8. Bienvenue, candidats

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Nous restons debout un instant, immobiles, face à l'immensité de l'extérieur au travers de la fine porte. Un paysage saisissant, aux nuances macabres et à l'atmosphère désarmante. Je n'avais encore jamais eu l'occasion de me rendre dans un lieu semblable. Je n'en avais simplement vu des photos, dans les manuels scolaires. L'époque de la destruction me semblait si lointaine face à mes livres, intouchable. Me voilà surplombant les décombres d'une civilisation d'antan, un air apeuré agrippant mes traits. Je peux apercevoir les civils tentant d'échapper aux bombes, j'entends leurs cris, le vacarme des explosions résonne dans les rues, sans jamais vouloir s'arrêter, il m'atteint, me percutant de plein fouet. Puis tout s'estompe, aussi vite que fut l'extinction de cette ville.
Nous nous retournons et observons la boîte qui nous avait accueillit. Elle est faite d'acier noir, la présence de cette boîte carrée se détache du décor. Elle est situé en hauteur par rapport au centre de la ville, nous sommes au bord de la périphérie, derrière nous se dresse une profonde et sombre forêt. Le centre-ville est bien plus mal en point que la périphérie, certains immeubles sont restés debout, la végétation a reprit ses droits, rongeant les matériaux, le sol enduit de goudron. Et nous voilà, dressés sur nos deux jambes, éléments de vie indésirables, vulnérables. L'air a une odeur d'humidité, le soleil tapant accueille nos corps, d'une étreinte féroce mais douce. Taehyung se place à mes côtés, sa respiration est calme, sa mâchoire est crispée. Il sort son HK416 de son sac, le positionnant entre ses fins doigts et ses larges épaules.
- Les autres candidats sont eux aussi sortis, ils admirent la même chose que nous mais à des spots différents. Il vaudrait mieux qu'on explore un peu et qu'on trouve un lieu pour la nuit, et qu'on essaye de repérer les autres.
   J'hoche la tête et murmure :
- Restons sur nos gardes.
Sans pour autant en réaliser l'enjeu.

  Nous nous dirigeons en direction de la ville et de son épicentre, rejoignant alors la périphérie, aux bâtisses parfois plus ou moins intactes. Nous gardons le silence, les yeux ouverts, nos jambes se mouvent à l'unisson dans un rythme mortuaire, côte à côte, nous observons la rue principale. Nous nous dissimulons derrière un reste de voiture, accroupie. Je pointe du doigt une maison en retrait :
- Elle. Elle ne semble pas trop éloignée et pas trop proches des autres. On devrait aller la fouiller.
Le jeune homme hoche la tête dans un sourire.

  Après avoir fait le tour de la maison, je grimpe les marches du parvis en bois, faisant craquer les premières. Je m'arrête, tournant la tête sur Taehyung, affichant la même tête emplie d'appréhension que moi. Les craquements se taisent après avoir percuté les murs de chaque maisons de la rue. Erreur de débutant. Faire demi tour ne me plaît pas, je préfère faire un dernier bruit et parvenir à cette fichue porte, plutôt que de retourner sur l'herbe du jardin, à la case départ. J'inspire donc une immense dose d'oxygène, et m'apprête à m'élancer, lorsque la voix étouffée de Taehyung m'interpelle :
- Mec je crois qu'il y a quelqu'un.
Il s'accroupit, armant son fusil à son épaule en direction de la rue. Je tente de rester immobile en attrapant mon arme de poing, évitant de faire crier les lattes.
Le silence oppressant nous prend à la gorge.
- Ne bouge surtout pas, je reviens.
Sans attendre quoique ce soit de plus, il part. Me laissant seul et dans l'obligation de ne bouger sous aucuns prétextes. Sa silhouette disparaît de mon champs de vision en un instant.
- Non reviens ! Ne pars pas seul !
Mes murmures emplit de colère ne parviennent visiblement pas à ses oreilles. Je ne peux pas me permettre de le laisser y aller seul et décide donc de le suivre. Sous mon déplacement, la maison entière semble hurler. Je cours courbé à la suite de mon binôme. Je rejoins le pourtour de la rue vide de présence humaine. Je m'adosse à la barrière en bois, cherchant une manière de retrouver Taehyung. Si je pense avoir bien cerné le personnage, il serait en premier lieu aller au même endroit que moi, sauf s'il a vu quelque chose que je n'ai pas vu, et à donc emprunter un autre chemin. Je fais donc demi tour en inspectant le sol. A mi chemin, je vois l'herbe arrachée au sol, la terre retournée est récente. Les herbes hautes sont aplatis et forment un chemin vers la forêt. Mon coeur se serre. Il est partit en courant, précipitamment. Et si quelqu'un le poursuivait ? Et si j'arrive trop tard ? Je suis le chemin formé en courant, mes yeux se perdent dans la contemplation effrayée des alentours, mon pas se perd dans une course aux virages saccadés, mon souffle effréné s'égare dans l'air ambiant, tandis que mon pouls ne cesse de grimper, si haut qu'il en frôle l'arrimage à la mort.
   Seul je n'ai aucune chance. Lui non plus.

J'atteins l'orée de la forêt, suivant l'herbe aplatie. La chaleur étouffante et la cadence de mon rythme entravent mes voies respiratoires, de la sueur perle sur mon front, glissant le long de ma joue en allant se blottir dans mon cou. Je me redresse, mon arme pointée en direction du sol, je scrute le bois, à la recherche de sa silhouette. Parmi le bruissement du feuillage, la brise zigzagant entre les branches et les rares chants d'oiseaux, ne règne qu'un silence de mort. Taehyung... Un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Je me tâte à hurler son prénom, m'époumoner à en perdre l'usage de la parole. Mais la raison me retient, et je sais d'avance que dans ce jeu, la raison l'emporte sur n'importe quels autres critères.
J'inspecte le sol, à la recherche de traces, mais rien. Ici l'herbe n'est plus si haute. Ceci dit, la terre est meuble, il devrait être aisé de trouver la continuité de la piste.

J'avance lentement, suivant les branches au sol craqués et la terre parsemée d'empreintes de pieds. Je m'enfonce dans les bois, à l'affût.
Soudain une branche craque derrière moi. Je me retourne en pointant mon arme en direction du bruit, mon coeur bat la chamade, mon doigt paré à appuyer sur la détente. Personne. Rien. Un coup de feu retentit, percutant. Je n'ai pas pressé la gâchette. Il n'est pas loin. Je m'élance en direction de la source, les branches griffer mon visage, mes vêtements se font agripper par les ronces, je manque de trébucher à de nombreuses reprises mais peu m'importe. Un seul coup de feu. Il s'est fait avoir. Je déboule dans une clairière, essoufflé.
Et enfin je le vois, dos à moi, à genoux sur le sol, parmi les herbes folles et les fleurs sauvages.
- Taehyung...
Il se retourne dans une lenteur insolente. À contre jour, je ne distingue pas complètement son visage. Mais je suis sûr d'une chose ; il sourit.

 ☪︎ L'enfant de la Lune ‌‌‌‌ ᵛᴹᴵᴺ ☪︎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant