Morceau deux - Hel

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Paris

Lorsqu'un poing s'abat sur la porte, je sais d'avance que c'est Damien. Mon agent. Un mec toxique et véreux qui fume autant qu'il boit. Tous les jours. Parce qu'il a une vie de merde et qu'il a sa poule aux œufs d'or. Moi.

Je traverse le couloir pour lui ouvrir et j'ai envie de taper un malaise quand je vois son visage. Même son propre corps ne le supporte plus. Il est ridé et bouffi. Il ne ressemble à rien. On dirait un croisement entre plusieurs animaux. Et ça me fait marrer.

Il hausse un sourcil devant mon sourire. Il ne sait plus vraiment ce que c'est. Avec tout le botox qu'il s'injecte dans une clinique privée super chère, ça m'étonne pas vraiment.

— Sape-toi, t'as rendez-vous dans deux heures pour une interview.

Depuis quelques jours, je les enchaîne. Paraît que c'est bon pour l'album de faire de la pub comme ça. Moi je pense juste que j'en fais beaucoup trop et que les gens voudront plus voir ma gueule après. Mais comme dit Damien, je ne suis pas payé pour penser.

Dans le coup, je ferme ma gueule.

— Pour qui ?

En vrai, je m'en fous. Mais il faut quand même que j'ai l'air intéressé. Et surpris. Il faut que je sorte mon sourire le plus craquant, celui avec des fossettes et que je sorte mon plus beau cuir. Je fais ça tous les jours.

Au final, toutes les interviews sont les mêmes. Je dédicace deux-trois albums pour la forme. Je fais une photo avec une fan prise au « hasard » dans la rue. Ça, c'est juste du vent. On prend juste la plus photogénique qu'on trouve. Et souvent, elle est payée. Parce qu'elle ne me connaît absolument pas.

— OTS. Voilà qu'ils te courent après maintenant, dit-il en se frottant les mains comme un mec de la mafia.

OK. Finalement, ça me surprend. Parce que ça fait quelques temps que je fais de la musique, quelques années que mon succès grandit et je n'ai jamais eu aucune sollicitation de leur part. Comme si je n'existais pas. Un vulgaire pigeon sur le trottoir.

Pour le coup, je ne sais pas si je dois être content ou non. C'est cool comme opportunité, mais je n'ai aucune preuve que Damien n'a pas foutu son museau de fouine un peu partout.

— Ils n'ont jamais voulu me voir et maintenant, ils se réveillent. Ils envoient qui ? Le stagiaire ? Le mec qui travaille aux archives et qui n'a pas vu la lumière depuis des semaines ?

Tiens, on dirait que je suis amer. Ça ne me ressemble qu'à moitié. Comment on dit déjà ? Ah. Oui. Rancunier. Je suis un putain de rancunier. Et en plus, je n'oublie jamais.

Et peut-être que je suis un peu flatté aussi. OTS est un magazine incroyable. Une espèce de dieu venu sur Terre, sous un aspect de papier glacé.

— Non. Archyos.

Selon mes potes, c'est l'un des meilleurs dans son milieu. Un mec qui arrive à percer tous tes secrets en un seul regard. Apparemment, c'est un barbu qui porte toujours des vestes complètement bizarres mais qui s'en tape.

J'aime bien les portraits qu'il fait des gens. Ouais, c'est un mec plutôt intéressant.

— Maintenant que t'es fier comme un coq, magne-toi le cul, tu dois être là-bas dans deux heures, gueule Damien.

Il gueule tout le temps. Le matin, quand sa coke n'est pas bien coupée et que son café est froid. Le midi, quand sa bouffe est trop poivrée. Le soir, quand la fille qu'il a payée a du retard. Ou quand son bonnet est plus petit qu'un E.

Donc quand Damien gueule, je m'en tape. Il a toujours une excellente raison de le faire, alors je le laisse vivre sa vie de merde.

Je m'enferme dans la salle de bain, plus par mesure de précaution que par pudeur. Je fous mes fringues sales dans un panier et je m'observe quelques secondes. J'aime bien regarder mes tatouages et l'harmonie qu'ils dégagent. Ça a un côté apaisant.

Je change rapidement d'écarteurs, détail que personne ne regarde à part moi. Et c'est ça la beauté du geste. Je me lave consciencieusement sous l'eau tiède. Ouais, je pourrais augmenter la température mais j'ai la peau fragile.

Une serviette autour de la taille, j'essaie de dompter mes cheveux. Un peu trop blonds. Un peu trop longs. Appliqué, je mordille l'anneau autour de ma lèvre inférieure. Je sais pas trop pourquoi je fais ça, je crois que ça a un côté déstressant.

Au bout d'un moment, ça me saoule, alors j'abandonne. Je laisse mes cheveux faire leur vie, en rebiquant dans tous les sens, et m'occupe de la tenue. A chaque fois, je me dis qu'il faut les couper, mais je n'y arrive pas.

J'opte pour un Jean noir, classique, avec des trous. Et une chaîne. J'enfile mes Docs, un t-shirt aussi foncé que mon âme, donc blanc. Je mets des bijoux, surtout des bagues. Si quelqu'un me fait chier, un coup dans la mâchoire et basta.

— T'as prévu de sauter quelqu'un au siège d'OTS ou quoi ?

Il ricane. Un rire gras désagréable. Et j'ai envie de prendre ses blagues graveleuses pour les foutre dans son cul. Je hais vraiment ce type, mais un contrat nous unit pour encore quelques années. Pire qu'un mariage, pourtant dieu sait que j'exècre le mariage.

— Ta mère éventuellement, marmonné-je.

De toute façon, il est déjà parti. Au téléphone avec France 2. Damien a eu une idée lumineuse, il veut que je passe dans le canapé rouge de Drucker. Un dimanche je crois. Fais suer.

Quand je suis paré, j'enfile mon cuir et j'attrape mon casque de moto. Parce que ça m'évite de payer un chauffeur, je veux pas d'employés. Et parce que c'est clairement le moyen de transport le plus stylé de cette planète.

J'ai foutu Damien à la porte. Hors de question que ce mec reste dans mon appart pendant mon absence. Il serait capable de ramener ses escorts dans mon lit. Je plains ces filles. Je préfère rester vierge toute ma vie que de me taper un mec pareil.

Et ça tombe bien. Parce que c'est le cas.

La route jusqu'au siège d'OTS est assez rapide. C'est même étonnant pour une ville comme Paris. Je gare rapidement ma bécane dans la cour et retire mon casque. J'ose même pas regarder l'état de mes cheveux.

A l'accueil, une petite blonde me sourit. Elle est mignonne et a des petites taches de rousseur.

— Bonjour, je suis Hel, je cherche...−

— Monsieur Archyos vous attend en salle de réunion, huitième étage. Les ascenseurs sont sur votre droite.

Je la remercie d'un signe de la tête. Bien des ascenseurs. Ma hantise. D'un coup d'œil, j'avise les escaliers, sans trop me poser de questions. Je suis trop claustro là-dedans pour tenter quoi que ce soit.

J'arrive finalement au huitième étage, complètement essoufflé. Heureusement que j'ai arrêté la clope, sinon j'aurais dû faire mon testament au troisième étage.

Sans surprise, je trouve la salle de réunions. Complètement vitrée. Un seul homme est assis dans la pièce. Il est de dos, mais j'ai l'impression de voir une veste à motifs. Archyos sans aucun doute. Je pousse la porte et son regard me darde. Comme si j'avais tué toute sa famille dans la soirée.

— Vous êtes en retard, Hel.

OK. Il a l'air particulièrement chiant comme type.

Maestro Où les histoires vivent. Découvrez maintenant