un peu. Mais je n'ai qu'une envie et je compte bien en profiter. Je range mon téléphone dans ma poche arrière, prêt à le regarder quand je serai à table. Je ne suis pas trop du genre à être le nez rivé sur mon portable. Et l'imaginer poireauter en attendant ma réponse a quelque chose de magique.

Ou peut-être qu'il s'en fout. Comme moi.

Avec mon plat de pâtes, je ne fais pas le fier. Je ne sais pas cuisiner, c'est un enfer. Damien gueule toujours à cause des emballages de plats commandés. Ce qu'il ne comprend pas, c'est qu'en dehors des instruments, je ne sais rien faire de mes deux mains gauches. Genre rien faire du tout.

Une fois que mon « repas » est prêt, je m'installe à la table de la cuisine. Seul. Je m'autorise alors à sortir mon téléphone. Mes pâtes sont tièdes lorsque je le déverrouille. Évidemment, notre conversation est toujours ouverte.

« Ouais. Déconcentré par vos tatouages vulgaires et vos piercings provoquants. »

Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer. Je suis dépité de constater qu'il croit encore à ces stéréotypes débiles. On dirait un grand-père qui parle. Mais en même temps, j'ai du mal à croire que ce Archyos soit sincère dans ce qu'il dit.

Il n'avait pas l'air si arriéré la dernière fois que je l'ai vu. Mais une rencontre ne suffit pas à cerner les gens.

« Je trouve ça intéressant de constater que tu te caches derrière des excuses pour justifier le fait que tu étais déconcentré par tout autre chose. Mon charme, par exemple. »

Satisfait, je verrouille mon téléphone et le pose sur la table. Avec un sourire non-dissimulé, je plante ma fourchette dans mon plat de pâtes et les porte à ma bouche.

Merde. Mes pâtes sont froides.

Maestro Où les histoires vivent. Découvrez maintenant