5.

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Adam

Aujourd'hui...

J'appose ma signature au bas du dernier document avant de refermer le parapheur. À cet instant précis, mon smartphone se met à sonner. Cette sonnerie, c'est celle que j'ai accolée au numéro de mon père.

Sir Henry Masson Miller. Ancien homme politique. Qui est encore très impliqué et influent dans les arcanes du pouvoir. À tel point qu'il fait partie de ses quelques personnalités sous protection affublées de gardes du corps.

Hésitant une seconde, je regarde l'appareil tandis qu'il vibre doucement sur le plateau de ma table de travail.

Quoique j'en pense, cette discussion est inévitable.

Saisissant mon téléphone, je me carre confortablement dans mon fauteuil pivotant et me décide enfin à décrocher.

— Bonjour, réponds-je.

— Adam. Comment vas-tu ?

Son ton sec ne me dit rien qui vaille. Poliment, je m'enquiers de ses nouvelles et de celles de ma mère.

— Elle va bien, m'informe-t-il avec agacement. À part, bien sûr, qu'elle se fait du souci pour toi. Elle se demande si tu as encore toute ta raison.

— Rien que ça, ironisé-je.

— Quel besoin as-tu de démissionner ? réplique-t-il. Tu vas commettre une énorme erreur, Adam. Et comme si ça ne suffisait pas, il a fallu que j'apprenne cette nouvelle par un tiers ! Tu ne crois pas que tu aurais pu au moins nous mettre au courant ?

— Je pensais peut-être bêtement qu'à vingt-six ans, je n'avais plus de comptes à vous rendre sur ma vie.

— Crée cette fichue association puisque ça à l'air de tant te tenir à cœur ! Mais rien ne t'oblige à démissionner, bon sang ! As-tu bien conscience que tu vas jeter une carrière prometteuse aux orties ?

— Sans aucun doute. Prometteuse. Mais de mon point de vue, sans le moindre intérêt. L'association que je suis en train de mettre sur pied est pour moi un challenge. C'est une expérience passionnante...

— Tout ça, ce n'est qu'une chimère vouée à l'échec, m'interrompt-il sèchement.

On peut dire qu'il ne passe pas par quatre chemins ! C'est tout lui ça. Ne jamais prendre de gants. Dans sa vie privée en tout cas. Parce qu'en tant que politicien, le franc-parler...

— Ça, c'est ton point de vue, argué-je calmement.

— C'est à cause d'elle, n'est-ce pas ? Forcément. Qui d'autre aurait pu te mettre ces idées parfaitement idiotes en tête ?

Elle a un nom, riposté-je, lapidaire.

Le bref silence sur la ligne indique clairement que mon père a eu conscience d'être allé trop loin.

— Écoute, Adam, je ne suis pas totalement insensible. Je suis évidemment désolé de ce qui s'est passé... Ta mère aussi, du reste, plaide-t-il tandis que je sens ma mâchoire se crisper.

J'ai bien du mal à réprimer une réplique cinglante. Son hypocrisie me donne juste envie de hurler. Mais je ne vais pas me prendre encore une fois la tête avec lui.

— Néanmoins, reprend-il comme je parviens à garder le silence, j'aimerai que tu réfléchisses encore aux répercussions qu'aura cette démission sur ton avenir professionnel. Ton avenir tout court. J'avais de grandes ambitions pour toi, Adam.

— C'est peut-être là le problème. Ce sont tes aspirations, tes ambitions. Pas les miennes, fais-je sèchement remarquer.

— Il y a quelques mois encore c'étaient les tiennes ! Réfléchis, Adam. Il n'est pas trop tard pour revenir sur cette folie. Je connais très bien quelques-uns des membres du conseil d'administration. Si je leur glisse un mot, je suis persuadé qu'ils oublieraient ta...

— Je ne reviendrai pas sur ma décision, le coupé-je. Ne perds pas ton temps et ton énergie pour quelque chose qui sera de toute façon, voué à l'échec.

