Morceau dix-huit - Hel

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Paris

Les journées s'enchaînent sans jamais se ressembler. Enfin, si, le manque persiste. Il est là. Il s'infiltre et se moque grossièrement de moi. Mais je sais que je ne peux pas l'atténuer. Je me suis foutu tout seul dans la merde et c'est à moi de régler mes problèmes.

D'abord, je dois accepter que je me sois attaché à quelqu'un d'autre que moi. Et Paulo. Sauf que là, c'est différent. Mon cœur bat un peu plus fort dès que son sourire fleurit dans mon esprit. Je n'ai jamais ressenti ça pour qui que ce soit d'autre. Rapidement, le désir s'en mêle et je me retrouve en proie à toutes sortes de pensées obscènes.

J'ai envie de le joindre, mais je ne peux pas le faire. Je n'ai pas le droit de céder. Je me suis promis de le laisser tranquille, il n'a pas besoin de quelqu'un de fracassé dans sa vie. Et dommage, c'est pile ce que je suis. Un boulet. Une vulgaire tache dans un tableau magnifique. Un nuage noir dans un ciel bleu aveuglant.

Alors, je lutte, espérant vainement et naïvement qu'il finira par se lasser. De moi. Du peu de nous qui avait pu commencer. Mais c'est très mal le connaître. Isaac Archyos est journaliste. Isaac Archyos n'abandonne jamais. Isaac Archyos a toujours tout eu dans sa vie. Sauf des parents avec un minimum de jugeotte.

Je ne suis pas le mieux placé pour parler des parents.

Mon agent essaie bien de me secouer les puces, mais ça ne sert à rien. Je ne suis pas concentré. Mes pensées sont polluées par lui. Je suis incapable d'écrire une nouvelle chanson, même sur mon carnet secret. J'ai envie de rejouer au piano et d'hurler que je fais ce que je veux sur scène. Mais je ne dis rien, ce n'est pas mon caractère et j'ai l'habitude d'être le dindon de toute cette putain de farce.

Ma vie est un gag mal filmé et de mauvaise qualité.

Je ne dors plus beaucoup. Je me shoote à l'endorphine en me tuant au sport pour compenser. Ce qui est relativement stupide. Et je le sais très bien, mais je n'arrive pas à m'en empêcher.

Je picore mes repas sous les ordres de Paulo qui me harcèle pour comprendre ce qui s'est passé dans ma vie pour que je sombre autant. Je ne peux pas lui raconter. J'ai trop honte pour dire quoi que ce soit. Pas parce qu'Isaac est un homme. Non, j'ai honte parce que je suis devenu le connard à qui je m'étais promis de ne pas ressembler.

Quand quelqu'un tambourine à ma porte, je n'ai pas envie d'ouvrir. Je sais que c'est Paulo et je ne veux pas le voir. Pas ce soir, je n'en ai pas la force. Je décide de ne pas bouger de mon canapé. Parce que je sais qu'il repassera demain. Et après-demain. Et tous les autres jours qui vont suivre.

— Hel, putain, ouvre-moi !

La voix d'Isaac me glace le sang et mon cœur rate un battement. Il est devant ma porte. Il est venu jusqu'à moi malgré mon silence radio. Je reste incapable de bouger. Je me suis promis de le laisser tranquille.

— Hel, je sais que tu es là, s'il te plaît, réitère-t-il, abattu.

Mon cœur se serre et sa voix chevrotante m'achève encore un peu plus. Je me dois de lutter, je n'ai pas le choix. Même si ça m'abat. Je l'entends taper contre la porte et je me colle davantage contre le dossier du canapé.

A travers la porte, je l'entends pester et grogner. Je sais bien qu'il n'est pas content. A sa place, je serais foutrement en colère et j'aurais sûrement envie de tout éclater. Mais je ne suis pas à sa place. Je suis à la mienne et c'est loin d'être le plus évident.

— Très bien. Tu n'es pas obligé de m'ouvrir et peut-être même que tu vas appeler les flics tout de suite pour harcèlement, mais moi, j'ai des choses à te dire. Surtout une et j'ai besoin que tu le saches.

Un temps s'écoule et une larme perle aux coins de mes yeux. Ça ne peut pas se passer ainsi. C'est trop facile.

— J'ai discuté avec un chef ce soir, un mec aussi froid qu'une armoire à glace mais tu sais il m'a touché avec son discours. Et moi, Hel, je refuse d'avoir le cœur brisé. Je refuse de finir comme lui à attendre un amour qui ne viendra plus parce que je n'ai pas porté mes couilles pour une fois dans ma vie. Une seule et unique fois.

J'essaie de renifler discrètement mais c'est un échec. Je sais qu'il pleure de l'autre côté de la porte. Parce qu'il n'est pas aussi dur qu'il le prétend.

— Je t'ai toujours détesté. J'ai détesté ta musique, j'ai détesté ton personnage, j'ai détesté ta moto, tes tatouages et ta veste en cuir que tu arbores fièrement. Je refusais de voir ce qui se tramait sous mes yeux. J'aurais dû m'éloigner pour voir cette vue d'ensemble et je suis sûr que j'aurais percuté.

Sa voix se brise en une fraction de secondes.

— J'aurais percuté que j'étais jaloux. Jaloux de ton talent, de ta beauté et de tout ce que tu entreprends à chaque jour qui passe. Tu es un maestro Hel, un virtuose de la musique et tu as joué avec mes sentiments.

Un rire ironique s'échappe de ses lèvres et un frisson désagréable remonte le long de mon échine.

— J'ai rencontré Hel et tu m'as fait tomber amoureux de Helian.

Entendre mon prénom dans sa bouche est magnifique. Je sais que je ne le vois pas mais je suis persuadé que mon prénom épouse ses lèvres avec beauté. La mélodie qu'il produit fait battre mon cœur un peu plus vite et je crois qu'il vient d'abattre le peu de barrières qu'il me reste.

Évidemment, je lui en veux. Parce qu'il n'était pas dans mes projets, il n'était pas dans ma vie et il a abattu toutes mes certitudes. J'ai beau bluffer et prétendre que je ne ressens rien pour lui, je ne peux pas duper mon cœur et ses battements incessants.

Sans pouvoir amorcer un quelconque mouvement de recul, je m'approche de la porte d'entrée. J'ai l'impression de percevoir son souffle de l'autre côté et cette idée précipite ma chute.

Lentement, et avec incertitude, j'ouvre la porte. Isaac se tient assis sur le paillasson, les traits tirés et les cheveux en bordel. Sa veste est froissée et ses yeux brillent avec éclat. Il est beau. Foutrement beau. Et ça me rend fou de lui.

Avant qu'il n'ait pu ouvrir la bouche pour protester, je me blottis dans ses bras, me galvanisant de sa chaleur réconfortante et de son odeur masculine. Son cœur tape fort dans sa poitrine et nos regards s'ancrent comme pour la première fois.

Il presse ses lèvres contre les miennes avec une douceur que je ne lui connaissais pas et mon cœur explose dans ma poitrine, tandis qu'un régiment de papillons prend son envol dans mon ventre.

Il est tout ce dont j'ai besoin dans ma vie.

Maestro Où les histoires vivent. Découvrez maintenant