Il est arrivé. Ce jour terrible où tu vas devoir nous laisser.Oh, Suong Mai !
Pourquoi...Aujourd'hui, la réalité te rattrape et t'arrache à ton foyer.
Tu es orpheline.
Tu es une fille de rien.
Ce sont ces vérités qui désormais te forcent à partir.Suong Mai...
J'aimerais tant que tu sois ma fille.
Que tu puisses rester, vivre avec nous, continuer la petite vie paisible que nous avions commencée ensemble.
Mais non.
Tu dois repartir, brusquement. Comme tu es venue.Je le savais, pourtant, en te prenant chez moi.
Que cela n'était qu'éphémère, temporaire.
Qu'un jour ou l'autre, tu nous quitterais, pour une vraie famille...Mais pouvais-je imaginer que tu allais t'attarder durant toutes ces années ?
Cinq ans, c'est long.
Bien des liens ont eu le temps de se tisser. De se solidifier.
Beaucoup d'amour a pu bourgeonner, éclore, et fleurir.Suong Mai, pour moi, il n'y a pas l'ombre d'un doute.
Tu t'appelles peut être Ly, tu viens peut être de Hanoï, tu n'as peut être pas de parents, mais une chose est sûre.Tu fais partie de notre famille.
Quoique tu dises, quoique tu fasses, il y aura toujours un écho de ton rire dans notre maison, toujours une trace de tes pas sur le chemin qui mène à
l'école.
Bao continuera de fredonner la prière que tu lui a apprise, et Sên continuera de confectionner des couronnes de fleurs, comme durant tous ces après-midi, où tu le lui as enseigné.Que tu le veuillles ou non, Suong Mai, tu as marqué nos esprits, tu es rentrée dans nos coeurs, et tu y resteras pour l'éternité.
La France est un beau pays, c'est vrai que tu as de la chance. La famille qui t'a adoptée est sûrement très gentille, aussi. Je ne doute pas que ces nouveaux parents mettent tout en oeuvre pour que tu sois heureuse.
Mais la déchirure de quitter le Vietnam ne sera-t-elle pas trop grande ?
Pourras-tu survivre à cette séparation ?Oui, j'en suis certaine. Ta capacité d'affronter la vie, sans relâche, avec ce grand sourire, c'est ta force depuis toujours.
Le plus difficile sera pour nous.
Quel douleur de perdre une fille, une soeur !
Tu étais le pilier de Liêu, celle sur qui elle comptait plus que tout.
Grâce à toi, malgré la maladie, elle a tenu bon. Tu lui as même appris à lire.
Si seulement tu savais, toute ma gratitude...Pour Bao, tu étais la nymphe, celle des rivières qui enchante les promeneurs par sa beauté et son chant. Il fallait voir comme il te regardait, les yeux brillants, on aurait dit un mortel adorant une déesse.
Phong a mis plus de temps pour t'ouvrir son coeur. Il est comme ça avec tout le monde, mais quand il commence à aimer quelqu'un, on le sait tout de suite.
Pour lui, tu étais une bénédiction. Celle qui viens consacrer une maisonnée assombrie par la venue d'un enfant malade et l'alcoolisme d'un père.
Cet enfant sombre, tourmenté par les soucis de sa famille, que serait- il devenu si tu n'étais pas arrivée ?Et puis il y a Sên...
Sans toi, comment aurait-elle grandi ? Sans tes jeux, tes dessins, tes chansons ?
Telle une fée, tu enchantais ses journées, tu lui redonnais du courage devant la difficulté, tu la consolais quand elle faisait des cauchemars.
Constamment, de tous temps, tu étais là pour elle.
Si seulement je pouvais, un jour, te rendre tout ce que tu leur as donné...Xuân Huong n'aura sûrement pas de souvenirs de toi. Tu l'as vue naître, elle est trop jeune, malheureusement, pour réaliser qu'elle s'apprête à perdre un proche ! Tu lui a même appris à parler...
Et quand, plus tard, nous lui raconterons que son premier mot était Suong Mai, elle nous interrogera.
《Qui est-ce ?》
Alors, Phong grognera, les yeux balayant le sol:
《C'est une bénédiction...》
Et Bao continuera, le visage
lumineux :《C'est une nymphe, une déesse !》
Sên poursuivra, un immense sourire
sur son visage :《C'est une bonne fée !》
Et je renchérirai, des larmes dans les yeux, en l'embrassant tendrement:
《C'est ta grande soeur, ma chérie...》
Alors, on se regardera, et on se remémorera ces belles années où tu étais avec nous.
Suong Mai, où que tu sois, à l'avenir, s'il te plaît...
N'oublie pas la petite famille Nguyen de Nam Dinh.
Sa maison de papier, en haut de la colline, sa mare aux nénuphars, et son prunier en fleurs.
Ses cinq enfants et sa mère fleuriste.Toi, tu es pour toujours dans nos coeurs.
Au revoir, Suong Mai...
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Petites gouttes de rosée
Short StoryCe matin-là, il faisait doux. Un jeune commerçant de la périphérie de Hanoï s'était levé, réveillé par les cris d'un bébé. C'est à ce moment qu'il l'avait aperçue, au pied d'un abricotier. Une petite fille, abandonnée. Et lorsqu'il l'avait prise dan...