3.Un maitre pour des apprentis

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Après ce qu'il venait de se passer, je ne pouvais plus accorder la moindre goutte de confiance à un inconnu, encore moins à un homme vêtu d'une cape noire s'avançant dans la pénombre d'une ruelle sans issue. Linda recula d'un pas, appréhendant sûrement l'approche d'un nouvel individu dangereux. L'homme avait lui aussi proféré des paroles incohérentes, tout comme Antoine.
Des dizaines de questions tourbillonnaient dans ma tête, perturbé par l'enchaînement d'événements à la fois confusionnants et traumatisants. Ce jour de rentrée n'était pas un jour comme les autres, c'était un jour que je n'aurais pas souhaité connaître, repensant à l'agression de Julie une minute plus tôt. Cette dernière ne bougeait pas, figée, probablement encore pétrifiée de peur à l'idée de voir son sang s'écouler au sol. Les quelques secondes de silence suivant les paroles du mystérieux homme parurent durer des heures. Finalement, il reprit :
"-Je vous promets que je n'ai pas l'intention de vous blesser, bien au contraire," dit-il tout en retirant sa capuche, dévoilant son visage.
Il était grand et costaud mais son visage était marqué des traits d'un homme d'une cinquantaine d'années, les cheveux et la barbe noirs tirant vers le gris sous les effets de son âge. Ses yeux étaient sombres mais un léger sourire éclairait son visage, lui donnant un air sympathique. Malgré cela, je me résignais encore à me méfier de lui, souhaitant terminer cette journée au plus vite.
Cependant, Julie s'avança vers l'inconnu, à la surprise générale. Elle se retourna alors pour nous regarder :
"-Il n'a pas l'air armé, nous sommes trois contre un et il a l'air plutôt âgé, lança-t-elle, faisant naître un petit rictus sur le visage de l'homme. Qu'est ce qu'on a à y perdre ?
-La vie, dis-je sobrement, animé d'un profond sarcasme.
-Je ne sais pas ce qui vient de se passer mais cet homme a l'air de s'y connaître et au fond de moi quelque chose me dit que le suivre ne peut pas être pire que de se faire égorger au milieu de la rue," rétorqua Julie avec une assurance jamais vue auparavant.
L'homme se retourna vers la sortie du cul-de-sac et commença à marcher, suivi par Julie. Linda et moi nous échangeâmes un regard dubitatif mais nous nous résolvions à les suivre plus par peur qu'il arrive quelque chose à notre nouvelle amie que par envie.

Sur le chemin, nous retrouvâmes le même silence harassant, le même que celui qui avait rythmé cette journée. Je regardai avec attention les mouvements du mystérieux homme que nous suivions imprudemment, il se tenait droit, les mains liées derrière son dos. Julie le suivait de près, comme si elle avait toujours connu cet homme. Avait-elle perdu la tête à cause du traumatisme qu'elle avait vécu il y de cela une dizaine de minutes ?

Après avoir traversé une demi-douzaine de rues, le cinquantenaire s'arrêta devant le portail d'une bâtisse plutôt grande. La façade du bâtiment était plutôt en mauvais état, sombre, angoissante, ne faisant que renforcer l'état de stress dans lequel je me trouvais. L'homme ouvrit le portail, celui-ci grinçant sous l'effet de l'ouverture. Nous avançâmes tous sur le petit chemin reliant la clôture au pas de la porte. C'est à ce moment là que je me rendis compte du danger immense dans lequel nous nous étions tous plongés. Suivre un inconnu à moitié fou dans une maison en délabrement à une heure où le soleil commençait à se coucher n'était pas l'idée la plus saine que j'avais eue dans ma vie. L'homme ouvrit la porte en bois et entra dans la maison, alluma la lumière et déposa son manteau sur un portant destiné à cet usage. Julie s'arrêta un instant, le temps de juger si entrer à l'intérieur de cette bâtisse était une action à risques, bien que je considérais cette réflexion beaucoup trop tardive. Elle continua à marcher, passant la porte et s'avançant jusqu'au milieu du salon. Linda et moi fîmes de même, jugeant qu'il était trop tard pour renoncer. L'intérieur de la maison contrastait totalement avec l'apparence extérieure. Le séjour était en effet décoré avec goût et modernité, les meubles étaient très bien arrangés, des tableaux accessoirisaient la salle, la pièce à vivre nous mettait plutôt en confiance. Je n'étais pas encore totalement rassuré, attendant de connaître les véritables intentions de l'homme. Ce dernier reparut, s'étant éclipsé dans une pièce attenante, probablement la cuisine puisqu'il revint avec trois sandwichs nous étant destinés. Il les posa sur la table du salon, et, d'un geste de la main, nous invita à nous asseoir sur le vaste canapé noir. Il dit :
"-Je sais que ça peut être un peu perturbant de se retrouver dans la maison d'un inconnu mais il était nécessaire que je vous rencontre. Je me prénomme Budo. Je suis à votre recherche depuis près de deux ans maintenant. Je ne vous oblige pas à me faire confiance mais juste à m'écouter. Ce que je m'apprête à vous dire est peut être la chose la plus insensée que vous aurez entendue, mais au moins vous l'aurez entendue."
Nous n'étions probablement pas prêt à entendre ce qu'il allait nous dire, mais cette journée ne pouvait plus me surprendre. Être agressé dans la rue par un psychopathe déblatérant des inepties incompréhensibles, se volatilisant dans l'air en une fraction de seconde après avoir usé d'une sorte de magie sur lui puis être accosté par un homme mystérieux et emmené dans sa maison dans un calme sidérant et tout cela en moins d'une heure réunissait toutes ce qu'il y avait de plus étrange au monde. Alors qu'allait-il nous annoncer ? La fin prochaine du monde ? Un danger imminent ? L'urgence d'un monde à sauver d'une malédiction vieille d'un millénaire qui étend ses griffes noires sur la Terre dans un objectif d'asservissement total ? Mes spéculations allaient trop loin. Je fis alors taire mes pensées et j'écoutais Budo, sceptique :
"-Le monde est en danger ! Dit-il avec un ton lourd. La planète entière est sur le point de connaître sa déchéance. Cependant nous pouvons agir. Ou plutôt vous pouvez agir. Vous n'êtes en rien des étudiants normaux. Vous descendez tous les trois de puissants magiciens et leurs pouvoirs vous ont été transmis, dans vos gènes. Et ceux-ci se sont réveillés aujourd'hui, me permettant de vous retrouver. Ne bougez pas, je reviens dans un instant."
Toutes ces paroles me paraissaient inintelligibles, invraisemblables. Mais au fond, une partie de moi voulait y croire. J'avais toujours rêvé de magie, de fantastique mais je m'étais résolu à leur inexistance. Je ne savais pas si je devais y croire ou bien si ce n'était que les élucubrations d'un fou. Julie, Linda et moi nous regardâmes, à la fois subjugués par les mots du cinquantenaire mais toujours méfiants bien que la première paraissait plus rassurée, dévorant son sandwich à pleines dents tandis que Jane et moi ne l'avions pas touché, apeurés par l'idée qu'un ingrédient nocif pouvait s'y trouver. Je me demandais si nous devions partir, à cet instant, tant qu'il était loin de nous. Mais mon questionnement fut bref. Budo revint avec un gros livre, s'apparentant à un grimoire poussiéreux, le posa sur la table. Le titre, écrit en lettres gothiques, indiquait : "La Légende". Il tourna une page, puis deux, et nous montra du doigt un texte. Notre petit groupe commença à lire doucement le long paragraphe, dans le silence le plus total, Budo épiant nos réactions. Il était question d'une sorcière, Morgane, surpuissante, ayant pour objectif d'asservir la population mondiale; d'un mage connu sous le nom de Merlin ayant réussi à disperser de nombreux cristaux à travers la planète pour sauvegarder une magie pure et sauver le monde de l'extinction; de reliques, nécessaires à la libération du mal; et enfin de descendants, certains dévoués à la protection de l'humanité, d'autres aux desseins sombres de Morgane, mais tous héritiers d'une magie ancienne et puissante, pour la plupart enfouie au plus profond d'eux.

L'odyssée du temps Où les histoires vivent. Découvrez maintenant