Morceau quinze - Isaac

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Paris

— Chéri, tu savais que l'on reçoit une star ce soir ?

Pour une fois dans ma vie, j'ai envie de bénir l'une des copines de mon père. Je dois avouer qu'elle semble moins écervelée que toutes les précédentes et c'est satisfaisant. Je suis encore plus content quand elle aborde la carrière d'Hel devant mon père.

Si j'avais abordé le sujet avec lui, il aurait balayé l'idée du revers de la main comme il sait parfaitement le faire. Là, il est bien obligé d'écouter Natalya s'il veut pouvoir tirer son coup ce soir. Mon père est un très bon manipulateur qui sait obtenir à peu près tout ce qu'il veut dans la vie.

J'observe le regard qu'il pose sur Hel et je le déteste. Je vois bien qu'il le juge de tout son être, se retenant probablement de se moquer de lui. Évidemment, j'ai envie de sauver mon damoiseau en détresse, mais je ne peux pas. Ce n'est pas le moment du bouquet final.

— Ah ? s'étonne-t-il.

Je le reconnais bien là-dedans. Il fait semblant de s'intéresser afin que l'on change rapidement de sujet. Natalya ne semble pas d'accord avec lui et je suis étonné de trouver une alliée en elle. Je laisse leur joute de regards continuer avant de me préparer à intervenir.

J'avoue que j'ai quelque peu honte que cet homme soit mon père. On n'est pas dotés de la même ouverture d'esprit. Pour lui, l'ouverture d'esprit ressemble davantage à une fracture du crâne.

— Oui, papa. Hel chante et joue de plusieurs instruments, tu devrais lui montrer ton piano.

Je sens bien le regard de Hel qui me brûle la peau. S'il y a bien une chose que j'ai apprise dans mon métier, c'est qu'il faut toujours garder un as dans sa manche. Et c'est ce que j'ai fait.

Il ne va pas tarder à comprendre que je tiens l'information de Dédé l'Embrouille, soit le roi des connards. Ce type est un véritable rat et on peut lui soutirer toute sorte d'informations en sachant quoi moyenner en échange. Par exemple, des entrées au carré VIP de certaines boîtes de Paris. Les mieux fréquentées pour qu'il puisse parfaire son carnet d'adresses.

J'aurais préféré que cette révélation vienne de Hel lui-même, mais je suis journaliste et j'ai besoin de tout savoir. Chassez le naturel et il revient au galop. Je sais que je vais devoir m'excuser et je le ferai. Pour lui.

Mon père ne dit rien, jugeant probablement que mes provocations sont ridicules. Je m'en fous. N'y tenant plus, je pose ma main sur le genou de Hel. J'ai la vague impression qu'un courant électrique traverse tout mon corps et les battements de mon cœur s'accélèrent.

Alors que mon père pose la bouteille sur la table, je sais que j'ai gagné. Cette bataille, pas la guerre.

— Soit. Écoutons un morceau de ton ami.

Nous nous levons en chœur et je croise le regard agacé que me lance Hel. Une multitude d'éclairs traverse ses yeux et je sens qu'il se retient de me balancer une réplique acerbe. Je ne sais pas ce que j'ai fait mais mon petit-doigt me dit que je ne vais pas tarder à le savoir.

Mon père prend la tête de notre petit groupe afin de nous emmener dans la salle piano. Je crois que le plus cocasse dans cette situation, c'est que je ne sais pas jouer de piano. Mes parents se sont séparés tôt et le peu de temps que j'ai passé ici n'a pas été suffisant pour apprendre à déchiffrer une partition.

Hel s'émerveille à l'entrée de la pièce et moi, je m'émerveille devant sa beauté. Je le trouve incroyable et beau comme un Dieu. D'un signe de la tête, mon père lui intime de s'asseoir. Hel commence par frôler les touches avant de fermer les yeux.

Alors qu'il commence à jouer, je me surprends à le trouver encore plus beau. Sa présence et son talent semblent magnétiques et sa prestance nous irradie tous les trois.

Ses yeux sont toujours clos et son talent s'impose très logiquement à nous. Mais cette pensée est rapidement balayée par une plus importante, est-ce qu'il ferme les yeux ainsi quand il fait l'amour ? Est-ce que son visage est aussi beau lorsqu'il est proche de l'orgasme ?

La mélodie s'imprègne dans mes tympans et je m'imagine lui faire l'amour sur ce piano. Ses cris empliraient la pièce comme la plus belle des symphonies. Quand je sens ma queue s'éveiller avec vigueur, les notes s'arrêtent et Hel referme le piano.

— C'était bien. Passons à table, annonce mon père en disparaissant dans le couloir, Natalya sur ses talons.

Lorsqu'il se relève, je n'oublie rien de mes idées et l'appel de ses lèvres est plus important que tout le reste. Je l'embrasse comme si ma vie en dépendait et avec une passion nouvelle que je ne me connais pas encore. Détail, je vais apprendre.

Je le rapproche de moi en bloquant mes mains dans le creux de ses reins. Je mordille la peau fine de son cou tout en alternant avec des baisers rudes. Je dois me retenir pour ne pas aller plus loin lorsque je sens son souffle s'accélérer. J'ai envie d'entendre ses gémissements mais ce n'est pas pour le moment.

— Tu l'as subjugué, même s'il ne l'avouera jamais. Et moi, tu m'as donné envie de te faire toute sorte de choses sur ce piano.

Son visage s'empourpre à l'entente de mon annonce. Et ça me plaît.

Dans la salle à manger, nous tombons sur Natalya qui récure la bouche de mon père. Pourtant, c'est lui le dentiste, pas elle. L'inconvénient à ce que mon père sorte avec des femmes – beaucoup – plus jeunes, c'est que j'ai toujours peur qu'il m'annonce l'arrivée d'une petite sœur ou d'un petit frère.

Hel, absolument pas décontenancé, s'installe autour de la table et tapote la place à ses côtés. Je suis peut-être mauvais en messages cachés, mais celui-ci me paraît carrément explicit. Ma main se balade sur sa cuisse et dès que mes doigts se rapprochent de sa queue, je le sens se crisper.

J'ai carrément envie d'écourter le dîner juste pour le plaisir de le voir nu. Entièrement nu. Pas de caleçon comme ce matin.

Mon père nous sert un verre de vin avant qu'un léger sourire survole ses lèvres. Je me méfie bien de ce qu'il pourrait annoncer, pourquoi pas me parler d'une femme que je ne connais même pas pour mettre mal à l'aise Hel. Il en serait capable.

— Hel, qu'avez-vous joué au piano ?

Je ne m'attendais pas à ça et visiblement, Hel non plus vu le regard qu'il me jette. Le problème c'est que je suis bien incapable de dire à cet instant si sa curiosité est forcée ou vraiment honnête.

— Un morceau que j'ai composé il y a quelques années. Je m'étais inspiré d'une publicité à la télévision.

Il prend une gorgée de vin et je crois qu'il est stressé.

— Et vous avez pris des cours de piano ? enchaîne-t-il.

Hel fait non de la tête et je me rends compte que je ne lui ai jamais posé cette question. Je me sens comme un idiot. Parce que je m'intéresse à un homme incroyable dont je ne connais rien, pas même s'il a pris des cours de piano ou d'un autre instrument.

— D'ailleurs, je n'en ai jamais pris, pas même pour la batterie ou la guitare. En réalité, ça me vient assez intuitivement.

Natalya picore ses pommes de terre, complètement à côté de la conversation et j'attends le verdict de mon père. Je le connais assez bien, après tout on partage les mêmes gènes, je sais que toutes ses questions ont un but bien précis.

— Hel, je suis à peu près persuadé que vous avez l'oreille absolue.

Après cette annonce, Hel est resté muet. Il a tourné cette phrase dans tous les sens, bien incapable de répondre quoi que ce soit à mon père. Le repas s'est enchaîné rapidement et les bouteilles ont été descendues tout aussi rapidement.

— Isaac, j'ai trop bu pour conduire ma moto, lâche Hel spontanément.

Je le comprends et je me surprends à apprécier son côté préventif. Attentif même. Son sourire déborde de joie et je n'ai qu'une envie, c'est de l'embrasser toute la nuit. Et peut-être d'ailleurs que mon père lit dans les pensées.

— Prenez des chambres à l'étage, Isaac tu connais la maison.

J'acquiesce et grimpe avec Hel. Une seule chambre suffira amplement.

Maestro Où les histoires vivent. Découvrez maintenant