Un nouveau silence pèse sur la ligne.

— Très bien Adam, cède-t-il finalement d'un ton crispé. Je vois que je ne te ferai pas recouvrer la raison, aujourd'hui. En revanche, ta mère et moi apprécierions, cette fois, qu'une excuse de dernière minute ne vienne pas t'empêcher d'assister au déjeuner de dimanche, ajoute-t-il après une hésitation.

Après avoir promis d'être présent, je mets fin rapidement à la conversation.

Pourquoi suis-je aussi en colère ? Ç'aurait pu être pire. Il aurait pu se montrer bien plus lourdement insistant pour faire jouer ses nombreuses relations ! Du reste, je serais étonné s'il s'en tient là.

Néanmoins, il a raison sur un point au moins. Si je ne t'avais pas rencontrée, mon ange, je me serais contenté de cette vie qui me donne de plus en plus l'impression d'étouffer.

Passant une main nerveuse dans mes cheveux, je fais pivoter mon fauteuil et perds mon regard dans la vue imprenable que j'ai sur la ville depuis mon bureau. De ce building rutilant situé au cœur de la City, je peux voir la Tamise scintiller doucement sous le soleil timide de ce milieu d'après-midi.

Savoir que tu es là si proche et à la fois si loin...

Une fois de plus, mes pensées courent vers toi. Les images de ce jour-là, du jour de notre rencontre, se bousculent encore dans mon esprit.

Nora Layton m'avait demandé comme un service de te prendre pour ce remplacement. A posteriori, j'en viens à m'interroger. N'aurait-il pas mieux valu pour toi qu'elle s'adresse à une agence d'intérim ?

Nous ne nous serions sans doute jamais rencontrés, alors.

De penser cela, c'est une douleur. Mais aussi parfois un souhait. C'est un déchirement.

Quoi qu'il en soit, à ce moment-là, je ne voyais aucune raison de refuser que tu la remplaces. Si Nora estimait que tu ferais l'affaire, j'avais confiance en son jugement. Et ce matin-là, j'étais plutôt pressé d'en finir. Un contrat particulièrement lucratif pour ma boîte accaparait toute mon attention à cette époque-là.

Quelques minutes. Juste le temps de voir à qui j'avais à faire et je repartais au bureau, m'étais-je dit. Je ne savais pas vraiment à quoi je m'attendais. Sans doute pensais-je me retrouver face à une version en plus jeune de Daphnée Boissard.

Une chose était sûre cependant. J'étais bien loin d'imaginer ce qui allait me tomber dessus !

Je revois l'instant précis où mon regard s'est posé sur toi pour la première fois. C'était une de ces rares journées ensoleillées de cette fin d'été maussade. Je me tenais dans le hall, et en vous entendant, j'avais levé les yeux.

J'ai eu l'impression de recevoir un coup au plexus. J'en ai eu le souffle coupé. Tu étais absolument ravissante. Tu ne m'as pas vu tout de suite. J'ai eu le temps de t'admirer, de te contempler, d'incruster chaque trait de ton visage dans mon esprit.

Les rais de soleil entraient à flots par la petite fenêtre de l'escalier. Tu descendais les dernières marches. Un halo de lumière t'avait emprisonné l'espace d'un instant furtif. Quelques mèches de tes boucles auburn échappées de ta longue queue-de-cheval auréolaient ta figure. Tes grands yeux noisette mangeaient ton visage fin et délicat. Tes traits laissaient transparaître une grande douceur, mais aussi à cette seconde, de l'appréhension.

Tu semblais si différente de ta mère que j'avais même eu des doutes concernant ton identité.

Cependant, j'ai été immédiatement intrigué. Tu as titillé ma curiosité. Et mon désir. Une certitude, une évidence, s'était imposée à moi.

Je te voulais.

Pour toujoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant