Chapitre 41-1

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A chaque pas supplémentaire, nous sentions la tension croitre, comme un linceul invisible et étouffant se posant sur nos épaules. Connors, qui fermait la marche, hâta légèrement le pas pour venir à ma hauteur et me prendre doucement la main.

— Tu as pris la bonne décision, tu l'as fait pour lui.

— Oui, mais pas de la bonne manière... comme d'habitude, lui répondis-je dans un soupir angoissé.

— Il finira par comprendre et il te pardonnera, tu verras.

— Peut-être. Seul l'avenir nous le dira maintenant... si nous avons la chance d'en avoir un.

— Tu es bien sombre et pessimiste tout à coup. Encore une vision ? me demanda-t-il prudemment, la crainte de l'inéluctabilité d'une telle possibilité transparaissant dans sa voix.

— Non, rien d'aussi dramatique, lui rétorquai-je avec un demi-sourire. Tu trouves des raisons de te réjouir, toi ?

— Jouer à cache-cache avec des monstres moches et puants en essayant de ne pas se faire bouffer, c'est plutôt fun dans l'état actuel des choses, non ?

Malgré ma lassitude et le désespoir profond qui ne voulait plus me quitter depuis quelque temps, je ne pus m'empêcher de rire doucement.

— Hayden, aussi mince qu'elle soit, nous avons peut-être une chance de réussir. Concentrons-nous là-dessus et... croisons les doigts.

Je me tournais vers lui, un sourire attendri et reconnaissant sur les lèvres pour lui répondre, lorsque Sean, qui était en tête de notre petit groupe, s'arrêta brutalement. Comme les autres nous nous approchâmes pour voir de quoi il retournait.

— A partir d'ici, plus un bruit. Des éveillés rodent dans les galeries alentours et au moindre son plus fort qu'un chuchotement, ils nous colleront comme des sangsues. Josef et moi connaissons le chemin et resterons en tête. A la moindre complication et si nous devions être séparés, faites-en sorte de rester avec l'un de nous deux. Garder vos armes à porté de main et si vous devez en venir à la confrontation directe, essayer d'éliminer votre adversaire, le plus silencieusement possible, même si nous prions tous pour ne pas en arriver là, ajouta-t-il avant de se finir par se taire et darder sur nous un regard solennel.

Durant plusieurs secondes personne ne parla, prenant pleinement conscience des risques que nous prenions. Sans le dire à voix haute, Sean nous laissait l'opportunité d'abandonner si nous le désirions. On ne pouvait lire aucune critique dans son regard droit, si quelqu'un devait faire défection à la dernière seconde, il n'y aurait pas de jugement. Nous nous regardâmes, mais dans les yeux de mes compagnons, je ne vis que détermination, acceptation et espoir, même si la peur n'était exempte d'aucune prunelle. Nous finîmes par repartir, tous bien conscient que c'était notre dernière chance.

Les tunnels que nous empruntâmes se ressemblait tous et la pénombre, ainsi que les bruits quasiment incessants de petits éboulis, de râles et de pas trainants dans les boyaux adjacents mettaient nos nerfs à rude épreuve. Lorsque nous atteignîmes enfin l'extérieur, l'air frais me cingla les joues autant que l'esprit, me redonnant le courage et l'énergie que les longues minutes d'angoisses passées dans ces méandres infernaux m'avaient ôtée.

Nous nous trouvions sur un petit promontoire, à l'aplomb d'une sorte de falaise, surplombant légèrement la ville dévastée. La lune pleine éclairait les ruines de sa lueur fantomatiques, rendant l'atmosphère étrangement surréaliste et pesante. D'un geste du bras, Sean nous indiqua une direction vers l'est, où un bâtiment de béton carré, émergeait au milieu des autres comme une verrue sur la joue d'une sorcière. Comprenant sans peine que ce modèle d'architecture était notre destination, j'étudiais de plus près les méandres de ruelles où trainaient par-ci par-là quelques éveillés trainant la savate. Sean, apparemment satisfait du peu d'activité de la zone, nous fit signe de le suivre, réitérant son invitation au silence d'un doigts posé sur sa bouche, passablement superflu à mon sens. Mais au bout d'à peine quelques secondes, je compris que non !

Le seul chemin praticable pour rejoindre le dédale de rue de l'ancienne cité était glissant et dépourvu de toutes végétations ou constructions pouvant nous servir d'appui pour ne pas glisser, tomber et ainsi signaler notre position à tous les monstres à la ronde. La lenteur était de mise et malgré tous nos efforts, de la terre et de petites pierres roulaient sous nos pas, dévalant la pente abrupte dans un léger bruit, paraissant résonner comme le tonnerre à nos oreilles. Lorsque Rem, délogea sans le vouloir un caillou plus gros que les autres du bout de sa chaussure, nous nous figeâmes tous, ressentant le léger bruit que fit ce dernier en atteignant le sol comme un coup de poignard.

Les trois éveillés visibles qui sillonnaient la zone sans but, se figèrent à leur tour, levant instantanément leurs horribles têtes et la tournant en tous sens, cherchant d'où venait le bruit. Paniqués, nous retenions tous notre souffle, immobiles comme des statues, debout sans aucun endroit où nous dissimuler nous étions visibles comme le nez au milieu de la figure ! Pourtant les trois créatures tournaient toujours la tête en tous sens comme des marionnettes ridicules. Plus les secondes passaient, plus nos positions précaires devenaient instables et l'attente insupportable. C'est alors que les éveillés commencèrent enfin à reprendre leurs marches erratiques nous envahissant d'un soulagement indicible. Jusqu'à ce que la dernière, dans un ultime mouvement, lève la tête dans notre direction.

Au cri inhumain qu'elle poussa et qui nous glaça les sangs, nous nous mîmes tous à dévaler la pente en courant à la suite de Sean sans plus aucun souci de discrétion, il était trop tard pour ça. La terre caillouteuse était glissante et instable sous nos pieds et rester debout relevait du miracle. Nous étions presque parvenus en bas du raidillon lorsque Hector, qui s'était fait légèrement distancer, perdit l'équilibre et chuta lourdement derrière moi, m'entraînant dans sa chute.

Son corps faucha mes pieds, m'envoyant culbuter en arrière et atterrir lourdement sur le dos. Le choc violent me coupa le souffle tandis que je commençais à glisser, entraîner par mon propre poids. Par réflexe je tentais de stopper ma chute en m'agrippant à tout ce que je pouvais trouver et ne réussissant qu'à m'écorcher les mains et les bras. Lorsque la dégringolade douloureuse cessa enfin, j'essayai instantanément de me redresser, grimaçant sous les douleurs diverses qui me parvinrent. J'eu juste le temps de me mettre debout et d'aider Hector à faire de même, que les trois éveillés repéré plus haut étaient déjà sur nous.

Je sortis ma lame et saisi vivement le poignet d'Hector, cherchant une ouverture pour contourner les trois monstres. Nous n'avions pas le temps de nous battre, pour peu que nous en soyons capables à trois contre deux, car les autres filaient déjà loin devant, ignorant de ce qui était en train de se passer. D'un grand coup de pied en pleine poitrine, j'envoyai balader l'une des créatures qui essayait de m'agripper et en profitai pour courir, essayant de rejoindre les autres.

— Ne vous arrêtez pas, me cria Connors en nous dépassant en sens inverse. Il y en a plein d'autres qui arrive ! Je couvre vos arrières.

Sans réfléchir, j'accélérai encore ma foulé, même si je sentais bien qu'Hector avait du mal à suivre. Les bruits de courses et les cris et grognements des créatures nous plongeait en plein cauchemar tandis que je courrais toujours, sans vraiment faire attention à ce qui m'entourait, les yeux braqués sur le dos de Sean plusieurs mètres devant nous. Arrivés en vu de la clinique, je vis les autres s'engouffrer à l'intérieur par une fenêtre aux vitres cassées.

— Fonce ! ordonnai-je à Hector en le poussant vers l'entrée improvisé, tandis que je me détournais cherchant Connors des yeux.

Celui-ci déboula au même moment, maculé de sang, une peur marquée déformant ses traits.

— Ils sont increvables ces trucs ! Cours !

Nous nous précipitâmes vers la fenêtre que nous franchîmes en un bond, boostés par la panique et l'adrénaline fusant dans nos veines. Le verre cassé crissa sinistrement sous mes semelles lorsque j'atterris sur le carrelage crasseux et cassé de la pièce dévasté.

— Par ici ! entendis-je Sean nous appeler du fond de la pièce.

Nous nous engouffrâmes sans réfléchir entre le battant entrebâillé d'une porte partiellement dissimulée derrière un amas de mobilier. Tandis que nous nous affalions hors d'haleine sur le sol poussiéreux, nous entendîmes le claquement sinistre et définitif du battant qui se refermait sur la horde qui nous poursuivait à présent, nous piégeant à l'intérieur. 

Virgin Territory-Isolated System Tome 2 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant