Chapitre 44 : Parabellum

33.1K 2K 438
                                    

Point de vue de Rocco :

Diriger un cartel c'est comme conduire une moto à plus de 150km/h en plein centre ville, la moindre erreur peut avoir des conséquences fatales. À cet instant précis, une scène bien particulière me revint à l'esprit. Je me revois plusieurs années en arrière, mon arme fumante en main. Je suis monté dans ma voiture, j'ai démarré au quart de tour. J'étais pressé de quitter la Favelas et d'en finir une bonne fois pour toute avec Felipe, mon demi frère. J'étais beaucoup trop impatient de vider le chargeur de l'arme que je tenais encore en main sur lui. Je pensais que c'était lui mon problème le plus urgent. J'aurai dû le vidé sur Nikolai. J'aurai dû m'assurer qu'il était bien mort. Toutes les fois où je l'ai laissé respirer comme si on était en bons termes. Toutes ces occasions que j'ai laissé passées sont la raison pour laquelle je me retrouve dans cette situation aujourd'hui. Du moins, j'essaie de m'en convaincre. Le poids de la culpabilité est lourd, je porte le mien depuis des années maintenant. Aucun retour en arrière n'est possible. Cette erreur me coûte cher. Elle est incorrigible, comme gravée dans le marbre. Mes actions ont des conséquences et ça, je l'ai toujours su. Maintenant, je dois juste continuer d'avancer.

Je suivais des yeux le chemin de sang qui colorait l'eau jusqu'à la rive puis regardai autour de moi. Le corps à moitié immergé dans l'eau trouble et froide de la rivière, je sentais le courant contre mes jambes. La rive est proche mais pour quelqu'un de blessé, elle peut paraître à des kilomètres. Je passais le dos de ma main sur mon front et relevai la tête vers le bord de la jetée. La boue a rendu la descente glissante et dangereuse. Une fine pluie commençait à charger l'air chaud d'humidité. Je resserrai le noeud qui tenait mon sac autour de mon torse et me dépêchai de sortir de l'eau. Dès que j'eus regagné la terre ferme, je portai ma main à l'arme coincée dans l'étui de ma ceinture. Mon regard parcourut longuement ce qui m'entourait. La végétation est dense, c'est pas à mon avantage. Dans un endroit comme celui ci, c'est pas de la faune dont il faut se méfier, mais des hommes. Entre les milices para militaire qui quadrillent la zone à la recherche de narcos  à abattre et les groupes rebelles qui s'y cachent, je pourrais pas être dans une situation plus tendue. Mais je vais nous sortir de là, y a pas d'autre scénario possible.

Un filet de sang frais formait une ligne discontinue sur le sol boueux de la rive jusqu'à disparaitre dans la jungle. Jade a pas dû aller bien loin. Il me reste encore quelques heures avant la tombée de la nuit. Je lâchai mon arme et attrapai la machette que j'avais attaché à mon sac. Faut que j'économise mes balles. Sans perdre plus de temps, je commençai à avancer en utilisant la machette pour me frayer un chemin dans la végétation. Les branches étaient cassées, l'herbe piétinée, mais surtout, des gouttes de sang tachaient les feuilles à certains endroits. Je resserrai le manche de la machette et continuai à avancer.

L'environnement sombre et sauvage fit remonter des souvenirs en flashs, des souvenirs brisés. J'ai pas toujours été au sommet de la pyramide. Bien qu'ayant hériter du business, il a fallu que je me batte jusqu'au sang pour le garder et encore plus pour gagner le respect de certaines personnes du milieu. C'est pas par hasard que je me retrouve ici.

Ça remonte à longtemps, à une période qui semble être la vie de quelqu'un d'autre. Bien que celui qui cultivait les feuilles de coca n'était autre que mon oncle paternel, à la seconde où mon père a disparu il a voulu prendre ces distances avec la branche du Cartel Torres au Mexique. Ça me mettait dans une situation tendue, un jeune de 16 ans avec un cartel sans produit. Je savais parfaitement que si je trouvais pas de produit, mon business était mort, et je tarderai pas à l'être aussi.

J'aurai pu m'arrêter là. J'aurai peut être m'arrêter là. Retourner à Mexico et m'occuper de ma famille, ou du moins ce qu'il en restait. À 16 ans, j'étais consumer par le désir de vengeance. J'avais bien compris que sans pouvoir, sans cartel, je pourrais jamais atteindre celui qui avait tué mon père. Je pensais qu'il était mort des mains de l'agent Mickelson. Officiellement, c'était le cas. À 16 ans, ma stupidité et mon besoin de vengeance m'avait aveuglé. C'est avec cet objectif en tête que j'ai passé les 3 années suivantes dans la jungle colombienne à laver des feuilles de coca à l'éther et à l'acétone. L'accès à cette technique et à ce produit m'ont pas été offert sur un plateau d'argent. Les vapeurs chimiques mélangées à la chaleur étouffante me brûlaient les mains, les bras, le corps entier. J'avais un masque rouge qui était censé atténuer ces vapeurs létales. J'étais tout le temps avec, le jour comme la nuit. Il avait presque fini par fusionner avec mon visage. Parfois, je peux encore le sentir sur ma peau, comme si j'avais jamais quitté cet enfer. Des jeunes âgés de 10 à 16 ans venaient des 4 coins de l'Amérique latine pour bosser dans ces laboratoires de la mort, tout ça pour amasser quelques pesos. La moitié d'entre eux savait couper la cocaine et manier une arme avant même de savoir lire et écrire. Une bonne moitié d'entre eux n'est jamais rentrée chez elle non plus. C'est lorsqu'on se retrouve face à la mort qu'on réalise à quel point on est vivant. J'ai tenu comme ça, j'ai navigué dans la misère, le désespoir et la mort parce que je le devais à mon père et à ma famille.

FAVELAS T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant