Morceau cinq - Isaac

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Paris

Une semaine s'est passée depuis l'interview. Et je rechigne toujours à m'y mettre. Mais je sais que je dois le faire aujourd'hui pour pouvoir le montrer à Danny. Je l'ai jamais vu aussi impatient avec un article. C'est simple, il est carrément incapable d'attendre.

J'ai envoyé l'autre gars qui me sert de secrétaire me chercher un café. Même plusieurs. Je dors mal et je galère à rester éveillé au bureau. Trop de trucs dans mon crâne. Ça me donne mal à la tête. Val se fout de moi tous les jours. D'après lui, j'ai une gueule à déterrer les morts.

Bon, j'espère quand-même que mes grands-parents resteront dans leur tombe.

Après avoir ingurgité un énième café – je suis sûr que je vais pisser toute la matinée – j'ouvre la page de traitement de texte. Parce que, aux dernières nouvelles, je ne suis pas payé pour me tourner les pouces en rythme.

Je ne sais même pas comment je peux présenter Hel. C'est carrément impossible de trouver des éloges à propos d'un type qui n'a aucun talent. Le plus important, c'est d'en faire assez pour vendre le papier, mais pas trop pour ne pas compromettre mon honnêteté.

Je ne suis pas un pigeon. Et encore moins un mouton. Hors de question que je me range derrière tous ces critiques qui voient en lui un mélange entre Chester Bennington et une prestance à la Johnny. Conneries !

« Coqueluche et idole des jeunes, Hel, s'est propulsé sur le devant de la scène en peu de temps. Des mélodies soul, teintées d'un blues qui le caractérise bien, ponctuent les paroles sombres de ses musiques. Sa voix rocailleuse, reconnaissable entre mille, montre la force de caractère de cet homme amoché.

Ce nouvel album, Night's lights, marque un nouveau tournant dans la carrière, peut-être bien dans la vie, de Hel. Aussi fragile que la flamme d'une bougie, sa voix exprime une véritable déclaration tout au long des morceaux. »

J'ai envie de vomir. J'en ai trop fait c'est évident. On dirait que j'ai envie de baiser sa voix tant elle m'emporte. En réalité, je préfèrerais me noyer dans un verre d'eau plutôt que d'écouter l'album en entier.

— Tu vois Isaac, tu es capable d'écrire des choses très bien sur cet homme.

La voix de Danny me fait sursauter. J'ai l'impression d'entendre ma mère, quand je devais aller souhaiter la bonne année à mes grands-oncles qui puaient le cigare. Mes grands-tantes étaient pires, elles piquaient quand je leur faisais la bise.

Il me fait un sourire, celui d'encouragement. Et qui veut aussi dire « bouge ton cul ou je te jure que je te poursuis à coup de fusil ». Ça me donne pas trop envie de m'y risquer, alors je me replonge dans l'interview. Entre l'enfer et l'enfer avec Danny, je sais déjà ce que je préfère.

Saoulé, j'attends qu'il reparte dans son bureau. Cela étant, j'envoie Luc, je crois que c'est son prénom, me chercher un café. Parce que j'ai soif, mais aussi parce qu'il me faut quelque chose pour tenir. Et peut-être même que je vais pouvoir l'envoyer à la gueule de celui qui me fera chier.

« Hel se présente sommairement. Il ne s'emmerde pas avec des fioritures qu'il juge inutiles. Lui-même estime que l'honnêteté est sa qualité principale. Avec son air nonchalant et ses cheveux en pétard, Hel se présente comme étant son pire cauchemar. Son sourire tranche à merveille avec cette déclaration, mais ses yeux ont perdu de leur malice. »

Là, mon téléphone sonne. Vu l'heure, je sais que ce n'est pas Val et je maudis d'avance la personne qui ose me déranger. Moi je viens pas faire chier les gens sur leur lieu de travail, alors pourquoi eux s'obstinent à le faire ?

Maestro Où les histoires vivent. Découvrez maintenant